Filip Reyntjens a publié, un « Que sais-je ? » un livre sur Le génocide des Tutsi qui des citations falsifiées avec manipulation du contexte sur des points cruciaux. Par Survie

Filip Reyntjens a publié, le 5 avril 2017, un « Que sais-je ? » sur Le génocide des Tutsi au Rwanda.
Ce petit livre, critiquable du début à la fin, présente de surcroît une particularité étonnante sous la plume
d’un universitaire : il contient plusieurs citations falsifiées auxquelles Filip Reyntjens fait dire le contraire de ce que leur auteur voulait dire. Pour ce faire, Filip Reyntjens leur ajoute un mot, ou au contraire, les tronque de manière à en modifier le sens ; il manipule leur contexte. Par ailleurs, il occulte des faits essentiels et rompe délibérément son lecteur.

A chaque fois, il s’agit de points cruciaux pour le raisonnement implicite qui soutient le propos de son livre.
La première falsification vise à légitimer l’usage de la notion d’ « ethnie » à propos des groupes hutu et tutsi.
La deuxième manipulation masque la propagande anti-tutsi et les discriminations dont les Tutsi furent victimes sous les régimes de Grégoire Kayibanda et Juvénal Habyarimana. La dernière falsification renverse la responsabilité du génocide des Tutsi en la faisant porter à Paul Kagame et au FPR.

1. Légitimer l’usage de la notion d’ « ethnie » pour convoquer un « réflexe ethnique » en lieu et place d’une propagande anti-Tutsi passée sous silence
Pour Filip Reyntjens, Hutu et Tutsi appartiennent à des ethnies différentes, ethnies définies « politiquement », et dont les rapports sont marqués par « l’oppression tutsi » sur les Hutu. En lieu et place de la propagande anti-tutsi constante depuis 1959, avec une certaine accalmie entre 1973 et 1990, puis une intensification à partir de l’attaque du FPR en octobre 1990, il convoque un « réflexe ethnique » (p. 34) pour expliquer la radicalisation anti-tutsi qui fait suite à cette attaque.
Une controverse scientifique existe pourtant concernant l’usage du terme « ethnie » à propos des groupes constituant la population rwandaise. Loin de s’en faire l’écho, Filip Reyntjens falsifie les propos d’un historien pour qui le clivage Hutu-Tutsi au Rwanda n’est pas un clivage ethnique.
Filip Reyntjens écrit ainsi, page 12 de son livre :
Un autre historien de la région, Jean-Pierre Chrétien, observe « l’ancienneté de ce clivage (ethnique) » [En note : J.-P. Chrétien, L’Afrique des Grands Lacs. Deux mille ans d’histoire, Paris, Aubier, « Collection historique », 2000, p. 246] et soulève l’importance de l’extension du royaume nyiginya pour la définition ethnique (2) [En note : Ibid., p. 163-164]. Dès avant la pénétration européenne, il voit une « discrimination sensible entre Batutsi et Bahutu » et note que le « clivage hutu-tutsi, cautionné par les pratiques du pouvoir, pénètre […] la vie sociale de façon décisive » [En note : Ibid., p. 161].
Elle ne figure pas dans la citation originale qui débute une section de chapitre intitulée « L’immatriculation raciale de la société : le duel Hutu-Tutsi » : Nous avons vu l’ancienneté de l’histoire du peuplement et la complexité des structures économiques et sociales susceptibles d’expliquer le clivage culturel entre « agriculteurs » et « éleveurs » dans la région des Grands lacs.
Nous y avons relevé, notamment dans sa partie ouest, l’importance de l’évolution politique des monarchies, surtout depuis le XVIIIe siècle, et, en particulier au Rwanda et au Nkore, la cristallisation d’aristocraties
Les malversations intellectuelles du professeur Reyntjens – Survie – 19 septembre 2017 respectivement tutsi ou hima, ce qui conduit à la mise en scène d’une identité supérieure « pastorale » qui vient recouper les anciens clivages claniques, longtemps beaucoup plus déterminants. Depuis un siècle, c’est-à-dire depuis les premiers contacts avec les Européens et leur mainmise croissante sur les sociétés de la région, l’antagonisme tutsi-hutu, au Rwanda et au Burundi, est devenu pratiquement prioritaire et intellectuellement primordial. S’interroger sur ce qui s’est passé de ce point de vue sous la colonisation ne revient donc pas à nier l’ancienneté de ce clivage, mais répond à l’exigence de comprendre pourquoi il est devenu obsessionnel au point de recouvrir tous les autres problèmes et d’être presque le seul aspect connu de cette région par les médias occidentaux de la fin du XXe siècle, comme nous le signalions en ntroduction.
L’étiquetage racial, distinguant « Hamito-Sémites » ou « Nilo-Hamites » et « nègres bantous » est présent dès le début de la conquête.
Pour Jean-Pierre Chrétien, le clivage hutu-tutsi n’est pas un clivage ethnique. Au contraire, toute cette section de son livre s’élève contre cette vision raciale qui est celle du colonisateur. Filip Reyntjens ajoute un mot, « ethnique », n’existant pas dans le texte initial, un mot qui transforme radicalement le sens des propos de Jean-Pierre Chrétien.
Voici le passage auquel se réfère Filip Reyntjens, pages 163-164 de L’Afrique des Grands Lacs. Deux mille ans d’histoire :
On voit que les notions de seigneurs et de serfs, souvent appliquées globalement aux Batutsi et aux Bahutu, ne collent pas avec la réalité ancienne, malgré la montée des privilèges bénéficiant à des Batutsi par la médiation du pouvoir depuis le XVIIIe siècle, notamment au Rwanda (ainsi qu’aux Bahima au Nkore).
En fait, les mots tutsi et hutu n’ont pas toujours le même sens. Tantôt ils caractérisent le fait d’être nés tels, en fonction d’un ancien héritage socio-culturel familial (le fait d’avoir eu ou non un lien fort avec le bétail autrefois). Encore faut-il ajouter que cette identité va sans dire et que souvent elle ne se dit même pas.
Les pasteurs autonomes, en rupture de ban avec la Cour, qui vivaient au nord du Rwanda, au pied des volcans, se disaient bagogwe. Ils se retrouveront « tutsi » dans le cadre du royaume, puis de la politique moderne.
Au Rwanda, l’appartenance clanique a longtemps prédominé sur l’appartenance dite ethnique. Les cultivateurs de l’ouest du Rwanda, des dépressions de l’Imbo ou du Kumoso, à l’est et à l’ouest du Burundi, se définissaient par leurs lignages : ils se sont retrouvés « hutu » dans le cadre du royaume. De même, les cultivateurs de l’ouest du Nkore se retrouvèrent « iru » dans le rapport avec un pouvoir hima. A ce niveau, on l’a vu pour le Kinyaga, la connotation de ces appartenances a eu tendance à devenir hiérarchique.
Le terme hutu désignait, dans le rapport de clientèle, la position subordonnée du receveur : même s’il était tutsi, le donateur disait de lui « mon hutu ». Le terme tutsi, au Rwanda, a peu à peu été perçu comme une identité proche du pouvoir, au point de créer le besoin de se « déhutuiser » en cas de promotion (ce qui ne s’est développé au Burundi que sous la colonisation).
Cette confusion des sens, liée aux glissements de l’évolution politico-sociale, a échappé longtemps aux observateurs étrangers, au point de ne voir comme « tutsi » que la petite minorité des cours : « je ne crois guère qu’il y ait plus de vingt mille Batutsi dans le Ruanda », écrivait le père Léon Classe en 1916. Un médecin belge les estime à 7 % de la population du RuandaUrundi encore en 1954. Il faudra attendre les sondages démographiques de 1956 pour faire sortir les chiffes [sic] de 13 à 18 %. Les simples Batutsi étaient comme invisibles.
A aucun moment Jean-Pierre Chrétien ne parle de « définition ethnique ». L’adjectif « ethnique » apparaît, dans ce passage, une seule fois sous sa plume quand il parle de « l’appartenance dite ethnique » (p. 163).
L’expression marque clairement la distance que prend cet auteur avec l’idée que Hutu et Tutsi formeraient des « ethnies ».
Un spécialiste aussi averti que Filip Reyntjens ne peut pas se tromper deux fois coup sur coup, en faisant dire à un auteur le contraire de ce que ce dernier écrit dans son livre, en particulier en ajoutant un mot à une citation. La rigueur scientifique et la probité intellectuelle auraient exigé que Filip Reyntjens expose les raisons pour lesquelles il adhère à la notion d’ « ethnicité politique » développée par Catherine Newbury, alors que Jean-Pierre Chrétien récuse le terme d’ « ethnie » pour catégoriser Hutu et Tutsi.

2. Le forçage d’une citation de Jean Pierre Chrétien pour lui faire cautionner l’idée d’un Rwanda réconcilié sous la présidence Habyarimana
Soucieux de présenter l’image d’une société rwandaise « réconciliée » et en voie de démocratisation au moment de l’attaque du FPR en 1990, afin de mieux accuser ce mouvement d’être à l’origine de la déstabilisation du pays qui a mené au génocide de 1994, Filip Reyntjens tronque une citation de Jean-Pierre Chrétien pour lui faire apporter sa caution à cette vision contraire à la réalité.
Filip Reyntjens écrit, pages 25-26 de son livre :
Ainsi Chrétien remarque-t-il qu’ « un certain effort de réconciliation a été mené par la IIe République du président Habyarimana […], au point de le mettre en difficulté avec des extrémistes [hutu] 2 . » [En note : J.-P. Chrétien, « Pluralisme démocratique, ethnismes et stratégies politiques », in G.Conac (dir.), L’Afrique en transition vers le pluralisme politique, Paris, Economica, 1993, p. 143] Entre 1973 et 1990, on ne note que peu de violences à connotation ethnique. Après leurs expériences sous le précédent régime, de nombreux Tutsi de l’intérieur accueillent favorablement le nouveau pouvoir. Même s’ils restent marginaux politiquement, des Tutsi se taillent une position influente dans le secteur privé et entretiennent d’importantes relations d’affaires avec des membres de l’élite hutu. Cependant, ils souffrent d’une politique informelle (et illégale) de quotas qui n’admettent que 10 % de Tutsi dans l’emploi et l’enseignement postprimaire, même si ces quotas ne sont pas strictement observés.
Jean-Pierre Chrétien avait écrit en réalité :
Le renversement des privilèges tutsi [en 1959-1961] ne s’est donc pas soldé par un abandon de ce clivage archaïque, mais par l’officialisation de celui-ci.
Le résultat est une exclusion officielle des postes de responsabilité d’une minorité statutaire (tutsi) par une majorité également héréditaire (hutu). Même si un certain effort de réconciliation a été mené par la IIe République du président Habyarimana (contrastant avec le sectarisme du régime de Kayibanda), au point de le mettre en difficulté avec des extrémistes, comme l’a révélé le complot du groupe de Théoneste Lizinde en 1980, les quotas ethniques apparaissent comme un tabou, une sorte de référence fondamentale du nouveau régime social, commémorant sa fondation et fondant la position de ses dirigeants.
Le traitement opéré par Filip Reyntjens sur la citation de Jean-Pierre Chrétien appelle plusieurs remarques.
Son lecteur n’a pas connaissance de l’appréciation portée par Jean-Pierre Chrétien sur le régime de Grégoire Kayibanda, président de la République jusqu’en 1973, marqué selon lui par le « sectarisme ».
Filip Reynjens, pour sa part, se contente d’une formulation beaucoup plus neutre et évoque, parlant des Tutsi, « leurs expériences sous le précédent régime », sans plus de précisions.
L’analyse faite par Jean-Pierre Chrétien du rôle fondamental des « quotas ethniques » sous le régime Habyarimana n’est pas reprise par Filip Reyntjens. Là encore, ce dernier en minimise la portée, parlant d’une « politique informelle (et illégale) » quand Jean-Pierre Chrétien en fait une « sorte de référence fondamentale » du régime.
La concession accordée par Jean-Pierre Chrétien (« Même si… ») pour mieux faire part, ensuite, de sa réprobation quant au régime Habyarimana, disparaît, ce qui aboutit à transformer une critique en appréciation positive de ce régime.
Il est clair que, dans sa reprise des propos de Jean-Pierre Chrétien, Filip Reyntjens vise à peindre le régime Habyarimana sous un jour favorable, là où cet historien se montrait au contraire critique.
2 Les crochets sont de Filip Reyntjens.

3. Renverser la responsabilité du génocide de Tutsi en la faisant porter au FPR de Paul Kagame
Tout l’effort de Filip Reyntjens dans son livre vise à relativiser, édulcorer, diluer l’intention génocidaire pour faire la place à une responsabilité du FPR dans le génocide des Tutsi. Cette volonté fallacieuse apparaît de manière éclatante à plusieurs reprises : par l’attribution de l’attentat du 6 avril 1994 au FPR, et ce en contradiction avec les preuves disponibles (3.1), et par un « aveu » extorqué au chef du FPR au moyen d’un montage de citations emboîtées, dont la principale d’entre elles est l’objet d’une manipulation minutieuse (3.2).
3.1. Faire porter au FPR la responsabilité de l’attentat, signal de déclenchement du génocide
Le 6 avril 1994, le Falcon du président Habyarimana est abattu par deux missiles. L’assassinat du chef de l’Etat donne le signal du déclenchement d’un coup et celui du génocide des Tutsi. En 1997, le juge anti-terroriste Jean-Louis Bruguière est chargé d’instruire ce dossier, l’attentat ayant coûté la vie à l’équipage français du Falcon. Jean-Louis Bruguière rend en 2006 une ordonnance qui accuse de ce crime des membres du FPR ayant agi depuis la colline de Masaka, à Kigali. Il lance contre eux des mandats d’arrêt internationaux. Il désigne également le président Paul Kagame, qui est protégé par son immunité de chef d’Etat.
En 2008, le juge Jean-Louis Bruguière est remplacé par le juge Marc Trévidic. Avec sa collègue Nathalie Poux, le juge Trévidic ordonne une expertise balistique à partir des débris du Falcon présidentiel. Les magistrats français se rendent au Rwanda en septembre 2010, accompagnés d’un groupe d’experts judiciaires dont le rapport est communiqué aux parties civiles le 10 janvier 2012.
Selon ce rapport, les missiles ne sont pas partis de Masaka, mais du camp militaire de Kanombe, ou de ses environs. Ce camp militaire était le cantonnement d’unités d’élite des Forces armées rwandaises (FAR).
Six zones de tir possibles ont été retenues par les experts, quatre se situant à Kanombe, dont l’une près de la résidence présidentielle, et deux à Masaka. Dans leur conclusion, les experts notent que Masaka offrait les positions de tir idéales :
Positions de tir MASAKA […]
Ces deux positions offrent l’avantage d’une bonne acquisition du rayonnement infrarouge émis par les réacteurs.
C’est la meilleure position de toutes celles que nous avons étudiées. [souligné dans le rapport] (p. 311) Ils excluent pourtant que les missiles soient partis de cet endroit car, depuis Masaka :
[…] le missile ne peut pas impacter le dessous le l’aile. Il ne peut que percuter le réacteur gauche ou celui de l’arrière. Or, cela n’a pas été le cas, compte tenu de l’examen des débris montrant que les trois réacteurs ont été épargnés par les effets de l’explosion du missile. (p. 312)
Bien qu’ils considèrent que depuis les « [p]ositions de tir camp de KANOMBE », […] [e]n matière de rayonnement infrarouge « vu » par l’autodirecteur, l’accrochage de la cible peut être plus difficile que pour les positions MASAKA. » (p. 312), les experts concluent :
Le faisceau de points de cohérence qui se dégage des études que nous avons conduites nous permet de privilégier comme zone de tir la plus probable, le site de KANOMBE [souligné dans le rapport]. Dans cette zone s’inscrivent les positions 2 et 6 (la position 1 ayant été écartée précédemment) c’est-à-dire le cimetière actuel et le bas du cimetière, sur un espace compris entre les façades arrière des trois maisons des ressortissants belges dont celle des époux PASUCH, et le sommet de la colline surplombant la vallée de NYAGARONGO [sic].
Le fait que nous privilégiions ces deux positions 2 et 6 ne signifie pas que les missiles n’ont pas pu être techniquement mis en œuvre dans un périmètre un peu plus étendu. Nous considérons qu’une zone étendue vers l’Est et le Sud, de l’ordre d’une centaine de mètres voire plus, sous réserve d’avoir un terrain dégagé vers l’axe d’approche de l’avion, peut être prise en compte. (p. 313)
Cette conclusion est corroborée par les témoignages d’un officier français et d’officiers belges qui disent aux magistrats instructeurs avoir entendu le souffle de départ des missiles depuis leurs résidences au camp de Kanombe.
Ainsi, le commandant français Grégoire de Saint-Quentin confirme avoir entendu « les deux départs de coups assez rapprochés », sans qu’il puisse dire s’il s’agit « d’une arme anti-aérienne ou d’une arme de tir à terre ». Après ces départs de coups, il a entendu une explosion plus importante et s’est rendu à la fenêtre.
Sur les deux premières détonations, à la question posée par les magistrats instructeurs, il a répondu : « je me réfère à mon « catalogue », dans la mesure où j’ai entendu pas mal de départs de coups dans ma vie. Je dirais entre 500 et 1000 mètres. C’était suffisamment proche pour que je crois que l’on attaquait le camp. » Sur la première explosion il déclare : « avec les flammes, j’aurais dit 500 mètres. Je ne peux dire l’endroit d’où provient cette plus forte explosion ». (p. 34 du rapport d’expertise)
Il ne fait pas de doute que Filip Reyntjens avait connaissance de ce rapport d’expertise puisqu’il en critique sévèrement les conclusions dans une tribune publiée par Le Monde le 31 janvier 2012 et intitulée « Attentat de Kigali :  »la vérité a gagné » ? ».
Pourtant, dans les pages qu’il consacre à l’attentat du 6 avril 1994, Filip Reyntjens passe sous silence l’expertise matérielle ordonnée par les juges Trévidic et Poux, alors même qu’il écrit que ces juges « procèdent à de nouvelles enquêtes » :
En mars 1998, une information judiciaire est ouverte pour assassinat en relation avec une entreprise terroriste. Le dossier est confié au juge Jean-Louis Bruguière qui, en novembre 2006, désigne le FPR comme auteur de l’attentat et décerne des mandats d’arrêt internationaux contre neuf officiels rwandais.
Le président Kagame bénéficie de l’immunité accordée en France aux chefs d’Etat en exercice et ne peut être poursuivi. Bruguière suggère que le TPIR [Tribunal pénal international pour le Rwanda] soit saisi de son cas. Bruguière partant à la retraite en 2008, les juges Marc Trévidic et Nathalie Poux procèdent à de nouvelles enquêtes. Cependant, même si un faisceau d’indications désigne le FPR comme auteur de l’attentat, rien de décisif ne semble en sortir, et au moment où sont écrites ces lignes, aucune décision – renvoi devant la cour d’assises ou non lieu – n’a été prise. (p. 45-46)
Par la juxtaposition des deux dernières phrases, Filip Reyntjens manipule le lecteur en lui laissant entendre que les « nouvelles enquêtes » ont abouti à « un faisceau d’indications » qui « désigne le FPR comme auteur de l’attentat », alors que c’est l’inverse : le rapport d’expertise remis aux juges Trévidic et Poux, qu’il occulte, fait partir les missiles du camp militaire de Kanombe ou de ses environs immédiats, et non de la colline de Masaka, comme l’écrit Filip Reyntjens ensuite :
A part des tueries commises par l’armée à Masaka, une colline près de l’endroit où les missiles ont été tirés, Kigali reste remarquablement calme après l’attentat, mais c’est le calme avant la tempête.
En 1994, le camp militaire de Kanombe était le cantonnement de plusieurs unités d’élite des Forces armées rwandaises. Jouxtant la résidence présidentielle, il est impossible qu’un commando du FPR ait pu s’y infiltrer.
Le fait que les missiles aient été tirés du camp ou de ses abords immédiats exclut pratiquement que l’attentat du 6 avril 1994 ait pu être commis par le FPR, et désigne très vraisemblablement comme auteurs des officiers extrémistes hutu.
3.2. Faire avouer à Paul Kagame qu’il a délibérément sacrifié les Tutsi de l’intérieur pour arriver au pouvoir. Évoquant les responsabilités de différents acteurs dans le génocide (les extrémistes hutu, la communauté internationale, la France) Filip Reyntjens écrit, à propos du FPR (p. 84-85) :
La responsabilité du FPR n’est pas juridique, mais historique et politique. Au moment d’attaquer en octobre 1990, il ne pouvait ignorer, à la lumière des expériences du passé, que l’attaque mettrait en péril de façon aiguë les Tutsi de l’intérieur. Alors qu’initialement, nous l’avons vu, ceux-ci sont victimes de menaces et d’emprisonnement, voire dans quelques cas de tueries, le risque du génocide est présent dès le début, même s’il n’est pas inéluctable.
En commettant des attentats et des meurtres politiques et en adoptant une stratégie de la tension, le FPR pratique une politique extrêmement périlleuse dont les extrémistes tirent parti pour entreprendre leur politique du pire. Le FPR a donc pris un risque considérable. Selon Kuperman, « les rebelles s’attendaient à provoquer des représailles génocidaires, mais ils voyaient là un prix acceptable pour atteindre leur objectif, le pouvoir. »
Quand, pendant le génocide, le général Dallaire demande à Kagame de déployer ses hommes pour sauver des Tutsi menacés, il lui répond : « Cette guerre sera la cause de bien des sacrifices. Si les réfugiés doivent être sacrifiés pour la bonne cause, on considérera qu’ils étaient inclus dans ce sacrifice. » Guichaoua se pose la question de savoir si le FPR a sous-estimé ou intégré le risque de génocide.
Après avoir analysé plusieurs hypothèses, sa conclusion est sévère : « [Le FPR] n’est pas entré en guerre ni ne l’a conduite pour « sauver les Tutsi », il s’est emparé par la force du pouvoir à Kigali au prix de la vie de ses compatriotes. »
La citation du général Dallaire rapportant les propos du général Kagame est insérée entre deux citations (respectivement de A. Kuperman et d’André Guichaoua) affirmant que le FPR a délibérément sacrifié les Tutsi de l’intérieur pour parvenir au pouvoir. Les propos de Paul Kagame revêtent pour le lecteur l’apparence d’un aveu qui corrobore les assertions de Kuperman et de Guichaoua.
Or, Roméo Dallaire écrit exactement ceci (J’ai serré la main du diable. La faillite de l’humanité au Rwanda, Outremont, 2003, p. 451) :
J’ai fait part de mes inquiétudes au général [Kagame] à propos du sort des Tutsis et des Hutus modérés bloqués à l’hôtel des Mille Collines ; Bizimungu [chef d’état-major des Forces armées rwandaises (FAR)] avait menacé de les tuer si le FPR n’arrêtait pas de bombarder les positions de l’AGR [armée gouvernementale rwandaise, c’est-à-dire les FAR] à l’intérieur de la ville.
Kagame était pragmatique, l’image parfaite du guerrier qui sait garder son sang-froid. « Ils continuent d’utiliser leur éternel chantage, mais ça ne fonctionne plus, a-t-il souligné. Cette guerre sera la cause de bien des sacrifices. Si les réfugiés doivent être sacrifiés pour la bonne cause, on considérera qu’ils étaient inclus dans ce sacrifice. ».
Le contexte des propos de Paul Kagame est transformé sur plusieurs points essentiels :
 Filip Reyntjens écrit que le général Dallaire demande au général Kagame « de déployer ses hommes pour sauver des Tutsi menacés ». Or, le général Dallaire ne demande rien de tel : il « fait part des [ses] inquiétudes à propos du sort » de réfugiés.
 Ces réfugiés ne sont pas « des Tutsi », puisqu’il s’agit des « Tutsis et des Hutus modérés bloqués à l’hôtel des Mille Collines ». Rappeler au lecteur que des Hutu faisaient partie de ces « réfugiés » aurait contraint à expliciter le contexte des propos de Paul Kagame.
 Car le général Kagame se réfère à une situation précise, où la décision de sacrifier des centaines de civils peut trouver une explication dans le contexte d’une opération militaire de plus grande envergure visant à mettre fin au génocide et à éviter des massacres plus importants encore. Mais expliquer au lecteur ce contexte bien particulier aurait fait s’écrouler la construction des propos de Paul Kagame comme aveu de cynisme à l’égard du sort des Tutsi de l’intérieur.
 Mais il y a plus grave. Il est remarquable que le général Dallaire relate dans son livre que c’est le général Bizimungu, chef d’état-major des FAR, qui menace de tuer les Hutu modérés et les Tutsi réfugiés à l’hôtel des Mille Collines, ce qui correspond à la réalité du génocide en train d’être commis sous l’égide du gouvernement intérimaire par une partie des FAR, les milices et une partie de la population hutu.
Après le traitement que Filip Reyntjens fait subir à la citation de Roméo Dallaire, le lecteur aboutit à l’idée exactement inverse : c’est Paul Kagame qui a pris en connaissance de cause la responsabilité de l’extermination des Tutsi pour conquérir le pouvoir.
L’emboîtement des trois citations (Kuperman – Dallaire modifiée par Reyntjens – Guichaoua) produit l’effet suivant sur le lecteur : la citation de A. Kuperman le prépare à interpréter la citation de Kagame rapportée par Dallaire dans le sens d’un manque absolu de considération pour la mort des Tutsi de l’intérieur ; puis la citation d’André Guichaoua vient corroborer ce que le lecteur a déduit et enfoncer le clou.
Autrement dit, après avoir transformé son contexte, Filip Reyntjens insère la citation de Paul Kagame entre deux autres citations affirmant explicitement que le FPR a sacrifié les Tutsi de l’intérieur pour arriver au pouvoir, ce qui a pour effet de faire apparaître les propos de Paul Kagame comme un aveu.
Les quatre manipulations simultanées du contexte de la citation de Roméo Dallaire et l’emboîtement des propos de Paul Kagame entre deux affirmations que le FPR s’est emparé par la force du pouvoir à Kigali au prix de la vie des Tutsi ne peuvent résulter d’une erreur ou être dues au hasard. La falsification est délibérée.
Elle aboutit en l’espèce à inverser la responsabilité du génocide des Tutsi pour l’attribuer au FPR.
Les malversations intellectuelles graves et répétées auxquelles se livre Filip Reyntjens pour tromper son lecteur sont des méthodes de faussaire qui l’excluent ipso facto du champ de la recherche historiographique honnête et sérieuse concernant le génocide des Tutsi au Rwanda.

(1) Filip Reyntjens transforme la citation de Jean-Pierre Chrétien. La parenthèse « (ethnique) » est ajoutée par lui.
(2) Là encore, Filip Reyntjens fait dire à Jean-Pierre Chrétien autre chose que ce qu’il dit dans son ouvrage.

http://survie.org/IMG/pdf/Les_malversations_intellectuelles_du_professeur_Reyntjens_19_sept_2017.pdf
Posté le 26/09/2017 par rwandaises.com