Alain Juppé, soumis à la ligne de François Mitterrand, n’a pas pris les mesures en son pouvoir pour stopper le génocide des Tutsi et arrêter les responsables. Il n’a eu ni l’intelligence de la situation, ni le courage pour demeurer fidèle à la vérité et au droit humain. Par Jean-Pierre Cosse *

La crise rwandaise a des racines historiques. Dans les années trente, la colonisation belge et l’Eglise catholique séparèrent les Hutu et les Tutsi, deux groupes sociaux qui parlaient la même langue, partageaient la même culture. Ils fabriquèrent l’idéologie ethniste en attribuant à la petite aristocratie tutsi des qualités et des fonctions supérieures et en provoquant un complexe d’infériorité  chez les Hutu.  La mention ethnique fut inscrite sur la carte d’identité.

En 1960, l’élite tutsi, gagnée par les idées d’indépendance, voulut se débarrasser de la tutelle belge et enlever à l’Eglise catholique le monopole de l’enseignement. Alors, l’administration coloniale belge et la hiérarchie catholique changèrent totalement leurs alliances en donnant aux Hutu les fonctions administratives et militaires. Et même, la police belge aida les extrémistes hutu à chasser les Tutsi ; leurs maisons furent brûlées et près de 400 000 Tutsi durent quitter le pays et trouver refuge dans les pays voisins. Quand ils tentèrent de revenir dans leur région, la répression fut sanglante. En 1963, à Kibungo, on compta 23 000 victimes tutsi. Et pendant 30 ans, on mit dans la tête des paysans hutu que le Tutsi était un étranger, qu’il fallait s’en débarrasser, qu’il n’y avait qu’à l’écraser comme un cancrelat. Et, périodiquement, on habituait les gens à tuer des Tutsi.

En 1990, l’envoi par François Mitterrand d’un contingent militaire au Rwanda, à la demande du dictateur Habyarimana qui devait faire face à l’armée de réfugiés (en majorité tutsi), sous la bannière du Front Populaire Rwandais, était sans fondement. Le président français s’obstina, équipa, forma l’armée rwandaise et même, sous l’influence des militaires coloniaux, prépara des miliciens aux méthodes de la « guerre révolutionnaire ». Pourtant des négociations, dés 1991, s’engagèrent entre des représentants du gouvernement rwandais et des responsables du FPR. Lors qu’il fut nommé en avril 1993, ministre des Affaires étrangères, au sein du gouvernement de cohabitation d’Edouard Balladur, Mitterrand restant président, Alain Juppé se montra favorable à des accords de paix. Le 4 août, ils furent signés à Arusha, mais Habyarimana le fit à contrecœur.

Et pendant des mois, il refusa d’installer les nouvelles institutions que prévoyaient les accords, soutenu par les radicaux hutu, qui avaient, curieusement, l’appui de l’ambassadeur français, Jean-Michel Marlaud. Alain Juppé se taisait, même lorsque plusieurs personnalités politiques furent assassinées. Il ne réagit pas non plus, lorsque la Mission militaire de l’Onu au Rwanda, arrivée fin octobre 1993 pour remplacer le contingent français, apparut sans moyens, impuissante, au début de 1994, pour arrêter les miliciens qui contrôlaient la rue et distribuaient les armes. La diplomatie française se refusa à renforcer militairement le contingent de l’Onu. Habyarimana ajournait toujours l’installation d’un gouvernement de coalition et la France jugeait que l’ennemi, c’était toujours le FPR. Pas de réactions non plus, lors des assassinats en février de dizaines de Tutsi. Une explosion apparaissait alors imminente. L’ambassadeur français soutenait en cachette les radicaux hutu hostiles aux accords d’Arusha. On put considérer alors qu’Alain Juppé suivait la stratégie de François Mitterrand.

Habyarimana convoqué, le 6 avril 1994 en Tanzanie par les chefs d’Etat des pays limitrophes doit se résigner à installer les nouvelles institutions. Le soir, à 20 h30, lors de son retour à Kigali, son avion est victime d’un attentat, il est tué. Une demi-heure après, la garde présidentielle commence à massacrer des Tutsi dans les rues de Kigali. Le lendemain, la Première ministre Agathe Uwilungiyimana est assassinée ainsi que plusieurs ministres de son gouvernement. Dans la journée, 10 soldats belges sont exécutés par des militaires rwandais, afin de chasser le contingent belge de l’Onu. Le colonel Bagosora constitue un gouvernement composé uniquement d’extrémistes hutu avec l’accord de l’ambassadeur français. Edouard Balladur  a rejeté l’intervention militaire proposée par le Général Quesnot, mais l’Elysée accuse le FPR d’être responsable de la mort du président Rwandais et il favorise l’évacuation en France de Mme Habyarimana et des dignitaires du régime. Le FPR ne réagit pas tout de suite, proposant, sans succès, à la Minuar et au gouvernement rwandais d’arrêter les premiers tueurs. Ce n’est que le 11 avril que son armée s’approchera de Kigali. Le même jour,  à Bordeaux, le ministre des Affaires étrangères français répète : «  Nous avons beaucoup fait pour ce pays… Il ne nous appartient naturellement pas de mener une action militaire au Rwanda. C’est à l’Onu, à l’OUA de prendre leurs responsabilités en ce domaine. »

C’est aussi le 11 avril que le GIR réunit les préfets et déclenche les massacres de Tutsi sur tout le pays. Ainsi, le Conseil de sécurité, les forces belges et françaises d’évacuation abandonnent les Tutsi de l’intérieur aux tueurs. Les chefs d’Etat voisins et l’OUA espèrent que la Minuar va être renforcée et s’interposera pour stopper les massacres. Au conseil restreint, le 13 avril, autour de François. Mitterrand, Alain Juppé propose, au contraire, de réduire le contingent de la Minuar, un maintien symbolique pour empêche la Minuar d’être opérationnelle et donner au représentant de l’Onu la simple fonction de préparer un cessez-le-feu. Le 21 avril 1994, la résolution 912 de l’Onu ramène à 270 soldats le contingent de la Minuar Le champ est libre pour les exterminateurs.

François Mitterrand et Alain Juppé vont continuer à montrer un double visage. Ils font croire qu’il s’agit d’une guerre civile, alors qu’ils savent qu’à côté du théâtre des opérations militaires entre forces gouvernementales et FPR, se développe, sur un territoire voisin un massacre systématique d’innocents, les Tutsi de l’intérieur sans défense, jugés « ibyiitso », complices des rebelles. Les médias sont contrôlés et ne parleront que de combats ethniques. En même temps, ils continuent à livrer des armes à l’armée génocidaire et à soutenir diplomatiquement le GIR : le 27 avril, le délégué de la cellule de l’Elysée, le Premier ministre et Alain Juppé reçoivent à Matignon le ministre des Affaires étrangères d’un régime qui organise l’extermination des Tutsi et des démocrates hutu.

A la mi mai, les responsables de Médecins Sans Frontières, qui ont vu leur unité de soignants massacrée, contraints de rentrer en France, dénoncent le soutien militaire et politique de la France aux assassins. C’est alors que le ministre français des Affaires étrangères déclare, le 15 mai, à Bruxelles que ce qui se passe au Rwanda « mérite le nom de génocide », mais, deux jours après, dans sa déclaration il introduit deux mensonges : ce serait, dit-il, à la suite de l’attaque militaire du FPR que les Rwandais se sont livrés à des massacres de civils. : c’est faux, les tueries, commencées le 6 avril, au soir, ont précédé le conflit armé qui a débuté le 11. Et il ajoute que cela a provoqué « la généralisation des massacres » : faux : du côté FPR, il n’y a pas extermination de civils. De toute manière, les paroles du ministre sont sans effet, et ne sont pas reprises, le lendemain ni par le Quai d’Orsay, ni par le représentant de la France à l’Onu.

Pendant 3 à 4 semaines, encore, la mise à mort d’innocents ne cesse pas. Ce n’est que devant la progression accélérée de l’armée du FPR sur le pays qu’Alain Juppé, soutenu cette fois par Edouard Balladur, fait pression sur François Mitterrand pour une intervention militaire de la France seule, appelée opération Turquoise. Pour faire taire les critiques ils annoncent qu’ils vont arrêter les massacres et sauver les Tutsi. Quel fut le résultat ? Au camp de Nyarushishi, les militaires français sauveront 8 à 9 mille Tutsi, mais à Bisesero des officiers français abandonneront aux miliciens près de deux mille. L’armée française n’a pas de camions pour aller chercher dans les collines les Tutsi qui se cachent. De plus, l’ordre a été donné aux militaires de Turquoise de s’entendre avec les préfets et les bourgmestres, or ce sont eux qui dirigent l’extermination. Les massacres ne sont donc pas arrêtés. Et la France n’a sauvé  que peu de Tutsi, dit Alison Des Forges, deux fois moins que la poignée de soldats de l’Onu commandée par Dallaire. Sous couvert d’humanitaire, l’objectif de la stratégie de Mitterrand et Juppé était d’empêcher une victoire complète du FPR, mais ils arrivent trop tard, l’armée des réfugiés les a pris de vitesse. Comme le dit Colette Braeckman, « l’opération turquoise est le sommet de la manipulation humanitaire ».

Par deux fois, Alain Juppé avait promis d’arrêter les coupables, le 15 juin dans l’article de Libération et le 2 juillet dans l’article du Monde. Voilà que le 15 juillet 15 ministres du gouvernement du génocide sont réfugiés dans la zone tenue par l’armée française. A deux reprises, l’ambassadeur Gérard lui demande l’autorisation de les arrêter, Il hésite et le 16 juillet, il y renonce. Patrick de Saint-Exupéry découvrira plus tard que les responsables génocidaires seront évacués dans le pays voisin, au Zaïre par des militaires français. Déjà les chefs militaires avaient évacué leur armement lourd, de façon à reconstituer leur force et prendre leur revanche. Cela entraînera la guerre du Kivu .

Alain Juppé, soumis à la ligne de François Mitterrand, n’a pas pris les mesures en son pouvoir pour stopper le génocide des Tutsi et arrêter les responsables. Son rôle ne fut pas subalterne. Il a été le porte-parole d’une politique africaine calamiteuse. Au moment de l’opération Turquoise, en juin 1994, Mitterrand dut se retirer pour être opéré une deuxième fois. L’ancien ministre des Affaires étrangères avait le champ libre pour agir. Il n’a eu ni l’intelligence de la situation, ni le courage pour demeurer fidèle à la vérité et au droit humain. 23 ans après, comme Hubert Védrine, comme l’amiral Lanxade, comme Bruno Delay, il continue à s’enliser dans le déni de la réalité rwandaise.

*Jean-Pierre Cosse, auteur d’Alain Juppé et le Rwanda (éd. L’Harmattan, 570 pages, 2014),et de Génocide des Tutsi, l’Imposture, Alain Juppé et le Rwanda (éd. L’Harmattan, décembre 2017)

http://www.rwanda-podium.org/index.php/actualites/politique/2287-genocide-contre-les-tutsi-l-imposture-d-alain-juppe-lors-du-genocide-des-contre-les-tutsi-du-rwanda

Posté le 30/12/17 par rwandaises.com