Jacques HUBERT-RODIER
Ecrit par
Jacques HUBERT-RODIER
Editorialiste diplomatique Les Echos

Sous le poétique nom de « L’Aube de l’Odyssée », le 19 mars 2011, une coalition internationale, emmenée par la France, la Grande-Bretagne, avec le soutien prudent des Etats-Unis, du Qatar et d’autres pays, intervenait en Libye par des frappes aériennes contre les forces armées de Mouammar Kadhafi.

L’objectif des bombardements dans ce pays – en principe souverain -était non pas de conquérir un territoire, comme ce fut le cas lors de la colonisation du XIX e siècle et du début du XX e, ou encore de prendre le contrôle de richesses minières, voire d’anéantir une menace à la sécurité de la communauté internationale, mais de protéger des populations civiles « attaquées ou menacées de l’être ». Pour défendre cette intervention, Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères, soulignait, mardi, « la responsabilité morale extrêmement lourde » devant ce qui aurait pu être un massacre de plusieurs milliers de personnes, notamment à Benghazi. Car le colonel Kadhafi, précisait le ministre des Affaires étrangères devant la presse diplomatique, avait promis un « bain de sang » si ses blindés reprenaient la ville rebelle.

La décision de frapper les forces du colonel Kadhafi est, de fait, la première application de principes contenus dans un document adopté en septembre 2005 par le sommet mondial des Nations unies « sur la responsabilité de protéger lorsqu’un Etat se montre incapable ou non désireux de protéger sa population face aux crimes les plus graves ». Ce texte est une extension sans précédent du droit international conçu depuis les lendemains de la Seconde Guerre mondiale et de la notion d’ingérence humanitaire apparue notamment lors de la guerre du Biafra, à la fin des années 1960. Une notion théorisée en France par Bernard Kouchner et le professeur de droit international Mario Bettati. C’est sur ce texte que la résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations unies adoptée le 17 mars se fonde.

Cette innovation n’est pas que juridique. Politiquement, il s’agit aussi de faire oublier la passivité de la communauté internationale devant les terribles massacres de population civile de l’époque contemporaine, comme au Rwanda en 1994 ou encore, plus proche de nous, lors des guerres dans l’ex-Yougoslavie.

Et pourtant, avec l’intervention en Libye, le monde n’est pas rentré dans une nouvelle ère où l’Organisation des Nations unies et ses bras séculiers militaires, la France, l’Angleterre, l’Amérique ou encore l’Otan, auraient repris le monopole de la violence légitime aux Etats eux-mêmes. Même si l’intervention libyenne, comme celle d’ailleurs de l’ONU en Côte d’Ivoire pour faire respecter le résultat d’une élection démocratiquement organisée, représente un progrès de la communauté internationale, on en est loin.

En premier lieu, l’ingérence humanitaire et l’attitude du Conseil de sécurité, l’instance suprême des Nations unies, sont à géométrie variable. Pour les cinq grandes puissances, Etats-Unis, Chine, Russie, Grande-Bretagne et France, qui ont un droit de veto, il ne s’agit pas de se mêler des affaires intérieures de tous les pays, surtout pas s’il s’agit d’un de ces cinq membres permanents. Il n’a jamais été question ainsi d’intervenir dans les « affaires chinoises », ni dans les affaires russes. Le droit d’ingérence humanitaire a ses limites. « Ce n’est pas seulement en dénonçant les droits de l’homme à Moscou que nous allons arranger la situation en Tchétchénie. C’est un peu plus compliqué que cela », avait dit, en août 2007, Bernard Kouchner, premier chef de la diplomatie de Nicolas Sarkozy.

De plus, la notion d’ingérence humanitaire n’est pas universelle. Un pays comme le Brésil, qui s’est d’ailleurs abstenu comme l’Allemagne lors du vote de la résolution 1973, préfère garder une certaine neutralité vis-à-vis de l’ingérence, quelle que soit son nom. Et il n’est pas le seul. Surtout que, dans le cas libyen, le motif initial a déjà évolué vers l’idée de renverser le régime pour le remplacer par un autre gouvernement.

De même, il n’est pas question, face au grand mouvement de démocratisation de la rive sud de la Méditerranée, d’intervenir au nom de la protection des populations civiles dans tous les pays où un gouvernement a décidé de faire un usage souvent excessif de la force face à des manifestants sans armes comme en Syrie, au Yémen, à Bahreïn ou ailleurs.

Mais ce n’est pas la seule limite. Comme lors des interventions de l’Otan au Kosovo en 1999, voire de l’application des zones d’exclusion aérienne au sud et au nord de l’Irak après la première guerre du Golfe de 1991, les seuls bombardements aériens ne sont pas suffisants pour inverser le rapport de force. La Libye en est une nouvelle illustration. Car les forces rebelles n’ont pas la capacité au sol de résister seules aux troupes de Kadhafi. En outre, dix ans après le début de la guerre en Afghanistan et huit après celle en Irak, les capacités militaires que les puissances peuvent mettre à la disposition de coalition à but humanitaire sont restreintes. Ce qui explique d’ailleurs en partie la prudence des Américains en Libye.

Mais en dépit de ces nombreuses limites, l’intervention en Libye marque un progrès du droit international. Une façon d’éviter que « l’esprit de Munich », cet accord qui, en 1938, scellait l’abandon de la Tchécoslovaquie à l’Allemagne nazie, ne hante la conscience des dirigeants. Même si la « guerre humanitaire » restera l’exception plutôt que la règle.

Jacques Hubert-Rodier est éditorialiste aux « Echos ».

http://www.lesechos.fr/opinions/analyses/0201313111916-le-monde-a-l-heure-de-la-guerre-humanitaire.htm

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Les commentaires sur l’article :

22/04/2011 | 04:13 | ABaudin Note 3/5

Ici il n´y a pas de spectre de Munich. Á la rigueur la honte du Rwanda. Bien sur on a  » choisi  » un adversaire qui ne pose pas trop de risques politiques et militaires !  » Mais on s´est trompé. Le  » stalemate  » sur le terrain met en échec la tactique militaire de s´en tenir á des frappes aériennes. Les  » rebelles  » manquent d´armements lourds ( tanks et artillerie ) On vas donc faire jouer la diplomatie pour ne pas perdre la face et sauver tant rebelles que civils ! Car impossible d´envoyer des troupes sans risquer d´aller outre la résolution 1973. En plus ni Américains ni Européens ne peuvent être vus en occupants ! Donc  » so far  » échec de  » Odyssey Dawn  » qui avait bien commencé parceque la U.S Navy avait lancé 180 missiles Tomahaw dont les Européens ne disposent pas ! En plus les pays Africains ne poussent pas fort pour que Khadafi parte. En attendant la production de pétrole Lybienne est tombée de 1,3 millions de barrils/jour á 2/300.000 et le prix du pétrole monte !!!

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22/04/2011 | 10:13 | ledilettante Note 4/5

Monsieur Hubert-Rodier est allé un peu vite. Réalité des massacres démenties aux USA même Voir article du Boston Globe du 14 avril, Alan Kuperman. L’intoxication mondiale de masse est désormais très au point, surtout quand il s’agit de justifier une guerre. « False pretense for war in Libya? »
http://www.boston.com/bostonglobe/editorial_opinion/oped/articles/2011/04/14/false_pretense_for_war_in_libya/

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22/04/2011 | 12:02 | elysian Note 3/5

Comparer avec l’invasion en Tchécoslovaquie est grotesque puisque vous confondez l’agression d’un pays contre un autre en total mépris des règles internationales, avec un régime (certes totalitaire et pas très porté sur les valeurs humanistes) en légitime défense. N’oublions pas que la France avait proposé l’aide à Ben Ali qu’elle considérait en état de légitime défense, avant de revoir sa position une fois la situation compromise pour Ben Ali.

Concernant les rebelles libyens, les vidéos ne manquent pas où on les voit jouer avec des organes prélevés sur les cadavres des pro-kadhafi et scander des slogans religieux. Ce sont ces gens pareils que la France soutient, il faut le savoir.

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22/04/2011 | 12:34 | jhubertrodier

Plutôt que de passer par l’interprétation, un peu spécieuse, du Boston Globe des communiqués de Human Rights Watch pour se faire une idée de la situation en Libye. Je propose d’aller directement sur le site en Français de l’ONG pour lire notamment des alarmes sur « les attaques aveugles » contre des civils, l’utilisation de bombes à sous-munitions, le déploiement de mines sur son propre territoire par le gouvernement, voire même les textes avant le déclenchement des bombardements aériens sur « la répression meurtrière à Tripoli ».

Lien proposé : Human Rights Watch

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22/04/2011 | 14:47 | individu Note 3/5

Non, je ne suis d’accord sur cette analyse.
n 1938, l’abandon de la Tchécoslovaquie allait à l’encontre des intérêts profonds et véritables des pays alliés (France et Grande Bretagne). Pour la Libye, il n’y a aucun enjeu militaire.
Comme pour l’Irak, l’intervention en Libye va aboutir à déstabiliser un pays dirigé par un dictateur pour y installer un régime instable et fragile.
Il aurait mieux valu pour nos intérêts bien compris négocier avec le dictateur (que ce soit aujourd’hui Khadafi ou hier Saddam Hussein) afin de sécuriser l’accès au pétrole (et dans le cas de l’Irak, une confrontation permanente avec le voisin iranien).
Nous avons un raisonnement aberrant qui va à l’encontre de nos intérêts occidentaux.
Non seulement, on bafoue allègrement l’indépendance de ces pays mais pas dans notre intérêt ! la théorique de Kouchner est décidément très néfaste.

http://commentaires.lesechos.fr/commentaires.php?id=0201313111916

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