Dans « Rwanda demain », l’historien Jean-Paul Kimonyo, conseiller à la présidence, raconte de l’intérieur comment Paul Kagame modernise à grands pas un petit pays rural dévasté en 1994 par le génocide des Tutsi.

En 2012, le World Value Survey posa une question cruciale aux habitants de « Pays des mille collines » : « Pensez vous que « s’ils en avaient l’opportunité, certains Rwandais essayeraient de commettre à nouveau le génocide ? »

La réponse provoqua une profonde déception à la présidence : « 40% des personnes interrogées dans le Baromètre de la réconciliation répondirent par l’affirmative. Les 18-34 ans étaient ceux qui le croyaient le plus (43%) : ensuite, plus les répondants étaient âgés, moins ils le croyaient. Les plus de 65 ans y croyaient tout de même à 29% ».

Le sondage intervenait après la fermeture définitive des tribunaux populaires Gacaca, une thérapie massive engagée fin 2002 pour solder les comptes du génocide. Tourner cette page est un combat sans cesse renouvelé du président du Rwanda, que Jean-Paul Kimonyo nous fait vivre de l’intérieur du régime.

Historien de formation, lui-même a produit en 2008 un ouvrage de référence, « Rwanda, un génocide populaire » (Ed Karthala). S’appuyant sur les archives de deux communes, Kimonyo exposait les raisons et les conditions de l’extermination dans les préfectures de Butare et de Kibuye (des régions où les Tutsi étaient nombreux). Ce livre était une restitution au grand public de la thèse de doctorat qu’il avait soutenue en 2003 à l’université du Québec à Montréal.

Devenu conseiller à la présidence du Rwanda, Jean-Paul Kimonyo est évidemment partie prenante au chantier engagé par Paul Kagame à la fois pour éradiquer l’idéologie du génocide et transformer de fond en comble un pays misérable et rural en un Etat moderne et relativement prospère. Sous le costume du conseiller, l’historien a conservé distance et précision.

Dans une première partie, Jean-Paul Kimonyo éclaire les antécédents de la catastrophe de 1994, en apportant des informations peu connues sur la genèse du Front patriotique rwandais (FPR). Une seconde partie intitulée « lendemains de catastrophe » est l’occasion de tordre le cou à pas mal d’idées reçues. L’auteur rappelle, chiffres à l’appui, l’incompréhension de la communauté internationale face aux urgences de la reconstruction. Ainsi que les erreurs des premières années du nouveau régime. Maîtrisant parfaitement l’anglais, Jean-Paul Kimonyo restitue auprès du public francophone la riche production des auteurs anglo-saxons sur le Rwanda contemporain. Ainsi, sa contextualisation du « Rapport Gersony » (une extrapolation sur les crimes de guerre du FPR en 1994) permet de clore un débat qui a alimenté bien des polémiques (pages 152 à 157). Kimonyo rappelle aussi comment les ex-Forces armées rwandaises et les miliciens Interahamwe réfugiés au Zaïre (actuelle RDC) ont profondément déstabilisé le régime rwandais par leurs attaques au nord du pays. Et provoqué une quasi-insurrection de la région entre 1995 et 1996, ce qui a amené le nouveau régime à décider d’attaquer les camps de réfugiés pour imposer leur retour par la force.

En Occident, la diabolisation de Paul Kagame, présenté comme le deus ex machina d’une conspiration pour acquérir un pouvoir absolu, a occulté la réalité d’une reconstruction d’abord erratique. S’appuyant sur une riche documentation, Jean-Paul Kimonyo relève les contradictions des premières années du nouveau régime, notamment le retour des grands maux du sous-développement : népotisme, favoritisme, corruption, incompétence, faible performance de services de l’Etat. En 1998, l’opinion publique commençait à se retourner contre les autorités. Les conflits au sein du pouvoir aboutirent à l’interdiction du MDR. Dans le cadre du respect des Accords d’Arusha, le parti de Faustin Twagiramungu avait le statut de représentant privilégié de la « société civile » mais ne parvenait pas à régler ses conflits internes entre aile dure et pragmatiques.

La fin de la seconde partie et la troisième partie du livre de Jean-Paul Kimonyo, malheureusement la plus courte, sont passionnantes. Elles racontent de l’intérieur la « méthode Kagame » pour « l’avènement du nouveau Rwanda ». L’auteur s’appuie sur les débats des séminaires organisés au plus haut niveau et notamment « Kicukiro II », en décembre 1998. Les participants n’éludent aucune question qui fâche. « Pendant le passage en revue du secteur de la justice, la question des fausses accusations de participation au génocide et d’emprisonnements abusifs pour s’accaparer des biens des accusés suscita une discussion houleuse et fit dévier le débat. Il échappa à son carcan habituel pour s’appesantir sur les questions d‘injustice, d’abus de confiance et de corruption. La discussion s’attarda longuement sur la question de l’akazu. » Paul Kagame prend ensuite la parole… et donne raison aux accusateurs, contre les hiérarques du régime (pp. 203-204). S’ensuit une purge qui n’épargne ni ministres ni compagnons de route. Les progrès en matière de gouvernance font passer le Rwanda du rang d’un des pays africains les plus corrompus au rang des quatre plus vertueux.

Jean-Paul Kimonyo montre que le processus de décision s’appuie sur des enquêtes d’opinion fines et régulières et des instances de gouvernance peu connues mais très efficaces, comme l’auditeur général, qui contrôle notamment le Trésor public et le secteur bancaire. Sur le long chemin de la transformation socio-économique on découvre au fil des pages un Paul Kagame parfois lyrique. Mis en cause pour consacrer trop de ressources à embellir Kigali, le président de la République explique que la beauté des villes est un facteur de redressement économique. Les progrès socio-économiques sont spectaculaires. En l’an 2000, 40 % des Rwandais se trouvaient en situation d’extrême pauvreté, un taux passé à 16 % en 2014. Dans le même laps de temps, l’espérance de vie passe de 48 à 64 ans. « Entre 1990, année de la création de l’index de développement humain des Nations-unies et 2014, le Rwanda fut au niveau mondial celui qui fit le plus de progrès. Enfin, entre 2001 et 2014, le PIB a connu une croissance de 8%, l’une des plus rapides au monde ».

Reste la question de l’extermination des Tutsi, qui hante toujours les esprits. Dans son précédent ouvrage, Jean-Paul Kimonyo a décrit les ravages de ce « génocide populaire » où les voisins tuent leurs voisins. Dans un sondage de 2007 de World Value Survey, à la question « Peut-on faire confiance à la plupart des gens », il n’était pas étonnant que les Rwandais expriment un des plus bas taux de confiance sociale au monde : seulement 5% de réponses affirmatives. De nouvelles mesures furent prises pour renforcer la confiance et éradiquer l’idéologie du génocide. Elles donnèrent lieu à des abus, qu’il fallut corriger. Jean-Paul Kimonyo montre que l’exercice du pouvoir, au Rwanda particulièrement, n’est pas un sentier pavé de pétales de roses. Hésitations, avancées, reculs, réglages, avec pour horizon un cap intangible, « Rwanda demain » nous fait pénétrer dans les entrailles du pouvoir. Le processus de décision est régulièrement validé par des sondages d’opinion. En 2012 la confiance des Rwandais dans « la plupart des gens » réapparaissait : 17 % de réponses favorables, un des meilleurs taux de l’Afrique subsaharienne.

Réputé d’une rare intransigeance, sur le génocide, Paul Kagame se montre pragmatique : « La question du génocide est complexe. Il faut l’appréhender en regardant le futur du pays, en évitant d’être otages des émotions, des sentiments ou de la technicité, en ayant un sens du sacrifice. » Au sein du régime, les discussions sont souvent vives.

Le portrait, souvent en filigrane, de Paul Kagame, est un des révélations du livre de Jean-Paul Kimonyo. Celui d’un homme passionnément épris de son pays et qui a résolu à lui rendre sa fierté.
L’auteur rapporte une rencontre significative avec les jeunes en 2014. « Dans un souci de transmission à la jeunesse, le président Kagame s’est mis à théoriser et à populariser cette quête à travers la notion d’agaciro (dignité) » : “C’est d’agaciro dont il s’agit, de la valeur de soi. Et nous, Rwandais, nous comprenons que de notre histoire, de la tragédie que nous avons vécue il y a vingt ans, et de l’histoire de cette tragédie, nous sommes en mesure de comprendre la pleine signification de l’estime de soi parce que pendant longtemps, nous en avons été privés. La privation de l’estime de soi nous a appris à lui donner tout son sens. C’est pourquoi, quoi que nous fassions, nous avons toujours quelque part à l’esprit ce sens de la valeur de soi : c’est la dignité, c’est agaciro.” »

Dans l’espace francophone non-africain, le Rwanda et son président sont l’objet de beaucoup de fantasmes et, récemment, d’un accès de « Kagame bashing ». L’ouvrage de Jean-Paul Kimonyo permet de revenir à la réalité, celle d’un pays et d’un peuple qui méritent compréhension et considération. Celle d’un grand dirigeant panafricain peu sensibles aux critiques néocolonialistes, dans la lignée des Patrice Lumumba, Thomas Sankara, Kwamé Nkrumah et quelques autres. Car relever les lourds défis de la modernisation de l’Afrique, c’est comme s’allonger sur une planche bardée de clous flottant sur un marigot de larmes de crocodiles.

Jean-Paul KIMONYO, Rwanda demain ! Une longue marche vers la transformation, Ed. Karthala, Paris, octobre 2017, 312 pages, 25 €.

Redigé par Christophe Rigaud

Posté le 06/11/2017 pr rwandaises.cm