C’est un document jusqu’ici jamais dévoilé : le verbatim des entretiens enregistrés par les enquêteurs du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) de Georges Ruggiu, ancien animateur italo-belge de la Radio-télévision des mille collines (RTLM), surnommée la « radio de la haine » pour ses appels à massacrer les tutsis.
Arrêté au Kenya en juillet 1997, Ruggiu –seul non rwandais à avoir été inculpé par le TPIR– a été condamné à 12 ans de prison, le 1er juin 2000. Incarcéré à Arusha (Tanzanie), il a été transféré dans une prison italienne en février 2008, en vertu d’un accord sur l’exécution des peines conclu entre l’Italie et les Nations-Unis. Il a été libéré le 21 avril 2009.
En novembre 1999 (notamment, les 17, 19 et 20 novembre), Georges Ruggiu a longuement répondu aux enquêteurs du TPIR. Des enregistrements, dont nous avons pu consulter la retranscription, et qui n’ont finalement pas été versés à la procédure judiciaire du TPIR. Pourtant leur contenu s’avère très instructif. Et explosif.
Enquête Benoît Collombat/Mis en ligne Valeria Emanuele
Des mercenaires français à Kigali et Gisenyi, en plein génocide
Ainsi, aux enquêteurs du TPIR, Georges Ruggiu raconte avoir côtoyé des militaires/mercenaires français à Kigali puis à l’hôtel Méridien de Gisényi, comme soutien des extrémistes hutus, « aux alentour du 20 mai », soit un mois et demi après le début de génocide…
« Ces militaires là (…) je les considérais comme des mercenaires. Bon, ça veut dire que c’est des gens qui sont entraînés et qui sont adaptés et qui ont des connaissances pour faire la guerre. »
Il les décrit comme « Des militaires entre vingt-cinq et trente-cinq ans » circulant à Kigali, avec une « forte escorte, c’est-à-dire sept ou huit personnes avec eux (…) par groupe de deux », et à Gisenyi, avec une escorte moins importante, « seulement deux ou trois (…) soldats ».
« Je parle ici des soldats blancs français, 4. Ils sont arrivés un petit peu avant ou un petit peu après le bombardement de la RTLM [en avril 1994], dans cette période-là, ils sont arrivés au Camp Kigali et sont restés au Rwanda (…) jusqu’au lendemain de la prise de Kanombe, c’est-à-dire le jour où (…) je me suis rendu à Gisenyi. Je les ai rencontrés là-bas moi-même à Gisenyi et ils étaient sur le chemin du retour. »
Ces hommes, Georges Ruggiu les appellent sans ambigüité « les Français » : « Pourquoi ? Parce qu’ils parlaient français et qu’à leur accent j’avais compris qu’ils étaient français », explique Ruggiu.
« Ils étaient armés de plusieurs armes à feu chacun, des armes à feu que je n’avais pas vues chez d’autres personnes, donc c’étaient pas des types courants dans l’armée rwandaise je peux dire, des armes blanches, couteaux, des cordes, des fils… tout un tas d’ustensiles ». Georges Ruggiu les comparent même à ces « poupées militaires avec une cinquantaine de poches sur un uniforme et une demi-douzaine de gadgets (…) Compas, cartes et fils, tout, il y avait tout. »
« Je sais qu’il y en a un qui s’appelait Joël, précise Georges Ruggiu, à plusieurs reprises. Est-ce que c’était son nom, est-ce que ce n’était pas son nom ? J’en sais rien, on l’appelait comme ça. », ajoutant qu’il lui « avait également donné un numéro de téléphone en France, à Paris. »
Plus loin : « Quelqu’un qui vient comme mercenaire dans un endroit, est-ce que vous croyez vraiment que l’identité qu’il vous montre c’est celle qui est la réalité ? »
Une démonstration pour démontrer l’efficacité de leur matériel :
Lors de ce témoignage-fleuve, il est également question d’une démonstration spectaculaire du matériel de ces mercenaires/militaires français à Kigali :
« Où est-ce qu’ils allaient et ce qu’ils faisaient ? J’en sais rien, raconte Ruggiu, qui pourtant se souvient parfaitement avoir « eu l’occasion d’assister » (…) au mess officiers [à] une démonstration de balles fumigènes. C’est-à-dire que c’étaient des balles qu’on tirait au moyen d’un pistolet ou d’une carabine, [qui] tuait pas, et ils ont fait la démonstration devant les toilettes de l’espèce de terrain de sports qui se trouvait devant, il y avait des petites toilettes, ils ont fermé une porte, ils ont tiré à travers, puis ils ont demandé à quelqu’un d’aller ouvrir la porte, la personne est allée ouvrir la porte, cette toilette-là était pleine de fumée, complètement. Ils avaient fait ça pour faire comprendre que si on tirait ces balles-là à travers une porte, la personne qui était à l’intérieur ne saurait pas rester à l’intérieur et [qu’elle] serait obligé de sortir. C’était une démonstration pour montrer leur matériel ou l’efficacité de leur matériel qu’ils désiraient vendre ou qu’ils avaient fourni, ça je n’en sais rien. C’est à peu près tout ce que je peux dire sur ces militaires français à la réserve près que je croyais que c’étaient des militaires français qui avaient été envoyés par le Gouvernement français. »
Au service des extrémistes hutus, donnant des ordres aux soldats
A plusieurs reprises, Ruggiu présente ces mercenaires comme un soutien des extrémistes hutus, notamment auprès d’Augustin Bizimungu, chef d’état-major de l’armée rwandaise, poursuivi pour « génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre » par le TPIR (la perpétuité a été requise en juin dernier contre lui), et Gratien Kabiligi, chef des opérations militaires à l’Etat-major de l’armée rwandaise, finalement acquitté par le TPIR, en décembre 2008.
« Ces militaires avaient travaillé avec les généraux Bizimungu et Kabiligi (…) ça devait manifestement être des gens qui étaient relativement haut placés, ce n’était pas des militaires qui étaient habitués à se mêler en soldat, même quand ils étaient au camp Kigali, ils donnaient des ordres aux soldats (…)je savais avec qui avaient travaillé ces gens là (…) ça n’était pas tout à fait n’importe quel militaire non plus. Ce n’était pas des petits soldats. »
« Ils ne circulaient qu’avec les généraux Kabiligi et Bizimungu (…) A part être au mess des officiers et dans le bureau de l’état-major, je ne les ai jamais vus ailleurs en ville »
« C’était des militaires, explique encore Ruggiu. Qu’est-ce qu’ils étaient venu faire ? Ça, ils étaient venus pour faire des opérations militaires. Ces quatre militaires français circulaient par groupe de deux, deux et deux. Et circulaient la plupart du temps avec soit le général BIZIMUNGU, soit le général KABILIGI qui était également présent au camp Kigali. Ils partaient avec eux et circulaient dans des véhicules avec forte escorte et dans des véhicules camouflés. »
photo : Le Tribunal pénal international pour le Rwanda à Arusha. © Ho New/Reuters
Une protection rapprochée
Selon Ruggiu, alors que le rapport de force militaire s’est inversé entre les FAR et le FPR, ces mercenaires/militaires lui auraient proposé une protection rapprochée « vingt quatre heures sur vingt-quatre » :
« Ces militaires là ont dit (…) : Il vous faut avoir un soldat d’escorte vingt-quatre heures sur vingt-quatre, en permanence quelqu’un qui est avec vous, parce que maintenant la situation commence à devenir mauvaise et il pourrait arriver quelque chose et vous devez avoir quelqu’un avec vous. »
Plus loin, il explique encore : « Quand je les ai rencontrés à Gisenyi, ils étaient sur le point du retour et ils m’ont confié une personne pour me servir d’escorte, je dirais. Cette personne, pour me la confier, ils ont fait une lettre au camp Bigogwe. »
Des archives de la haine en lieu sûr
Avant de repartir pour Kigali, Georges Ruggiu explique encore avoir confié à ces hommes l’intégralité de ses archives de la Radio-télévision des mille collines, soit « trois à quatre mois de documentation sur les actes politiques et tous les écrits, et toutes les déclarations qui avaient été faites » en plus de sa « documentation personnelle. » « C’était toute une documentation sur tout ce qui concernait le Rwanda et l’évolution de la situation. Ça faisait deux caisses. Il y avait des papiers manuscrits, il y avait des photocopies, il y avait des fax, il y avait des bouquins. » :
« Je leur ai confié deux caisses de documents (…) parce qu’ils m’avaient mentionné qu’ils rentraient au Zaïre sur Gbadolite. Et à Gbadolite, il y avait quelqu’un que je connaissais, qui s’appelle Papias Ngaboyamahina (…) Je savais que Papias Ngaboyamahina avait été expulsé de Belgique et (…) qu’il s’était réfugié à Bagolite [Gbadolite]. Alors, je leur ai confié ces deux caisses de documents en leur disant « Vous donnez ces documents à ce monsieur là. Plus tard, je vais essayer de voir comment je peux entrer en contact avec lui pour les récupérer. »
Finalement, Georges Ruggiu explique qu’il ne remettra pas la main sur ces fameux documents.
Lire un extrait de 8 pages des déclarations de Georges Ruggiu où il évoque les « mercenaires français » (de la page 198 à la page 205)
Des entraînements commando
« Il y a une précision supplémentaire que je voudrais donner » à propos de ces « mercenaires qui parlent français », ajoute Georges Ruggiu. (…) [Lors de leur présence à Kigali], –parce qu’ils me l’ont dit ce jour-là au soir- (…) ils sont allés organiser des entraînements de militaires au camp Bigogwe. Et pas n’importe quel type d’entraînement, des entraînements de militaires CRAP (…) ça signifie commando de recherche et d’action en profondeur. Et le militaire qu’ils avaient assigné à mon escorte, pour lequel ils avaient demandé qu’on assigne à mon escorte, était une de ces personnes-là. Plus tard, le général Kabiligi décidera d’utiliser ces militaires à notre usage et affectera à mon escorte (…) un simple soldat. »
Lire la déclaration de Georges Ruggiu sur les entraînements commando (p.11 et 12)
photo : © T.J. Kirkpatrick/Reuters
L’ombre de Paul Barril
« Plus tard, quand je serai à Nairobi, c’est-à-dire en 95, explique encore Ruggiu, je vais rencontrer quelqu’un qui va me reparler de ces militaires français, c’est un avocat belge qui était venu à Nairobi, c’est pas besoin de l’identifier plus que ça et qui va me dire que ces militaires français étaient envoyés par le capitaine Barril. »
Lire la déclaration de georges Ruggiu où il évoque Paul Barril
DES MUNITIONS ? « ON DEMANDERA AU CAPITAINE BARRIL… »
Dans leur livre « Une guerre noire. Enquête sur les origines du génocide rwandais (1959-1994) » (La découverte, 2007), Gabriel Periès et David Servenay rapportent le témoignage du général (à l’époque colonel) Jacques Rosier, ancien commandant du secteur sud du COS (Commandement des opérations spéciales) déployé au Rwanda pendant l’opération « Turquoise ». Le militaire évoque clairement la présence rapportée de mercenaires français et de Paul Barril, en plein génocide :
« Le 23 juin [1994] au soir, à Cyangugu, un émissaire vient me voir dans la maison que j’occupe pour me proposer de voir deux personnalités du gouvernement intérimaire. J’accepte, pour prendre la température. Je rencontre ces deux ministres en catimini, le ministre des Affaires étrangères [Jérome Bicamumpaka] et le ministre de la Défense. [Augustin Bizimana]
Tout de suite, ils me demandent des munitions. Je réponds : « Vous avez vu ce qui se passe, on n’en est plus au stade des munitions et des canons. » Le ministre des Affaires étrangères n’apprécie pas du tout. Il lance : « Si vous ne le faites pas, on demandera au capitaine Barril. » Du tac au tac, je réponds : « Choisissez vos fournisseurs. » Jérome Bicampumpaka a vraiment fait la gueule, l’autre, Augustin Bizimana, avait l’air triste. Ils n’ont pas lancé de menaces. Alors Barril, oui… compte tenu du personnage, c’est possible. Dans ces eaux là, on ne peut être sûr de rien. »
« CAPITAINE BARRIL CONTACTE’ »
Le 9 septembre 2009, Charlie Hebdo, révélait plusieurs documents confidentiels -que nous avons également pu consulter- détaillant l’action secrète de Paul Barril au Rwanda.
Ainsi, le 28 mai 1994, en plein embargo de l’ONU, le capitaine Paul Barril signe à Paris un contrat d’assistance avec le gouvernement rwandais stipulant que « 20 hommes spécialisés » équipés de « grenades », « grenades à fusil », d’ « obus et mortiers » devront « former et encadrer sur le terrain les hommes mis à leur disposition ». Montant du contrat : plus de 3 millions de dollars.
Voir le document
Un mois plus tard, fin juin 1994, une lettre manuscrite du colonel Rosier, commandant d’un détachement du COS au Rwanda dans le cadre de l’opération « Turquoise », adressée au général Le Page, patron des opérations spéciales, évoque sa rencontre avec les ministres rwandais de la défense et des affaires étrangères (confirmant ainsi les déclarations du militaire au journaliste David Servenay, voir précédemment) « Ils m’ont demandé une aide d’une autre nature (« discrète » bien sûr !) écrit le colonel Rosier : des munitions d’artillerie. » Face à la réponse négative du militaire « dans le contexte actuel », les deux hommes « ont eu l’air dépité par [sa] réponse et [lui] ont dit qu’ils comptaient avoir recours à des mercenaires. » Et le colonel Rosier apporte cette précision, lourde de conséquence : « capitaine Barril contacté ».
Voir l’intégralité de la lettre manuscrite
QUAND PAUL BARRIL SE CONTREDIT DANS L’ENQUETE BRUGUIERE
Le capitaine Paul Barril a déjà été entendu a trois reprises dans la procédure Bruguière sur l’attentat (en 1999, 2000 et 2003), une enquête désormais conduite par les juges Marc Trévidic et Philippe Coirre. Des auditions que nous avons pu consulter.
En résumé, Paul Barril désigne le FPR comme responsable de l’attentat, et assure avoir rassemblé des éléments de preuve… quitte parfois à se contredire d’un procès-verbal à l’autre, comme l’explique également Sylvie Coma dans un article publié aujourd’hui dans Charlie Hebdo (« Rwanda : quand Barril enfumait les médias »)
Audition du 29 septembre 1999 : « l’attentat a été conçu, programmé et exécuté par le FPR »
Entendu une première fois par les enquêteurs le 29 septembre 1999, Paul Barril dit principalement trois choses :
1/ Dès 1990, il aurait été chargé d’ « infiltrer » le FPR « sur ordre » de François « de Grossouvre » (conseiller à l’Elysée retrouvé mort, officiellement suicidé, le 7 avril 1994, au lendemain de l’attentat contre l’avion du président Habyarimana) et « du général Habyarimana ».
2/ L’attentat contre l’avion du président Habyarimana aurait « été planifié depuis longtemps » par le FPR de Paul Kagamé, en liaison avec le Burundi, disposant à Kigali de « 400 hommes armés », qu’il présente comme le « cheval de Troie de Kagamé ». Selon Barril, « proche du maréchal Mobutu », au Zaïre, une semaine avant l’attentat les « services français et suisse » auraient même contrôlé « un militaire du Burundi en transit à Genève », et découvert sur lui « des cartes militaires » et « un plan de vol avec deux possibilités d’interception et d’attentats de l’avion. »
3/ Barril affirme avoir « mené une investigation » sur place, immédiatement après l’attentat, « en tant que spécialiste de la sécurité », à la demande d’Agathe Habyarimana, l’épouse du président rwandais assassiné, considérée comme l’une des figures des extrémistes hutus. Des « éléments de l’appareil », de « la documentation de l’aéroport » et « 80 témoignages visuels » qui, selon Barril, « amènent la certitude que l’attentat a été conçu, programmé et exécuté par le FPR. » Autant d’éléments qui sont versés au dossier d’instruction.
Lire les principaux extraits de la première audition de Paul Barril.
Audition du 20 juin 2000 : « Il m’a été remis les deux tubes lance-missiles »
Le 20 juin 2000, Paul Barril apporte de nouvelles précisions qu’il n’avait auparavant « pas voulu signaler pour des raisons de sécurité personnelle. »
Paul Barril explique notamment que « lorsque les deux tube lance-missiles » censés avoir abattus l’avion sont découverts le 25 avril 1994, il se trouvait « à Gabdolite (Zaïre) chez le président Mobutu », qu’il tient au courant des avancées de son « enquête » sur l’attentat. Ces lance-missiles aurait ensuite été « remis » à Barril, « de retour de Kigali », après avoir été « découverts par la population » (…) à environ 1,5 kilomètres des postes de tir » déterminés par Barril.
Par la suite, il affirme avoir « déposé ces deux tubes lance-missiles à l’état-major » des Forces armées rwandaises (FAR), avant d’être « déposés à Goma entre les mains des services de Mobutu », puis de perdre leur trace.
Lire les principaux extraits de la première audition de Paul Barril.
Audition du 9 septembre 2003 : « Les deux tubes lance-missiles, je précise ne les avoir jamais eu entre les mains »
Pourtant, dans sa troisième déposition, le 9 septembre 2003, Barril change complètement de version : « En ce qui concerne les deux tubes lance-missiles, je précise ne les avoir jamais eu entre les mains. Je n’ai pas non plus eu l’occasion de les voir à l’état-major des F.A.R. »
Il ne sera pas questionné sur ce revirement spectaculaire…
Lire les principaux extraits de la première audition de Paul Barril.
En décembre 1998, au vu des documents photographiques qui lui avaient été transmis, la Mission d’information sur le Rwanda avaient conclu qu’il était « probable que les lanceurs contenant les missiles n’aient pas été tirés : sur les photocopies des photos, le tube est en état, les bouchons aux extrémités de celui-ci sont à leur place, la poignée de tir, la pile et la batterie sont présents. » Il ne s’agissait donc pas des missiles utilisés dans l’attentat contre l’avion du président Habyarimana.
Voir le rapport de la Mission d’information
L’ambassadeur de France au Rwanda, Georges Martre déclare devant la Mission d’information que « retenir la responsabilité des extrémistes hutus, qui avaient déjà des difficultés à tirer au mortier et au canon, reviendrait à admettre qu’ils aient bénéficié d’une assistance européenne pour l’attentat. ».
Une phrase qui sonne étrangement au vu des éléments concordants démontrant l’assistance technique de militaires français, ou de mercenaires, auprès des extrémistes hutus…
L’ENTRETIEN INEDIT DE PAUL BARRIL : » DE LA DIPLOMATIE SECRETE »
En 2004, France 3 diffuse un documentaire « Tuez-les-tous ! Enquête sur un génocide ‘‘sans importance’’ » (disponible en DVD ou visible ici), réalisé par Raphaël Glucksmann, David Hazan et Pierre Mezerette, décortiquant avec minutie le rôle de l’Etat français dans le processus ayant abouti au génocide.
Pour les besoins de leur enquête, les auteurs ont interviewé longuement Paul Barril. Un entretien qui ne sera finalement pas intégré dans le montage final, mais dont nous avons pu consulter le script intégral.
Lire la transcription de cet entretien.
Paul Barril détaille notamment son action secrète au Rwanda, et son statut très particulier de gendarme « en disponibilité donc disponible » au « statut quelque peu particulier (…) toujours payé par la Défense » : « C’était une mission officielle » , explique Barril, « ce qu’on appelle de la diplomatie parallèle, ou de la diplomatie secrète, pour le compte de la France » .
Il affirme qu’il remettait régulièrement des « fiches » à François de Grossouvre, qui lui avait demandé « d’infiltrer le FPR (…) jusqu’à la racine et de le contrôler » .
Concernant son implication dans le dossier Bruguière, à qui il rend « hommage » : « J’ai agi en franc-tireur, dit Barril, ce que j’appellerai de la justice secrète. »
Il met en avant à plusieurs reprises ses liens avec les « services » (avec « les services actions de la DGSE » , au nom de la France en position de « co-bélligérant » ) et son action qu’il juge patriotique pour contrer l’influence américaine dans la région ( « Qui est derrière Kagamé ? Ce sont les américains » affirme Barril) : « Je suis toujours officier de gendarmerie, dit-il, je suis retraité, mais je suis conseiller de chef d’Etat dans le domaine de la lutte anti-terroriste, ça me donne accès à Interpol, ça me donne accès à beaucoup de choses. Pour plusieurs pays, officiellement, nommé par décret. Donc on parle d’Etat à Etat. Je [ne] parle plus [de] Paul Barril, français, mais je parle [de] Paul Barril, conseiller de tel chef d’Etat qui demande que… et qui donne. »
« Quand vous rentrez dans un service, dans une machine, vous le restez jusqu’à votre mort. On défend d’abord les intérêts de son pays, c’est la première des choses. Il n’y a pas plus bleu-blanc-rouge que moi » , affirme-t-il encore, décrivant sa fierté de hisser à nouveau le drapeau français après avoir « repris » l’ambassade de France, alors que le génocide vient de débuter :
« Je suis resté à Kigali [NDR : qu’il compare à « Dien Bien Phu »] pour galvaniser l’ensemble, explique Barril (…) Quand on a remonté les couleurs, il y a eu une ovation générale parce que tout le monde croyaient que les Français restaient » .
Mais sur l’équipe qui l’accompagne sur le terrain, Barril reste elliptique : « C’était mes gens à moi, comme toujours. »
Fait intéressant, Barril ne cache pas son implication de formation commando sur le terrain auprès de l’armée rwandaise pour contrer le FPR : « Des gens ont été formés. Je n’ai pas honte de vous dire : la France avait formé dans les personnels du rwandais 67 commandos de recherche et d’action en profondeur. Sur 67, il en restait 25 de vivants. Les 25 de vivants, c’est la première chose que j’ai faite quand je suis arrivé : sortez des rangs, vous venez avec moi, ça, ils ont intégré mes trucs. Le CRAP, c’est des gens qui ont été formés par les services français, dont les instructeurs qui participaient aux interrogatoires. »
« Les gens venaient me voir : capitaine, on a tiré la dernière cartouche, donnes nous des munitions de kalash » , raconte-t-il ainsi à propos de la bataille autour de Kigali, tout en regrettant ne pas avoir été « assez épaulé dans [sa] mission » …
Barril donne également son analyse très personnelle du génocide des tutsis : « Celui qui est responsable du génocide, qui doit être jugé, c’est celui qui fait l’attentat, dit-il, à l’unisson de l’enquête Bruguière (…) Le vrai génocide, c’est un génocide de hutu, c’est pas un génocide de tutsi. »
RAPHAEL GLUCKSMANN : BARRIL N’ETAIT « PAS UN SOLDAT SOLITAIRE »
Ecoutez le témoignage de Raphaël Glucksman qui a recueilli ce témoignage de Paul Barril.
Il évoque le rôle « ambigu » de Paul Barril au Rwanda, qui travaille à la fois « pour lui » et « pour la France », mélange de « business » et d’ « intérêts stratégiques ».
Raphaël Glucksman (2’17’’)
Il commente l’attitude des autorités politiques françaises qui se « dédouane » du rôle joué par Barril, alors que son « action rentrait parfaitement dans la logique de l’Etat français » et que Barril était encore « actif sur place pendant le génocide ».
Raphaël Glucksman, auteur du documentaire « Tuez-les-tous ! Enquête sur un génocide ‘‘sans importance’’ » (2’14’’)
PATRICK DE SAINT-EXUPERY : « BARRIL, PIVOT D’UNE TOILE D’ARAIGNEE ENTRE L’ELYSEE DE MITTERRAND ET LES EXTREMISTES QUI COMMETRONT LE GENOCIDE »
Ecoutez la réaction du journaliste Patrick de Saint-Exupéry, auteur de « Complices de l’Inavouable » (Les Arènes, 2009), l’un des meilleurs connaisseurs du génocide des tutsis au Rwanda. Il revient en détail sur le rôle de Paul Barril au Rwanda, avant puis pendant le génocide.
Patrick de Saint-Exupéry (3’01)
Patrick de Saint-Exupéry décrypte la présence de mercenaires français pendant le génocide.(54’’)
Le journaliste commente l’attitude de Paul Barril dans la procédure judiciaire sur l’attentat contre l’avion du président Habyarimana.
Patrick de Saint-Exupéry, l’un des meilleurs spécialistes du génocide rwandais (1’15)
Photos
bandeau : Kigali, avril 2005. © STR New/Reuters
Paul Barril. © John Schults/Reuters
Le Tribunal pénal international pour le Rwanda à Arusha. © Ho New/Reuters
Soldat du FDLR. © T.J. Kirkpatrick/Reuters
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Posté par rwandaises.com