Au Pays de Gihanga, il y a un avant et un après 1994. C’est la période post-génocide, celle de la résilience et de la Renaissance de la nation rwandaise, dont nous allons esquisser les grandes lignes en trois points :

-  le programme « Ndi umunyarwanda » ;
-  l’Ubuntu et les « solutions localement conçues » (SLC) ;
-  la démocratie participative, « Vision 2020 » et la décentralisation.

Le Rwanda d’après 1994 est un pays plus que meurtri, un pays ravagé non par une guerre mais par le crime des crimes survenu un siècle après la Conférence de Berlin et le partage de l’Afrique est de 1885 : d’où, les spécificités de la reconstruction et de la renaissance de ce pays de moins de 30 000 km² pour plus de 11 millions d’habitants, mais qui a un atout majeur.

Le Rwanda constitue une exception dans la longue et riche Histoire du Continent : c’est – avec le Burundi, son « (faux) frère jumeau » – le seul pays dans lequel l’ensemble de la population partage la même langue, la même religion et la même culture, critères employés habituellement pour définir l’ethnie.

Et c’est le seul Etat-Nation qui existait plus de dix siècles avant la colonisation (le Rwanda est un royaume à la tête duquel 25 rois se succèdent entre 1081 et la colonisation).

Et l’une des toutes premières grandes mesures prises par le gouvernement rwandais au lendemain du génocide, c’est la mise aux oubliettes de la tristement célèbre carte d’identité avec mention « ethnique » associée à la désignation des victimes, un succédané de l’ibuku belge des années 1930.

Il s’agit d’une mesure plus que symbolique : elle est l’expression concrète de cette volonté politique forte de renouer avec Imbaga y’inyabutatu (Peuple immense à trois composantes) et de bannir à jamais le modèle Rubanda nyamwinshi (Petit peuple majoritaire, hutu) de l’esprit et des cœurs de TOUS les citoyens rwandais, les Banyarwanda. Non pour gommer ou cacher les différences – tâche (presque) impossible, surtout après 1994 – mais pour les dépasser dans l’intérêt des uns et des autres, de tout le peuple rwandais.

1/ Le Programme « NDI UMUNYARWANDA » (« JE SUIS RWANDAIS »)

Voici la conclusion de la présentation du programme « Ndi umunyarwanda » :
« “Ndi Umunyarwanda”, c’est revenir aux origines de l’identité rwandaise, nos origines qui ont été longtemps déshonorées pendant le siècle passé (les colonisateurs, les républiques basées sur le divisionnisme et sur la propagation de la haine jusqu’au génocide).

C’est le passage obligé vers l’unité et la réconciliation et c’est un long processus qui exige de persévérer et la participation à tous les niveaux. C’est pourquoi ce processus est long. Nous initions cette démarche en nous préparant à l’umushyikirano (Dialogue national).

Et nous continuerons après l’umushyikirano et pendant la période où nous nous préparons à la vingtième Commémoration du génocide perpétré contre les Tutsi et de la libération des Rwandais. Le programme de reconstruction des bonnes relations doit aller de pair avec le changement dans la compréhension mutuelle, dans le mode de vie et dans le développement économique » (« Ndi umunyarwanda », traduction personnelle du kinyarwanda).

Même si la formalisation du programme « Ndi umunyarwanda » date de 2013, l’urgente nécessité de réconciliation nationale s’est naturellement faite sentir dès le lendemain du génocide : gouvernement d’unité nationale (juillet 1994), création de la Commission Nationale pour l’Unité et la Réconciliation du Rwanda(CNUR) en 1999 lors de la grande consultation nationale à Urugwiro (siège de la présidence) de mai 1998 mars 1999, qui a accouché de la « Vision 2020 » qui vise reconstruire une identité rwandaise d’unité et à transformer le Rwanda en un pays à revenu intermédiaire où les citoyens jouissent d’une meilleure santé, éduqués et plus prospères de façon générale.

Voici ce qu’en dit le Président Paul Kagame, lors d’une retraite gouvernementale du 8 au 9 novembre 2013 consacré au programme :

« Nous ne pouvons pas continuer à blâmer les autres, nous ne pouvons que nous blâmer nous-mêmes. Nous avons perdu notre humanité lorsque les Rwandais ont accepté de se haïr et de se tuer les uns les autres à cause d’un nom, alors que le monde entier a regardé sans bouger. La lutte dont nous parlons aujourd’hui, c’est celle pour devenir quelqu’un. Nous devons nous battre pour notre humanité, peu importe le coût ».

L’objectif du programme est donc de recourir à l’Ubuntu – vertu inclusive – afin de rebâtir la nation et, grâce à un dialogue ouvert, favoriser la résilience, la réconciliation et l’unité du peuple rwandais : dépasser les divisions ethniques en s’affirmant comme « umunyarwanda » et fier de l’être.

2/ L’UBUNTU ET LES « SOLUTIONS LOCALEMENT CONCUES » (SLC)
Dans la langue courante, on peut traduire Ubuntu par « don gratuit », et surtout par « altruisme ». On entend par là l’altruisme considéré comme condition et source du bonheur individuel, bonheur qui dépend immanquablement du bonheur de l’autre : pas d’amour de soi sans amour de l’autre. Elle est éminemment inclusive : TU es donc JE suis.

Le Rwanda est le pays de l’Ubuntu. C’est le pays de la solidarité, des solidarités « horizontales » : des solidarités de proximité (en famille, entre voisins) aux solidarités entre les frères humains. Dans le Panthéon des valeurs « bantu », l’Ubuntu ne passe pas avant la liberté, elle l’éclaire et la conditionne : « être libre, ce n’est pas seulement se débarrasser de ses chaînes, c’est vivre d’une façon qui respecte et renforce la liberté des autres » (Nelson Mandela, Un long chemin vers la liberté ).

Et l’Ubuntu est au cœur du quotidien du rwandais, qui est éminemment social et altruiste. A commencer par les salutations avec ses très nombreuses variantes en fonction du moment de la journée mais aussi du degré de familiarité. On se donne le bonjour comme l’on se prête les outils de travail, le sel, l’eau, la nourriture… Les gros travaux se font collectivement : on va plus vite et on travaille dans la joie.

La participation au mariage est ouverte à toutes les relations plus ou moins proches, qui se cotisent évidemment. Les enterrements sont une affaire de la cité : après le faire-part de décès par le bouche-à-oreille mais aussi et de plus en plus par la voie des ondes, les funérailles sont un évènement éminemment social qui rassemble jusqu’aux personnes de passage.

Et que dire du deuil, qui est porté par tous humainement (par un accompagnement et une présence de tous les jours et tout le jour) et matériellement (par une participation aux frais de chacun selon ses moyens).

A travers l’Ubuntu, le modèle participatif est donc dans l’ADN du peuple rwandais. Au Rwanda, après le traumatisme collectif causé par le génocide contre les tutsis en 1994, génocide lié à la colonisation et à une décolonisation vidée de sa substance et dévoyée par l’Occident, c’est tout naturellement que la vertu cardinale de l’Ubuntu va être remise au centre et au cœur de la résilience d’une nation et de sa Renaissance. Et elle sous-tend les « solutions localement conçues » (SLC).

Les SLC ont été (re)mises en œuvre de façon progressive et graduelle dès 1997. Il s’agit de pratiques traditionnelles remises au goût du jour. Nous avons, dans l’ordre chronologique de leur réintroduction/modernisation officielle à différents niveaux de décentralisation : Ingando (« camp social », 1997) ; Umuganda (« travail communautaire », 1998) ; Imihigo (« contrats de performance », 2000) ; Ubudehe (« travail collectif et débat entre voisins pour la réduction de la pauvreté », 2001-2012) ; Gacaca (« tribunal sur l’herbe », 18 juin 2002-18 juin 2012) ; Umushyikirano (« dialogue national », 2003) ; Umwiherero (« retraite gouvernementale élargie » 10-17 janvier 2004) ; Abunzi (« réconciliateurs », « médiateurs », 2004) ; Girinka (« que tu aies une/des vache-s ! », une vache par famille pauvre, 2006) ; Itorero (« lieu de sélection » ou école civique traditionnelle, 2007).

Ces pratiques sont bel et bien « l’ensemble des dispositifs et des procédures qui permettent d’augmenter l’implication des citoyens dans la vie politique et d’accroître leur rôle dans les prises de décision et dans leur réalisations » qui caractérisent la démocratie (à dominante) participative.

3/ DEMOCRATIE PARTICIPATIVE, « VISION 2020 » ET DECENTRALISATION
La démocratie est le « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». La définition d’Abraham Lincoln a le mérite de poser le principe fondamental et de faire l’unanimité : c’est d’ailleurs la plus respectueuse de l’étymologie du mot.

Aussi, le principe universel une fois rappelé, importe-t-il de réaffirmer fermement qu’il existe plus d’une forme de démocratie ou plutôt plusieurs « dominantes » dans les pratiques démocratiques car, dans la réalité, tous les systèmes sont mixtes : si, en démocratie, le peuple possède tous les pouvoirs de gouvernement, il en délègue toujours plus ou moins une partie à des représentants.

La démocratie à dominante « participative » se définit comme l’ensemble des dispositifs et des procédures qui permettent d’augmenter l’implication des citoyens – TOUS ET TOUTES – dans la vie politique et d’accroître leur rôle dans les prises de décision. Ce système favorise une pleine participation de tous les citoyens au processus démocratique. Il est éminemment inclusif.

Le Pays des mille collines est sans doute le seul pays à pratiquer la démocratie participative. Depuis la mise en place de la « Vision 2020 » (prononcer : « vingt-vingt »), bien de pratiques traditionnelles de démocratie participative et inclusive ont été remises à l’honneur en même temps qu’une politique de décentralisation avancée était enclenchée dans le but d’inclure et de faire participer le plus possible les populations dans leur propre développement.

La Vision « 2020 » est elle-même le résultat d’un processus consultatif national qui a débuté au village Urugwiro en 1998-1999 :
« La Vision 2020 reflète les aspirations et la détermination des Rwandais à la construction d’une identité rwandaise d’unité, de démocratie et d’inclusion, après de longues années marquées par des régimes autoritaires et exclusivistes. A travers cette Vision, nous visons de transformer notre pays en un pays à revenu intermédiaire où les Rwandais jouissent d’une meilleure santé, éduqués et plus prospères de façon générale […].

Cette Vision a été le résultat d’un long processus de consultations nationales qui ont été initiées entre 1997 et 2000. Ces discussions et débats ont impliqué toutes les catégories, comprenant les opérateurs économiques, l’Etat, le monde académique et la société civile » (Vision 2020, Vision 2020 du Rwanda, ambassade de Belgique).

Elle lie donc clairement développement et démocratie participative : pouvoir se nourrir, pouvoir se soigner, pouvoir s’instruire, se loger dignement… sont des droits fondamentaux et ils figurent comme tels parmi les 30 articles de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948. Et la décentralisation est le gage de l’efficacité de cette ambition nationale.

Elle crée, en effet, un espace politique ouvert, donne à la population à tous les niveaux les capacités de participer activement à la transformation politique, économique et sociale du pays dans les secteurs qui ont été décentralisés : Agriculture, Education, Bonne Gouvernance, Santé, Infrastructures, Justice, Protection sociale.

Et le Rwanda est sans doute un des pays les plus décentralisés du monde. Selon l’article 6 de la Constitution, « les pouvoirs publics sont décentralisés au profit des entités administratives locales conformément aux dispositions légales ».

La loi organique du 31 décembre 2005 organise le territoire national en 5 niveaux de gouvernement. Avant, le pays était divisé en 12 « préfectures » divisées en 106 « communes ». La dernière loi de décentralisation a rendu les entités décentralisées plus « viables » en baissant considérablement leur nombre et elle a poursuivi le processus de décentralisation en créant un cinquième échelon de base, le village (« umudugudu ») et donc plus d’espace pour la participation citoyenne :
-  Province – Intara (de 12 à 4 Provinces et la Ville de Kigali) ;
-  District – Akarere (de 106 à 30 Districts) ;
-  Secteur – Umurenge (de 1 545 à 416 Secteurs) ;
-  Cellule – Akagari (de 9 165 à 2 150 Cellules) ;
-  Village – Umidugudu (14 837 Villages).

Enfin, elle a accordé plus de légitimité aux responsables des collectivités territoriales. En effet, à l’exception du gouverneur de province nommé par arrêté présidentiel sur approbation du Sénat, les autorités des autres entités sont désormais élues au suffrage universel.

Et si cette politique a porté ses fruits, c’est parce que le processus de décentralisation et la mise en place de solutions « endogènes » vont de pair.
Les succès sont au rendez-vous : en termes de bonne gouvernance, le Rwanda occupe la 4ème place en Afrique et la 49ème dans le monde parmi les pays moins corrompus.

En termes de bonne gouvernance, selon l’édition 2014-2015 du rapport mondial sur la compétitivité, le gouvernement rwandais se classe au 7ème rang en ce qui concerne l’efficacité dans la gestion publique. Il se retrouve ainsi devant des nations comme la Suisse (9ème) ou le Luxembourg (10ème).

Et le président Paul Kagame rêve « d’un Rwanda réellement stable, sur tous les plans. Un Rwanda prospère, dont le niveau a rattrapé celui des pays qui le tiennent pour acquis. Un Rwanda qui n’a plus besoin d’être le bénéficiaire de la générosité d’autrui. Je souhaite que le Rwanda soit en mesure de donner plutôt que recevoir, qu’il puisse aider d’autres à devenir autonomes et à être les acteurs de leur prospérité.

Tel est mon rêve. Un Rwanda prospère et stable ; des Rwandais heureux et fiers d’être Rwandais ». ( L’Homme de fer, Conversations avec Paul Kagame, idm, 2015, p. 117).
Un rêve que le peuple rwandais s’emploie à réaliser au-delà de toute espérance ! Et de la « Vision 2020 ».

Tradition et Modernité

Ces derniers 20 ans, le Rwanda a donné une leçon claire à toute l’Afrique et au monde : un pays ne peut renaître de ses cendres qu’en renouant avec ses racines.
Mais la Renaissance, le retour aux sources n’est pas un retour dans le passé. Michel-Ange, pour sculpter son David, n’a pas copié l’Adonis de l’antiquité gréco-romaine : il s’en inspiré pour faire du nouveau.

Il s’agit d’un processus de modernisation, au sens étymologiquement du mot (remettre à la mode ; actualiser). Il s’agit donc d’un renouveau, une sorte de remise au goût du jour qui tient compte du contexte spatio-temporel, historique et culturel.

Dans le cas du Rwanda de l’après-génocide, ce contexte culturel (au sens large du mot) de cette résilience est celui de l’Ubuntu et de l’engagement citoyen et solidaire, de l’engagement actif de TOUS les citoyens et citoyennes et à TOUS les niveaux de la gestion des affaires publiques pour l’intérêt national.

Publié par Jovin Ndayishimiye  Le 22 décembre 2015

http://fr.igihe.com/opinions-reactions/rwanda-la-renaissance-d-une-nation.html

Posté le 27/06/2017 par rwandaises.com