C’est ainsi que le président Paul Kagame du Rwanda a été choisi comme leader de la réforme. Il s’est entouré d’une équipe d’experts. Il a soumis en janvier 2017 des propositions de réforme qui ont été adoptées par les chefs d’Etat. Par Sainclair Mezing

Pr Pierre Moukoko Mbonjo, chef de l’Unité de mise en oeuvre de la réforme institutionnelle de l’Union africaine.

Depuis octobre 2017 vous officiez comme chef de l’Unité de mise en oeuvre de la réforme institutionnelle de l’Union africaine (UA). En quoi consiste votre mission ?
Je ne saurais commencer cette interview, qui est la première, sans exprimer ma gratitude à l’endroit du président de la République, Paul Biya, qui a bien voulu marquer son très haut accord pour ma nomination à cette fonction et j’en profite aussi pour réitérer mes remerciements à Mr Moussa Faki Mahamat, président de la Commission de l’Union africaine, qui a bien voulu me confier cette importante mission. Les mêmes remerciements vont également au président Paul Kagame qui est le leader de la réforme et qui m’a adoubé pour ce travail. L’Unité dont j’ai la charge travaille sur la base d’un document de référence qui est la Décision 635 prise en janvier 2017 par les chefs d’Etat et de gouvernement. C’est la boussole de la reforme.
Notre mission consiste à concevoir et à élaborer des propositions concrètes de mise en oeuvre de cette Décision. Cette Unité a été mise en place à la suite d’un constat fait par les chefs d’Etat : les tentatives de reformes précédentes n’ont pas abouti faute, entre autres, d’un mécanisme efficace de supervision et de mise en oeuvre. D’où la décision de désigner, un de leurs pairs qui soit chargé de la supervision du processus. C’est ainsi que le président Paul Kagame du Rwanda a été choisi comme leader de la réforme. Il s’est entouré d’une équipe d’experts. Il a soumis en janvier 2017 des propositions de réforme qui ont été adoptées par les chefs d’Etat.
Il a également sollicité d’avoir à ses côtés le président en exercice de l’Union, Idriss Deby Itno du Tchad, et le prochain président en exercice, Alpha Conde de Guinée pour un meilleur suivi de la réforme. C’est ainsi qu’a été constituée une troïka chargée de la supervision de tout le processus. La même décision de janvier 2017 a prévu la création d’une unité de mise oeuvre de la reforme auprès du président de la Commission, devant s’atteler sous la supervision de celui-ci, à coordonner, au plan opérationnel, la mise en oeuvre de la réforme.

Votre arrivée au sein de l’institution panafricaine coïncide avec d’importantes mutations en cours en son sein. Pourquoi la réforme et en quoi consistet- elle?
La réforme de l’Union africaine découle d’une triple nécessité. D’abord, la nécessité, voire l’urgence d’une autonomie financière. A ce jour, le budget de l’Union est financé très majoritairement par les partenaires extérieurs, plus de 95% du budget de fonctionnement à titre d’illustration. Ensuite, la nécessité de rendre l’Union plus performante et plus proche des populations africaines, notamment en renforçant le rôle des femmes, des jeunes et du secteur privé.
Enfin, la pressante nécessité d’améliorer de manière substantielle, le taux d’exécution des décisions prises par les chefs d’Etat et de gouvernement qui à ce jour, est très faible sur environ 1700 décisions prises depuis la création de l’Union africaine en 2002 moins de 10% ont été exécutés par les Etats membres et les organes de l’Union. Au vu de ce qui précède, la réforme apparait comme un impératif catégorique pour la crédibilité de l’Union africaine en tant qu’institution capable de se prendre en charge, de répondre aux aspirations légitimes des populations africaines et de faire appliquer et respecter les décisions prises sommet par sommet.
La réforme s’articule autour de six domaines prioritaires suivants :
Premièrement, l’Union doit se concentrer sur un nombre limité de questions que sont les affaires politiques, la paix et la sécurité, l’intégration économique, la représentation globale du continent de manière à ce que l’Afrique parle d’une seule voix sur la scène internationale. Le reste de questions doivent être traitées au niveau des Etats membres et des huit Communautés économiques régionales que sont la CEEAC pour l’Afrique centrale; la CEDEAO pour l’Afrique de l’Ouest, l’UMA pour le Maghreb, la SADEC pour l’Afrique australe, la COMESA, l’EAC et l’IGAD pour l’Afrique de l’Est et la CEN-SAD pour les Etats saharo sahéliens. Ceci entraine comme conséquence, l’obligation de bien définir une division du travail claire entre ces différents niveaux décisionnels selon le principe de subsidiarité (ce qui peut être bien fait à un échelon inferieur doit être laissé à ce niveau).
Deuxièmement, les institutions de l’Union doivent être réorientées vers l’atteinte des objectifs liés aux questions clés énoncées ci-dessus.
Troisièmement, l’Union africaine doit être plus connectée aux citoyens africains, c’est-à-dire plus proche des populations afin de susciter leur intérêt à ses activités, leur adhésion, afin qu’elles se sentent plus concernées par ce qu’elle fait et développer aussi progressivement une culture et une conscience panafricaines fortes.
Quatrièmement, l’Union africaine doit être mieux gérée au plan politique et au plan opérationnel.
Cinquièmement, l’Union doit bénéficier d’un financement autonome et soutenu de la part des Etats membres afin de couvrir 100% du budget de fonctionnement, 75% du budget consacré aux divers programmes et 25% du budget consacré à la paix et la sécurité. Sur ce dernier point, le Conseil de sécurité des Nations unies examine en ce moment la possibilité de prendre en charge les 75% restants, conformément à ses obligations contenues dans la Charte des Nations unies. Sixièmement, l’Union doit adopter un mécanisme puissant de supervision et de mise en oeuvre de la reforme et s’assurer dorénavant que les décisions juridiquement contraignantes soient effectivement exécutées par les Etats-membres et les organes de l’Union.

Sur la question du financement, la proposition du prélèvement d’une taxe de 0,2% sur certaines importations est toujours source de divergences au sein de l’UA. Est-il possible et dans quels délais de rendre effective cette mesure pour l’ensemble des pays membres ?
Chaque Etat-membre a un montant de contribution dont il doit s’acquitter. Le barème des contributions tient compte d’un certain nombre de facteurs, à savoir la taille de l’économie et les capacités de chaque Etat. La question qui s’est posée depuis plusieurs années, est de voir comment assurer à l’Union africaine un financement autonome et régulier. Les chefs d’Etat et de gouvernement ont mis en place, il y a quelques années un Comité composé d’anciens chefs d’Etat et d’autres personnalités présidé par l’ancien président du Nigeria, Olusegun Obasanjo pour chercher les sources alternatives de financement. Il s’agit des sources de financement qui n’impactent pas les budgets nationaux. Plusieurs propositions ont ainsi été faites par ce comité, notamment les taxes sur les importations, les billets d’avion, le tourisme et les hôtels.
De sommet en sommet, l’on s’est rendu compte que cette question était devenue une sorte de serpent de mer, aucune décision n’étant jamais prise. En juin 2015, l’Union africaine a décidé de financer à 100% son budget de fonctionnement. En plus, pour ce qui est du financement des différents types de programmes, l’Union doit financer à 75% du budget des programmes et 25% du budget sur la paix et la sécurité comme je l’ai déjà souligné. Elle doit aussi financer la paix et la sécurité qui sont le budget le plus lourd à 25%.

Il restait donc la question de savoir comment financer ce budget?
Comme la décision relative aux sources alternatives n’était toujours pas prise, Mme Zuma a nommé Mr Donald Kaberuka, ancien président de la Banque africaine de développement (BAD), comme Haut-représentant pour suivre particulièrement cette question. M. Kaberuka et son équipe ont passé en revue tout ce qui avait déjà été fait comme propositions et au cours d’une retraite à N’Djamena au Tchad, ont finalement proposé aux chefs d’Etat une taxe de 0,2% à prélever sur les importations éligibles afin de permettre aux Etats d’avoir une source pérenne de financement qui ne déséquilibre pas leurs budgets nationaux. La décision a été solennellement adoptée au sommet de Kigali. Des Etats ont déjà commencé à payer et le Cameroun est parmi les premiers à avoir accepté cette mesure.
La Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) et la CEEAC fonctionnent ainsi. La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) fonctionne sur le même mode. Les pays d’Afrique centrale et de l’ouest étant habitués à ce fonctionnement, l’ont accepté plus facilement. Les modalités pratiques sont les suivantes : chaque Etat ouvre un compte dédié à l’Union africaine dans sa banque centrale, où il verse le produit du prélèvement de la taxe de 0,2% sur un certain nombre d’importations.
Au départ, il était indiqué que tout ce qui a été prélevé va à l’Union africaine qui retient la contribution annuelle due et le reste est versé dans un compte qui devra financer les projets d’intérêt continental. Cette décision a crée des problèmes, certains Etats estimant que les sommes prélevées par ce mécanisme seront largement supérieures au montant de leur contribution statutaire annuelle. En en janvier 2018, les chefs d’Etat et de gouvernement ont décidé que le surplus prélevé reste au niveau national. Ce qui a permis de rassurer certains Etatsmembres. Il s’est aussi posé un autre problème dû à l’appartenance de certains pays à l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

Pourquoi discriminer les importations qui viennent de tel ou tel autre pays ?
Une autre difficulté est que certaines législations nationales en matière de fiscalité ne le permettent pas. Quant aux Etats insulaires, à l’instar de l’Ile Maurice ou des Seychelles, les taxes sur les importations sont soit très faibles, soit inexistantes. Ils disent payer leurs contributions et leur imposer ce mécanisme signifie qu’ils ne paieront plus rien. Voilà autant de difficultés. Les consultations se poursuivent et les difficultés sont réglées au fur et à mesure. A ce jour, 21 Etats membres sur les 55 qui composent l’Union africaine ont accepté le principe du prélèvement et 12 prélèvent déjà effectivement la taxe. Le Cameroun est dans le peloton de tête des pays ayant accepté ce mécanisme. Ceci est une belle performance après 18 mois. Les choses vont encore avancer dans les prochains mois.

Pour plus d’efficacité, il était prévu une meilleure division du travail entre la l’Union, les communautés économiques et les Etats-membres. Le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD) devait aussi être transformé en agence de développement de l’UA. Avez-vous le sentiment que tous les pays membres jouent le jeu?
La question de la division du travail entre l’Union et les huit communautés économiques régionales que sont la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC), la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), l’Union du Maghreb arabe, l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD), la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Est (COMESA)… se pose depuis le commencement. Il s’agit d’aller vers un marché commun continental, de façon progressive.
Ces communautés économiques sont les piliers de l’intégration du continent. Celles-ci doivent s’intégrer et lorsqu’elles seront suffisamment intégrées, il y aura une intégration horizontale et verticale qui aboutira à un marché commun africain. Il a toujours été question de clarifier, depuis le Traité d’Abuja, ce que fait l’Union africaine dans les domaines de l’intégration économique, de la paix et de la sécurité et ce que doivent faire les communautés économiques régionales et des Etats-membres, sur la base du principe de subsidiarité. Ce principe demande à être clairement opérationnalisé. En combinant la limitation des priorités à une meilleure gestion politique, il en découle une meilleure gestion du travail entre l’Union qui est continentale et, les différentes communautés économiques régionales qui, elles-mêmes, doivent être rationnalisées et harmonisées.
Quant à la question sur le NEPAD, il faut souligner qu’il y a un Comité de direction composé de chefs d’Etat et de gouvernement composé de quinze membres dont cinq permanents (les cinq fondateurs que sont l’Afrique du Sud, le Sénégal, l’Algérie, l’Egypte et le Nigeria) et deux par région. La Décision 635 a prévu d’intégrer à la Commission de l’Union africaine le NEPAD comme agence de développement pour l’Afrique, à l’instar de l’Agence française de développement (AFD), l’Agence de coopération allemande (GIZ), l’Agence japonaise de coopération (JICA) ou la DFID britannique. Nous avons fait des propositions pour différentes options possibles.
Mais une des grosses difficultés est que si l’agence est rattachée à la Commission, le président de la Commission ne peut pas commander des chefs d’Etat. Bref, la réflexion se poursuit et une décision finale sera prise au mois de juillet au sommet de Nouakchott en Mauritanie.
Paul Kagamé, président en exercice de l’UA, a donc la lourde responsabilité de superviser la réforme institutionnelle de l’institution panafricaine. Pensezvous qu’il puisse effectivement inscrire l’UA dans une nouvelle dynamique?
Oui. En une phrase, voici ce qu’il a dit : «Retenez le message, oubliez le messager ». Traduction : il ne veut pas d’une personnalisation du processus de la reforme. Une mission lui a été confiée, il travaille pour le continent et ce n’est pas lui qui décide. Il n’a qu’une voix qui est celle du Rwanda. Les décisions sur la réforme sont prises par tous les chefs d’Etat et de gouvernement du continent. Il est un leader dont le dynamisme et la détermination sont reconnus par ses pairs qui lui ont confié cette tâche. En compagnie de ses pairs, il travaille pour le bien-être des populations africaines

Quid du président de la Commission de l’UA dont le renforcement des compétences est également à l’agenda de la réforme institutionnelle?
Tout le monde à Addis-Abeba parle aujourd’hui d’une sorte d’alignement des planètes favorable à la réforme. Le président Moussa Faki Mahamat, a le même type de personnalité que le président Kagame. Il est très dynamique et très déterminé. Il pousse à fond la réforme. Que ce soit au niveau des chefs d’Etat ou au niveau de la Commission de l’Union africaine, nous avons des personnalités fortes qui sont totalement dévouées à la réforme.

Quelle place la nouvelle Union africaine réserve-t-elle aux femmes et aux jeunes?
Il est prévu la mise en oeuvre des quotas en faveur des femmes et les jeunes et une plus grande implication du secteur privé. Sur le volet «Connecter l’Union à ses citoyens», la Conférence des chefs d’Etat a pris des décisions très fortes pour la parité hommes-femmes à tous les niveaux de responsabilités au sein de l’Union Africaine. La parité du genre est inscrite dans l’Acte constitutif de l’Union africaine. Mais, c’est une question de mise en oeuvre. Elle est déjà mise en oeuvre au niveau de la Commission de façon parfaite. C’est le seul organe exécutif dans toutes les organisations internationales du monde où la parité stricte est respectée. A ce sujet, l’Afrique est largement en avance sur toutes les organisations internationales.

http://www.rwanda-podium.org/index.php/actualites/politique/2623-union-africaine-desormais-plus-proche-des-populations-moukoko

Posté le 20/02/2018 par rwandaises.com