La justice. AFP PHOTO / DAMIEN MEYER

Les cartes sont rebattues. Alors que l’on pensait que la Cour de cassation avait définitivement fermé la porte à l’extradition par la France des personnes recherchées par le Rwanda pour leur éventuelle implication dans le génocide des Tutsis en 1994, la cour d’appel de Poitiers vient de donner un avis favorable à l’extradition d’Innocent Bagabo, un citoyen français.

Dans trois arrêts rendus le 26 février 2014, la Cour de cassation avait en effet considéré que l’extradition des personnes recherchées par le Rwanda afin d’être jugées pour génocide et crimes contre l’humanité n’était pas possible juridiquement en raison du principe dit de « légalité des délits et des peines ». Ce principe, qui résulte de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, implique qu’on ne peut être condamné pénalement qu’en vertu d’un texte pénal précis et clair existant au moment des faits.

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La difficulté pour ces demandes d’extradition est qu’en 1994, date où le génocide des Tutsis a été perpétré – et même si le Rwanda avait ratifié les conventions internationales contre le génocide –, ce crime et sa répression ne figuraient pas dans le code pénal du Rwanda. Ce n’est qu’en 1996, soit deux ans après la fin des massacres (qui ont fait 800 000 morts entre avril et juillet 1994) que ce pays le fera. Or la cour d’appel de Poitiers, mardi 30 juin, a considéré les choses autrement.

Elle indique qu’il est du devoir de la communauté internationale de permettre la répression de tout génocide commis par un de ses membres au préjudice d’un groupe minoritaire. La cour considère que, dans certaines circonstances, la carence d’un Etat dans la transcription en droit national des normes contenues dans les conventions internationales doit être compensée par une application directe de la norme conventionnelle, et que celle-ci doit alors pouvoir réprimer les actes que le législateur n’a pas voulu définir et sanctionner pour des motifs de politique intérieure, ou afin de préserver certains citoyens de poursuites contre les exactions commises ou qu’ils viendraient à commettre.

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Dans le cas du Rwanda, la Cour d’appel rappelle que de 1959 jusqu’au début du génocide des Tutsis, les institutions rwandaises étaient exclusivement dirigées par la communauté hutu, la communauté tutsi ayant été soumise à une politique ségrégationniste, notamment par l’instauration de quotas limitant son accès à l’éducation et aux emplois publics.

La cour illustre cette situation par le fait que le décret-loi de 1977 instituant le code pénal du Rwanda en vigueur à l’époque du génocide avait été confirmé en 1982 par des députés qui étaient tous hutus à l’exception d’un seul. La Cour considère que, s’agissant du crime de génocide, c’est au seul regard du droit international que doit s’apprécier l’application du principe de légalité des délits et des peines. C’est pourquoi elle a donné un avis favorable à l’extradition.

Innocent Bagabo va sans doute se pourvoir en cassation. Nous aurons l’occasion de savoir ce que cette dernière pense de la position courageuse prise par les magistrats de Poitiers.

Richard Gisagara, avocat, intervient régulièrement dans les dossiers relatifs au génocide des Tutsis, dont celui qui sera jugé par la cour d’assises de Paris en 2016. Il est également l’avocat de l’association Communauté rwandaise de France et d’une rescapée du génocide qui ont engagé une procédure judiciaire après la diffusion sur Canal+ d’une émission controversée sur le génocide.

http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/07/07/rwanda-la-france-fait-un-petit-pas-vers-l-extradition-de-presumes-genocidaires_4674039_3212.html#H0vUas1cIIqw4tlV.99

Posté par rwandaises.com