“Les cercles“, une oeuvre Imigongo réalisée par une Rwandaise et exposée à Paris à l'espace Agnès b. Dans certaines cultures, le motif du “tourbillon“ appelé aussi “arabesque“ symbolise la vie.

“Les cercles“, une oeuvre Imigongo réalisée par une Rwandaise et exposée à Paris à l’espace Agnès b. Dans certaines cultures, le motif du “tourbillon“ appelé aussi “arabesque“ symbolise la vie.

Au Rwanda, vingt ans après le génocide, les stigmates sont encore là. Des orphelins, des veuves, et des traumatismes. Depuis 2004, l’association Rwanda Aveniraide les Rwandaises à se reconstruire en leur faisant re-découvrir l’Imigongo, une pratique artistique ancestrale, transmises de mère en fille qui a failli disparaitre du pays au moment des massacres. Une manière pour elles de renouer avec leur histoire, leur culture et… la vie.

« Voir les différentes couleurs et l’ensemble des dessins, ça donne de la joie. Moi personnellement, ça me donne une renaissance à mon cerveau, à mon intelligence. Dans ma mémoire, ça fait quelque chose que je ne peux pas encore définir, mais ça fait revivre la vie…» Ce sont les mots pudiques d’Annonciata Mukamugema quand elle évoque, au téléphone pour Terriennes, l’art Imigongo. Rwandaise rescapée du génocide des Tutsis, elle a découvert il y a quelques années cette pratique artistique par Rwanda Avenir. Sur proposition de Florence Prudhomme, la co-fondatrice de l’association, l’espace Agnès b. à Paris, en a consacré une exposition.

Toutes les oeuvres présentes sont réalisées par ces femmes brisées, vingt ans après le génocide : violées, veuves, endeuillées par la mort de membres de leur famille, enfants, frères, soeurs, souvent massacrés devant leurs yeux.

Renaissance d’une culture …

« La destinée de la maison est de mettre en oeuvre un processus thérapeutique, pour les femmes rescapées. Pour cela, on a cherché des activités apaisantes qui pouvaient aussi générer des revenus. Et donc on s’est tourné vers cet art Imigongo qui est très ancien et date de plus de trois cents ans », explique Florence Prudhomme présente à l’exposition. Fondé en 2004 par deux Françaises, Rwanda avenir propose aux veuves des formations à cet art abstrait, employé désormais comme de l’art thérapie : la reconstruction de soi par la redécouverte d’un art traditionnel rwandais, victime lui aussi du génocide.

Cet technique, caractérisée par des motifs géométriques en relief noir, blancs et rouges, était un art décoratif qui ornait les maisons traditionnelles dans le sud-est du pays des milles collines. Pratiqué depuis le XVIIIe siècle par les mères qui le transmettaient à leurs filles, l’Imigongo risquait de disparaître de la culture rwandaise au moment du génocide. Seules deux femmes initiatrices de cette tradition, ont survécu aux massacres.

Des femmes rwandaises à la coopérative AGATAKO (Photo : Florence Prudhomme)

Des femmes rwandaises à la coopérative AGATAKO (Photo : Florence Prudhomme)

« Ca donne une autre image de nous »

Ce n’est qu’à partir de la fin des années 1990 que ces survivantes se sont regroupées pour faire revivre cet art. Plusieurs structures associatives se sont créées pour former les Rwandaises à la technique de l’art Imigongo fait à base de bouses de vache, d’herbe, etc. Parmi elles, Rwanda Avenir qui utilise cet art comme moyen de guérison psychique. Tout d’abord, en leur donnant une référence historique et culturelle qui se situe avant le génocide. « Ca les réinscrit dans l’histoire et ça devient un processus de remémoration positive, explique Florence Prudhomme. Cet art n’était pas connu dans notre pays. Mais il donne une autre image de nous. Nous nous demandons toujours comment nos ancêtres ont pu faire ces dessins géométriques qui sont bien faits et bien fignolés », confie Annonciata Mukamugema depuis Kigali, par téléphone.

Renaissance de soi

Une thérapeute encadre ces ateliers où les oeuvres sont réalisées de manière collective. Le but ? « les faire sortir de leur solitude, qu’elle puisse parler », déclare Michele Muller, également co-fondatrice de Rwanda Avenir. Elle détaille comment l’art Imigongo reconstruit psychiquemment ces femmes murées dans leur silence. Dans ce pays, raconter ses problèmes, ça ne se fait pas. « Cet art nécessite beaucoup de soin. Il y a des détails, des reliefs, ça fait appel à la géométrie, etc. Quand elles le pratiquent, elles sortent de leurs problèmes et sont projetées ailleurs », raconte-t-elle.

Selon Florence Prudhomme, beaucoup de ces femmes, souvent très pauvres, n’ont pas de quoi manger le soir. La vente de leurs peintures lors d’exposition à Kigali ou à l’étranger, leur apportent aujourd’hui un revenu. « C’est une joie pour nous car ça nous a fait progresser. On est fière de voir que notre art a dépassé nos frontières », avoue, émue, Annonciata Mukagema restée au pays.

Cet Art nécessite beaucoup de soins quand elle pratiquent, elles sortent de leurs problème et sont projetées ailleurs.

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Posté le 08/04/2017 par rwandaises.com