(La Libre 17/10/2008)
Secondaire et universités : Kigali supprime l'enseignement en français.
Nul doute que l'absence annoncée du président rwandais, le général Paul Kagame, au sommet de la francophonie, qui se tient de vendredi à dimanche à Québec, sera remarquée.
Elle survient en effet alors qu'au début de ce mois d'octobre, le ministre rwandais de l'Education, Daphrose Gahakwa, a annoncé que l'enseignement secondaire et universitaire sera désormais dispensé exclusivement en anglais.
Longtemps, l'enseignement dans ce pays s'est fait en kinyarwanda pour les petites classes et en français ensuite.
Le génocide antitutsi de 1994 est venu, là aussi, bouleverser la donne. Un million de Rwandais ont été massacrés, un autre million a fui les sanctions attendues vers le Congo voisin (avant de partiellement revenir) et plusieurs centaines de milliers de Tutsis – qui vivaient en exil depuis l'avènement de régimes hutus plus ou moins extrémistes selon les époques – étaient rentrés au pays. Si tous parlent kinyarwanda, une partie d'entre eux (ceux rentrés d'Ouganda, essentiellement, mais aussi les petits groupes revenus de Tanzanie, du Kenya, des Etats-Unis) a pour seconde langue l'anglais ; le reste (ceux rentrés du Congo et du Burundi pour l'essentiel, mais aussi de Belgique, de France du Canada) est francophone.
Peu après l'arrivée du Front patriotique rwandais (FPR, dominé par les Tutsis qui vivèrent en exil en Ouganda) au pouvoir, après sa victoire contre les génocidaires (été 1994), le nouvel Etat adopta trois langues officielles : kinyarwanda, français et anglais. Les deux dernières sont utilisées, depuis lors, dans de nombreux établissements scolaires.
La décisison d'écarter désormais le français de l'enseignement est, selon le ministre du Commerce et de l'Industrie, pratique. "Le français n'est parlé qu'en France, dans certaines parties d'Afrique de l'Ouest et du Canada, et en Suisse", tandis que l'anglais est "l'instrument de la croissance et du développement non seulement dans notre région mais dans le monde entier".
Selon le ministre de l'Education, la suppression de l'enseignement en français est "une des démarches qui permettront au Rwanda d'adhérer prochainement à l'organisation du Commonwealth" ; une décision en ce sens est attendue pour le prochain sommet de cette organisation, en 2009.
Madagascar a fait la même demande d'entrée dans ce club anglophone – mais n'en supprime pas pour autant son enseignement en français.
Punir la France ?
Bien que Kigali s'en défende, nombreux sont ceux qui pensent que la raison profonde de la décision du Rwanda tient à ses rapports conflictuels avec la France. Après que celle-ci eut apporté une aide au gouvernement génocidaire – avant, pendant et après le génocide – Paris a toujours refusé le moindre mea culpa, se démarquant en cela de la Belgique et des Etats-Unis qui, s'ils n'avaient pas, eux, aidé les criminels, avaient estimé nécessaire de s'excuser pour non-assistance à peuple en danger.
Les relations entre la France et le Rwanda s'étaient encore détériorées lorsque la première, tentant de quitter la position d'accusée, avait émis un mandat d'arrêt contre le président Kagame et des membres de son entourage, les accusant de l'attentat contre l'avion du président hutu Habyarimana, attentat qui avait donné le signal du début du génocide préparé depuis des mois par son entourage.
Depuis, Kigali a rendu à Paris la monnaie de sa pièce en lançant, lui aussi, des actions judiciaires contre des responsables politiques français de 1994.
Reste que la suppression de l'enseignement en français au Rwanda coûtera cher à ce dernier en formation des enseignants, majoritairement francophones, comme la plupart des fonctionnaires et une bonne partie du monde des affaires. Sans compter qu'elle risque d'accentuer le malaise né de la domination des ex-exilés en Ouganda sur le pouvoir politique et militaire.
"Pour nous qui croyions que le trilinguisme était une richesse pour ce pays, c'est une mauvaise surprise, commente un intellectuel francophone. Le Canada, le Cameroun tirent un parti avantageux de connaître et l'anglais et le français. Notre pays risque d'y perdre. Alors que tous les francophones ne sont pas français…"
Marie-France Cros
Mis en ligne le 17/10/2008
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