Lettre ouverte à Alpha Barry, chef de la diplomatie burkinabée, de notre chroniqueur camerounais qui a dû s’adresser à l’ambassade de France à Kigali pour obtenir le sésame.

Il y a quelques jours, alors que je me renseignais sur les démarches pour obtenir, à Kigali, un visa d’entrée dans votre pays, j’ai appris que c’est à l’ambassade de France que je devais me rendre. C’est en effet la France qui délivre, sous réserve de votre réponse, les visas burkinabés aux ressortissants camerounais comme moi et aux autres Africains. C’est elle qui vous représente au Rwanda.

Vous serez peut-être rassuré de savoir que votre pays n’est pas le seul à sous-traiter ce service à la France puisque le Togo, la Mauritanie, le Gabon, Djibouti, la Côte d’Ivoire ou encore la République centrafricaine font pareil. En m’adressant à vous, c’est aussi à eux que je pose cette question : Monsieur le Ministre, pour quelle raison, en tant qu’Africain, en 2017, alors que je me trouve sur notre continent, votre pays me contraint-il à passer par l’intermédiaire d’un pays occidental pour me rendre chez vous ?

Indépendant de toute influence étrangère

Que ce pays soit la France, ancienne puissance colonisatrice, entretenant avec le Rwanda des relations parfois tendues, est symboliquement ennuyeux. Mais la situation en elle-même, vous en conviendrez, est embarrassante à plusieurs titres. D’abord parce que soixante ans après la vague des indépendances africaines, elle évoque la persistance de relations inappropriées entre nos pays et l’Hexagone. Ensuite parce que si le légendaire Thomas Sankara a jugé utile de rebaptiser la Haute-Volta (qui est devenue le Burkina Faso, « le pays des hommes intègres », en août 1984), c’est bien parce qu’il considérait que la vocation de votre pays était d’être indépendant de toute influence étrangère. Enfin parce que, dans une certaine mesure, elle illustre le fossé qui vous sépare, vous, dirigeants africains francophones, d’une jeunesse africaine majoritairement sankariste.

Monsieur le Ministre, peut-être l’ignorez-vous, mais des alternatives existent à la sous-traitance, par la France, de la gestion des visas. Jugez-vous le coût de la gestion d’une ambassade au Rwanda trop élevé ? Vous pouvez informatiser ce service. Plusieurs pays africains, dont le Rwanda ou le Sénégal, le font et cela fonctionne bien. Si vous optiez pour cette solution, vous n’auriez aucune difficulté à trouver, dans votre pays ou sur le continent, des entreprises capables de relever le défi de la numérisation des procédures administratives.

Mais peut-être êtes-vous opposé aux technologies de l’information et de la communication ? Alors vous pourriez confier votre représentation au Rwanda à d’autres pays africains présents sur place, ou alors délivrer des visas à l’arrivée sur votre sol.

Pour la libération et l’intégration du continent

Mais il y a, Monsieur le Ministre, une solution encore meilleure : supprimer les visas pour les voyageurs africains, comme l’ont fait, dans une certaine mesure, le Rwanda et le Bénin. Vous seriez dans l’esprit de l’Union africaine (UA). En effet, du 23 au 26 mai, de hauts responsables africains chargés des questions d’immigration dans leur pays respectif se sont réunis, justement à Kigali, à l’initiative de la Commission de l’UA pour discuter d’un protocole d’accord sur la liberté de circulation des Africains à l’intérieur du continent. Le thème de cette réunion était : « la liberté de circulation des Africains est un pilier essentiel du processus d’intégration continental ».

Dans ce contexte, comment conciliez-vous le maintien de liens de dépendance, dont la nécessité est peu apparente, avec des puissances non africaines et cet objectif commun d’autonomisation de l’Afrique ? La souveraineté de l’UA, ou de l’Afrique, n’est-elle pas la somme de la souveraineté de ses Etats membres ?

Monsieur le Ministre, je veux croire à un malentendu de ma part. C’est la raison pour laquelle j’espère vivement que vous me répondrez. Mais, si j’ai bien compris et que la France se charge de vos visas au Rwanda, alors je vous en conjure, pour la mémoire de Thomas Sankara, pour la jeunesse africaine, pour maintenir l’idéal d’une Afrique forte et unie, permettez-nous de rejoindre le Burkina Faso depuis n’importe quel endroit du continent sans faire un détour par les services consulaires d’une ancienne puissance coloniale.