Renouer avec le Rwanda, respecter la vérité
En décidant, dès ma prise de fonction, et en accord avec le président de la République, de renouer avec le Rwanda des relations diplomatiques normales, je savais que je m’engageais dans une voie sinueuse mais nécessaire. J’ai fait ce choix, connaissant ce pays, ayant en mémoire notre histoire commune, me souvenant des drames que nous avons traversés.
Je ne sais pas qui a commandité l’attentat du 6 avril 1994 contre l’avion du président Habyarimana. Mais je ne crois pas, comme l’excellent juge Jean-Louis Bruguière, que Paul Kagamé ait sciemment décidé d’allumer l’étincelle qui embraserait son pays. Je ne peux pas cautionner cette vision simpliste et infamante qui fait des Tutsis les responsables de leur propre malheur, pas plus que je ne peux supporter d’entendre certains défendre la thèse d’un double génocide tutsi et hutu. Je sais que les ingrédients du drame étaient réunis depuis longtemps. Et j’ai vu au Rwanda la réalité d’un génocide. J’y étais.
Les soldats de l’opération « Turquoise » se sont trouvés empêtrés dans un drame dont ils ne contrôlaient pas davantage les tenants qu’ils ne mesuraient les aboutissants. Ils méritent comme nous la vérité. La France n’est pas restée sourde aux graves accusations portées contre sa politique rwandaise entre 1990 et 1994. La mission d’information parlementaire présidée par Paul Quilès a rendu des conclusions publiques très claires : malgré des « erreurs d’appréciation » dans notre politique, et notamment une « coopération militaire trop engagée » et une « sous-estimation du caractère autoritaire, ethnique et raciste du régime rwandais », la France et ses soldats n’ont en aucune manière incité, encouragé, aidé ou soutenu ceux qui ont orchestré le génocide et qui l’ont déclenché dans les jours qui ont suivi l’attentat.
Pour avoir côtoyé sur place les forces françaises, je peux en attester : la France a certainement commis des erreurs politiques, mais il serait odieux et inacceptable de penser qu’elle ait pu être coupable de crimes ou de complicité de crimes de génocide. C’est un point sur lequel je ne transigerai pas. Notre rapprochement avec le Rwanda ne se fera pas au détriment de l’honneur de l’armée française ni de la vérité historique.
Car la question aujourd’hui n’est plus là. La normalisation des relations avec le Rwanda est une nécessité. L’absence de relations diplomatiques entre deux Etats est et doit demeurer une exception. Les négociations en cours pour le rétablissement des relations diplomatiques avec le Rwanda n’équivalent aucunement à une caution apportée au régime rwandais, mais à une simple reconnaissance de l’Etat rwandais, conformément au droit international. Nous devons en être conscients : le statu quo est préjudiciable à nos deux pays.
Lancé dans un développement économique et social vigoureux, le Rwanda est aujourd’hui un acteur clé dans la stabilisation de la région des Grands Lacs africains. Il est incontournable à l’est de la République démocratique du Congo. Et il joue un rôle majeur dans la crise du Darfour, où il déploie un important contingent dans le cadre de la force de maintien de la paix de l’Union africaine.
C’est notamment pour avancer sur ces dossiers que nous avons entrepris de renouer le dialogue avec les autorités rwandaises. Le président de la République s’est entretenu à Lisbonne avec son homologue rwandais, promettant de rétablir bientôt un dialogue normal entre nos deux pays. C’est dans cet esprit que j’entends poursuivre mes efforts pour que cesse cette anomalie dans les rapports de confiance que nous entretenons avec tous les pays africains. La France doit continuer d’être écoutée et respectée sur l’ensemble du continent, sans exception.