LE MONDE | 11.08.08 | 13h45 • Mis à jour le 11.08.08
Les médias ont accueilli avec scepticisme le rapport rwandais sur l'implication de la France dans le génocide des Tutsi et le massacre des Hutu démocrates en 1994. Le groupe de travail constitué en 2004 par le gouvernement rwandais ne brillait pas par son intitulé : "Commission nationale indépendante chargée de rassembler les preuves montrant l'implication de l'Etat français dans le génocide perpétré au Rwanda en 1994".
Sur bien des points, le rapport de la commission Mucyo (du nom de son président, Jean-de-Dieu Mucyo, ancien ministre de la justice, rescapé du génocide) ne fait que reprendre le travail de la mission parlementaire d'information sur le rôle de la France au Rwanda, présidée en 1998 par Paul Quilès. Les parlementaires français, qui avaient eu accès à une bonne part des documents diplomatiques et militaires relatifs à l'intervention au Rwanda à partir d'octobre 1990, n'ont pas manqué de relever le manque de contrôle politique de Paris, voire la connivence avec un régime de type fasciste fondé sur la discrimination ethnique, l'intervention militaire tirant sa source des seuls caprices de François Mitterrand et de ses proches.
La partie du rapport Mucyo consacrée aux errements diplomatiques et politiques français confirme les appréciations de Paul Quilès, en y apportant l'analyse des archives du régime du président Juvénal Habyarimana. Plus nouveau et beaucoup plus grave est le contenu du tome I du rapport Mucyo, qui additionne les témoignages sur ce qui est documenté comme des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité commis par des militaires français, à partir de 1990. La commission Quilès s'était déjà interrogée sur la pertinence de l'engagement de militaires français aux côtés de soldats et gendarmes rwandais dans des opérations de police alors qu'ils se trouvaient au Rwanda pour "protéger les expatriés français". Il s'agissait de contrôles routiers visant à repérer la présence d'"infiltrés", alors que la population tutsi était globalement suspectée par le régime Habyarimana de constituer une "cinquième colonne".
La mission d'information française avait déjà relevé des témoignages sur les exécutions sommaires de civils identifiés aux barrages routiers comme tutsi par leur carte d'identité ethnique sous les yeux de militaires français indifférents sinon "coopératifs", et sur la pratique par des militaires rwandais du viol de femmes ou jeunes filles tutsi, viols auxquels des militaires français auraient participé ou qu'ils auraient eux-mêmes provoqués. Le rapport Mucyo tend à documenter ces pratiques comme fréquentes, voire banalisées.
Depuis 1959, la population tutsi était victime de mauvais traitements et de toutes sortes de discriminations fondées sur une carte d'identité dont la mention ethnique réveillait chez les diplomates français de fâcheux souvenirs. Ces derniers n'avaient que timidement suggéré au président Habyarimana la suppression de la mention ethnique, comme l'a déjà documenté la mission Quilès par le témoignage de l'ancien ambassadeur à Kigali.
Les parlementaires français avaient aussi relevé une autre initiative inquiétante de gendarmes français en mission au Rwanda : la création, au Centre de recherche criminelle et de documentation (CRCD), d'un fichier informatisé des personnes politiquement suspectes, qui évoquait à son tour le sinistre "fichier juif" de Vichy, et qui semble avoir eu la même "finalité" en 1994. Le rapport rwandais est beaucoup plus précis : il cite nommément les gendarmes français en s'appuyant sur des fac-similés de documents administratifs.
Dans l'analyse du jeu des acteurs politiques de notre pays, la commission Mucyo rappelle que les autorités françaises ne pouvaient ignorer que le génocide des Tutsi se préparait au Rwanda, ayant été alertées à plusieurs reprises tant par des diplomates que par quelques hauts gradés militaires. Le volet le plus polémique du rapport reste la volée d'accusations lancées contre l'action française durant l'"opération Turquoise", de juin à août 1994. Si les parlementaires français avaient souligné les errements du commandement militaire dans l'appréciation de la crise et dans le tardif secours aux assiégés tutsi de Bisesero, à présent des accusations d'intentionnalité sont portées contre des militaires français.
Ces derniers, toujours dans une sorte d'osmose sanguinaire avec les forces armées de l'ancien régime, auraient tenté de parachever les desseins de génocide : armement de miliciens, meurtres de Tutsi, viols et incitations au viol, dissimulations de charniers auraient été le lot quotidien d'une armée française accompagnée de journalistes qui pourtant n'ont rien vu de tel ni d'approchant… Cette partie suffit-elle à retirer toute crédibilité au rapport Mucyo ? Doit-on la rejeter sans autre analyse ? Les auditions de détenus, qui fondent une bonne part du travail d'enquête, sont-elles par nature entachées de suspicion ? Le démenti aussitôt porté par le Quai d'Orsay sur le travail de la commission rwandaise ne peut suffire à refermer un chapitre d'histoire que les Français pressentent douloureux.
Parmi les membres de la commission figurent deux universitaires, José Kagabo, historien, maître de conférences à l'Ecole des hautes études en sciences sociales à Paris, qui avait été longuement entendu par la mission Quilès, et Jean-Paul Kimonyo, auteur d'une thèse de doctorat à l'université du Québec à Montréal, dont est issu un livre déjà considéré comme l'un des plus profonds et des mieux documentés sur le génocide de 1994. En outre, les interrogatoires de détenus, lorsqu'ils sont menés par des chercheurs ou des journalistes expérimentés, restent une source irremplaçable d'information.
Plutôt que de voir le débat sur les responsabilités de la France au Rwanda s'embourber dans des polémiques de méthodologie, mieux vaudrait poursuivre le travail engagé par Paul Quilès voici dix années. L'ancien ministre socialiste de la défense suggérait de rouvrir le dossier plus tard, par une véritable commission d'enquête parlementaire, pour peu que des éléments nouveaux surviennent. Depuis 1998, les révélations n'ont pas manqué.
Le rapport Mucyo, qui mérite vérification, constitue un de ces "faits nouveaux". Le dixième anniversaire du rapport parlementaire français, en décembre 2008, pourrait être l'occasion de parachever le travail de mémoire et de clarification indispensable. C'est à ce prix que la France pourra se réconcilier avec sa propre mémoire avant d'entamer une réconciliation avec le Rwanda, mais aussi avec le reste du monde, souvent mieux informé que les Français sur ce qui a été fait en leur nom au Rwanda…
Jean-François Dupaquier, écrivain-journaliste
Article paru dans l'édition du 12.08.08.
dimanche 10 août 2008
Un opposant rwandais demande à la France de s’excuser pour le génocide de 1994
APA-Kigali (Rwanda) Le Parti travailliste rwandais (PL), une des principales formations politiques de l’opposition, a appelé vendredi la France à présenter des excuses aux Rwandais et au monde et payer des réparations aux victimes du génocide au lieu de persister dans la position défensive qu’elle a adoptée depuis la publication du rapport l’impliquant dans l’exécution de cette tuerie survenue en 1994. Dans une déclaration lue samedi lors d’un point de presse à Kigali, le président du parti, également ministre de la Jeunesse et survivant du génocide, Protais Mitali, a exprimé son total soutien au récent rapport du gouvernement rwandais impliquant plus de 30 hautes personnalités politiques et militaires français dans le massacre d’environ un million de Rwandais en 100 jours. « La France devrait éviter ce jeu dangereux d’être sur la défensive au sujet du génocide au Rwanda. Les conclusions de la commission indépendante sont accablantes et compromettent inévitablement la France et plusieurs de ses hauts responsables gouvernementaux dans le génocide », a déclaré M. Mitali. Il a par ailleurs souligné que durant ces 14 dernières années, la France essayait de nier le génocide Tutsi afin de dissimuler les crimes qu’elle a commis contre des Rwandais. « Le rapport est un point de départ pour inculper tous ces officiels français impliqués dans le génocide de 1994 et les obliger à faire face à la justice. La France devrait être obligée par le Conseil de sécurité de l’ONU à payer des dommages et réparations au Rwanda et aux victimes », a-t-il ajouté. Rendu public mardi par le ministre de la Justice, Tharcisse Karugarama, le rapport de 500 pages de la commission indépendante présidée par le président de la Commission d’idéologie du génocide, Jean de Dieu Mucyo, déclare que la France était entièrement au courant des préparatifs qui ont mené au génocide. Il accuse les militaires français au Rwanda d’avoir participé dans la planification et même d’avoir pris part aux massacres qui ont la plupart du temps visé des membres du groupe ethnique minoritaire Tutsi. Le document fait également des sérieuses accusations de génocide contre 13 politiciens français et 20 fonctionnaires militaires, notamment l’ancien président français le défunt Francois Mitterrand et l’ancien premier ministre Edouard Balladur, ainsi que le ministre des affaires étrangères Alain Juppe, et appelle éventuellement à engager des poursuites contre eux.
le 11/08/ GM pour Rwandaises |
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09-08-2008 |