Les opérations militaires menées par l’armée congolaise au Nord et au Sud Kivu, avec l’appui de la MONUC, afin de déloger les combattants hutus installés dans la région depuis quinze ans, suscitent la vive opposition des organisations humanitaires et de défense des droits de l’homme. Avec un sens aigu de l’opportunité politique et une grande science du lobbying, ces organisations ont publié de très nombreux rapports à la veille de l’examen de la situation au Congo par le Conseil de Sécurité puis par l’Union européenne. Certaines prises de position souhaitaient que la Monuc cesse d’apporter soutien logistique et militaire à cette opération, d’autres mettaient seulement l’accent sur la nécessité de mieux protéger les civils. Parmi les positions les plus radicales figurent celles de quelques ONG belges qui font circuler en Flandre une pétition demandant l’annulation pure et simple de Kymia II.
Cette volée de prises de position appelle plusieurs remarques.
Premier point. La présence des Hutus rwandais au Kivu dure depuis 1994. Il ne s’agît pas seulement de réfugiés civils, qui cohabiteraient avec les populations locales, mais de groupes combattants qui utilisent les civils comme boucliers humains, pour se dissimuler parmi eux et participer avec eux à la même exploitation économique de la région, les mines de coltan et de cassitérite, dominant les populations congolaises chassées de leur milieu ou obligées de travailler pour les occupants. Ces groupes rassemblés sous la bannière des FDLR ont un objectif politique : obliger Kigali à nouer un « dialogue interrwandais », c’est-à-dire permettre à leurs dirigeants de revenir au pouvoir, par la force ou par la négociation. Une éventualité que Kigali refuse absolument, en vertu d’une Constitution qui interdit désormais toute référence à l’ethnie et au « divisionnisme ».
La plupart de ces dirigeants et porte parole sont réfugiés en Europe, France, Belgique et surtout Allemagne et à part, quelques arrestations ponctuelles de « génocidaires » ils ne sont guère inquiétés. Ce qui leur permet de donner des ordres aux troupes restées au Kivu, de prêcher l’intransigeance et de prolonger le conflit.
Faut il rappeler que si ces réfugiés hutus sont toujours présents au Kivu, c’est parce qu’au début, c’est-à-dire au lendemain du génocide auquel nombre d’entre eux avaient participé, ils furent « conduits » au Kivu par leurs dirigeants sous la bannière de l’Opération Turquoise et par la suite pris en charge par l’aide internationale. C’est-à-dire par le HCR et surtout par les mêmes ONG qui s’opposent aujourd’hui au rapatriement forcé que signifie Kymia II.
A l’époque déjà, ces ONG s’opposèrent aux tentatives de rapatriement vers le Rwanda menées par le HCR, au démantèlement des camps, mené avec brutalité par l’armée rwandaise en 96-97 et qui s’accompagna de massacres. Médecins sans Frontières fut à l’époque la seule organisation à quitter les camps, assurant que « les extrémistes y avaient pris le pouvoir ». Aujourd’hui, le nombre de réfugiés a changé, mais l’esprit général demeure identique
Deuxième point. Après avoir longtemps collaboré avec ces groupes armés, sur le plan militaire ou économique, l’armée congolaise, sous les ordres du chef de l’ Etat, a opéré un virage important et entrepris de rétablir au Kivu la pleine souveraineté de l’Etat. Donc de reprendre le contrôle de ces « enclaves » où les Hutus rwandais étaient les maîtres. Il ne s’agît pas seulement d’un « cadeau » qui aurait été consenti au président Kagame, mais d’un acte de souveraineté légitime, la neutralisation de groupes armés étrangers qui représentent moins un danger pour le pays voisin qu’une véritable force d’occupation du territoire et une menace pour les populations civiles congolaises.
En outre, ces forces représentent actuellement un danger mortel pour les populations de la région : elles se vengent sur les civils, multiplient viols et exactions. Il s’agît là de la technique bien connue des preneurs d’otages : arrêtez les opérations, sinon je tue tout le monde…
Troisième point. Si l’objectif est légitime et doit être poursuivi, les instruments disponibles méritent d’être examinés et les conséquences de l’intervention doivent être analysées. Une sorte d’”audit” de Kymia II pourrait peut-être calmer les esprits, cette évaluation étant menée avec les porte parole des populations concernées et les ONG travaillant effectivement sur le terrain plus que les “think thanks” et autres analystes à distance.
Ces instruments sont l’armée congolaise et la Monuc. Cette dernière doit être rendue plus performante : elle doit renforcer encore ses troupes au Kivu en y concentrant l’essentiel des 17000 hommes présents dans le pays, elle doit, mieux que par le passé, obliger les Casques bleus à protéger les civils conformément à leur mandat. Non pas suspendre son assistance aux FARDC, mais au contraire l’améliorer et la renforcer.
Quant à l’armée congolaise, chacun sait qu’elle est en pleine restructuration. Elle n’est pas, comme certains l’assurent, vouée par nature à l’inefficacité ni synonyme d’exactions et de pillages. Bien souvent cependant, ses soldats et officiers se comportent mal et parfois commettent crimes, viols et exactions, (mais malgré leur ampleur, leurs exactions ne sont cependant pas de même nature que celles des FDLR et ne comportent pas les mêmes éléments de cruauté gratuite).
Il y a a cela plusieurs raisons : tout d’abord les irrégularités dans le paiement des soldes et la paupérisation des troupes. Cela s’explique par l’insuffisance du budget national contraint aux restrictions par les institutions financières internationales, mais surtout par les détournements de fonds et autres irrégularités. Il s’agît là de problèmes structurels auxquels les Européens et l’Onu promettent depuis des années de porter remède, en séparant la chaîne des paiements de la chaîne de commandement.
Le mauvais comportement de l’armée s’explique aussi par son caractère disparate : à l’occasion des divers accords de paix, Kinshasa a été obligé d’intégrer dans son armée les divers mouvements rebelles ainsi que les « irréguliers » Mai Mai et autres supplétifs. L’an dernier encore, les hommes de Laurent Nkunda ont été incorporés dans l’armée congolaise et employés dans l’opération, Kymia, sans être passés par une « screening » ou un recyclage.
Cette insertion des hommes de Nkunda (parmi lesquels des démobilisés de l’armée rwandaise…) s’est réalisée sous le principe de l’impunité, ces hommes n’ont pas du rendre compte des crimes qu‘ils avaient commis précédemment. L’impunité, très critiquée, d’hommes comme Bosco Ntaganda est cependant de même nature que celle qui fut imposée à l’armée congolaise depuis le début des négociations de paix et qui fut à l’époque ratifiée par la communauté internationale. Au sommet de l’armée congolaise actuelle se trouvent des hommes tout aussi criminels que Bosco Ntaganda avec lesquels personne ne refuse de discuter…
Cette armée est en pleine restructuration, certaines unités passées par le brassage et des formations particulières (à Kindu entre autres) sont plus performantes que d’autres mais sur le terrain, très vaste, il est impossible ne n’aligner que les meilleurs. L’instrument militaire doit donc être affiné, amélioré, rendu plus performant et le ministre de la Défense Mwando Simba doit être sérieusement assisté dans ses plans de réforme. Mais les FARDC ne doivent certainement pas être mises mis hors jeu, car l’armée représente un instrument essentiel de la souveraineté de l’Etat et de la défense du territoire.
Cinquième point. Le « cerveau » des FDLR ne se trouve pas au Kivu. Même si l’opération Kymia démantèle à grand peine des pièces de la machine, c’est en Europe que se trouvent le volant et le carburant. Le volant, c’est-à-dire les chefs politiques. Les gouvernements européens, s’ils sont sincères dans leur volonté d’aider le Congo et de pacifier la région, doivent contrôler ces chefs politiques, vérifier leurs passeports, cesser de leur octroyer naturalisations, permis de séjour et moyens de communications avec le terrain.
Quant au carburant, c’est-à-dire les moyens financiers, il est fourni à travers les circuits d’acheminement des minerais, qui assurent les ressources du mouvement.
Ici encore, il faut neutraliser ces circuits mafieux, obliger les sociétés importatrices à pratiquer la transparence. Boycotter les minerais du Kivu serait contreproductif pour les populations elles mêmes, qui seraient privées du bénéfice d’une ressource naturelle qui, bien utilisé, pourrait accélérer le développement de la région.
Bref, il importe de s’attaquer aux causes des problèmes et non pas prendre prétexte des conséquences de l’action pour prêcher le statu quo… Il importe aussi, à la veille du 50 eme anniversaire de l’indépendance, de respecter le besoin congolais de souveraineté nationale, de mettre fin à la tutelle sans pour autant abolir la vigilance et le respect des valeurs fondamentales.
http://blogs.lesoir.be/colette-braeckman/2009/10/29/kyma-ii-doit-etre-evaluee-se-poursuivre-et-sameliorer/
Posté par rwandaises.com