Au Rwanda, les radios restent la clef de voûte du pays. En 1994, certaines encourageaient au génocide. En 2009, elles incitent le peuple à se réconcilier, par exemple en se précipitant pour assister au Tour du Rwanda.

Par Pierre Carrey (à Kigali)

C’est un véritable petit exploit de la diplomatie parallèle qu’est en train de vivre le Tour du Rwanda. Cette semaine, l’épreuve est couverte par deux journalistes de Radio France International (RFI) dont la station parraine aussi le maillot rouge de la combativité. Et ce alors même que Paris a dû fermer son ambassade en novembre 2006 et que les émissions de « la voix de la France » sont suspendues depuis octobre 2005 (1). Le cyclisme joue peut-être un rôle précurseur dans le rapprochement entre les deux gouvernements puisque le Tour du Rwanda accueille un club de l’Hexagone (le CA Castelsarrasin), une société d’organisateurs français (GSO), et cinq journalistes français dont deux travaillant pour RFI.

GRÂCE A LA RADIO, LE PUBLIC SUIT LE TOUR DU RWANDA COMME UN FEUILLETON

En janvier, la radio avait déjà dépêché un reporter à Kigali, la capitale, pour suivre la Coupe d’Afrique de football des moins de 20 ans. Mais l’envoyé spécial n’avait pas eu l’occasion d’interroger le Ministre des Sports et de la Culture au micro comme ce fut le cas dimanche, veille de la première étape. Le représentant du gouvernement a été interrogé par la presse rwandaise : que fait donc la radio française dans un pays où elle est pour l’heure interdite ? « Nous n’avons pas d’amis permanents, pas d’ennemis permanents, mais des intérêts permanents », a répondu Joseph Habineza, entre realpolitik et souci marqué d’apaisement.
Sur la course, c’est Contact FM qui retransmet les étapes en direct. Fred, le journaliste sportif, dans des tenues toujours très soignées, ne ménage pas sa peine aux arrivées, auprès des deux équipes nationales du Rwanda. Contact FM sème un sillon fertile : la passion du cyclisme pousse ici à la vitesse du bambou. Assez timoré sur la première étape, le public crie désormais au passage de ses champions. Il ne connaît pas leur visage mais interroge les voitures qui ouvrent la route : « Comment va-t-on reconnaître Abraham ? Et Adrien ? «  Grâce à la radio, le peuple rwandais suit l’épreuve à la manière d’un feuilleton. Sur le bas-côté, il dépasse même l’affluence d’une étape du Tour de France. Le service d’ordre aux arrivées essaie de contenir une foule passionnée mais très disciplinée, monumentale jeudi dans les rues de Butare, l’ancienne capitale du pays. Et les enfants suspendent leur vie à la cime d’arbres fragiles pour voir le peloton arriver de loin.

« LE RWANDA NE SE RÉSUME PAS AU GÉNOCIDE ET AUX RÉSERVES DE GORILLES »

En quête d’une résurrection collective après le meurtre d’un million de ses habitants voilà quinze ans, le Rwanda réunit son territoire et rassemble ses hommes le temps d’une course cycliste. Les sociologues et les ethnologues pourraient écrire des kilomètres sur ce succès inattendu et ses conséquences politiques profondes. « Le football est complètement balayé par le vélo », constate un membre du comité local d’organisation. Le Ministre des Sports, qui projetait de suivre une étape, ne rate aucun départ ni aucune arrivée, et gare sur le parcours son 4×4 noir aux vitres teintées pour prendre des nouvelles de ses cyclistes. Aimable Bayingana, président de la fédération rwandaise et président du comité d’organisation de l’épreuve, attribue aux médias une large part de la frénésie naissante : « Ce sont eux, et en particulier les radios, qui incitent les Rwandais à suivre la course. La radio joue un rôle très important dans notre pays. Tout dépend de l’idéologie qu’elle diffuse. Il n’y a pas si longtemps, elle a mobilisé une partie de la population pour tuer une autre partie d’entre elle… » En 1993 et 1994, dans un pays où l’accès au petit écran et à la presse écrite reste minoritaire, RTLM (la Radio Télévision libre des Mille Collines, rebaptisée « Radio Télévision La Mort »), avait directement encouragé les extrémistes hutus à massacrer les modérés ainsi que les membres de l’ethnie tutsi…
La référence au chaos est permanente au Rwanda. Le Tour cycliste participe lui aussi au travail de mémoire, avec une étape contre la montre tracée dimanche dans le quartier le plus meurtri de la capitale, et un maillot de meilleur jeune parrainé par la Commission nationale de lutte contre le génocide. Ce dernier doit être rappelé… et surmonté. Tout dans ce pays, y-compris le sport, chemine entre la double matrice du souvenir et de la réconciliation, d’un passé hideux et d’un futur ambitieux (le pays veut devenir la Singapour d’Afrique à l’horizon 2020). Le sport consolide l’élan national. « Le Tour du Rwanda doit permettre aux gens de se faire une autre image de notre pays,, estime le Ministre des Sports. Le Rwanda ne se résume pas au génocide et aux réserves de gorilles… »

LES TROTTINETTES EN BOIS NE COLLENT PLUS A L’IMAGE MODERNE

Cette nouvelle image de modernité concerne au plus haut point la sécurité. La fierté d’un état encerclé de voisins très instables, dans la région des Grands lacs. Un Français engagé parmi les suiveurs s’agace : « Avant de partir, mes amis me demandaient si j’allais emporter mon gilet pare-balles » Sur place, un chauffeur de taxi demande : « Vous vous sentez en sûreté ? » Suffisamment en tout cas pour laisser son sac dans une voiture ouverte, un geste impensable en France. Pour le plus effrayant et le plus réconfortant, le Rwanda est devenu hyper hygiéniste. Heureux pays qui ne fume pas et cache ses prostituées, qui bannit les sacs plastique et les ampoules classiques, qui reboise ses forêts naguère abandonnées aux promoteurs, dont les détritus s’évaporent des rues – en particulier ce samedi, jour de corvée obligatoire pour tous les habitants – et où les douaniers lancent au visiteur au moment d’encaisser les droits de visa : « Bonjour ! Comment allez-vous ? » Le Rwanda se veut sûr, rassurant et ne manque pas d’assurance dans le propos.
La « Singapour africaine » gomme aussi les dernières ombres de son image misérabiliste et d’un folklore ancien, en exigeant par exemple que tous les citoyens portent des chaussures et en limitant l’usage des vélos en bois. Ces machines fabuleuses, utilisées comme une trottinette pour porter des sacs de café, pommes de terre ou bananes, sont en voie de disparition. Elles seront célébrées toutefois mardi par des dizaines de participants, sur la « Wooden Bike Classic », qui a servi à détecter les talents de l’équipe du Rwanda. Heureusement, il reste des traditions vernaculaires que la meilleure police au monde ne peut pas réprimer. Sur le chemin du très chic Serena Hotel, où les concurrents du Tour du Rwanda ont été reçus vendredi soir par le Ministre des Sports, des gamins ramassent de grosses sauterelles attirées par le halo blanc des lampadaires basse tension. Ils les glissent dans des bouteilles vides, de marque « Nil » – le fleuve sacré prend sa source ici. « Les sauterelles ont un très bon goût, commente un passant. Et elles contiennent des vitamines spéciales. » Aux dernières nouvelles, les cyclistes rwandais refusent cet adjuvant.

(1) Le gouvernement rwandais met en cause l’attitude de l’armée française, accusée d’avoir soutenu les extrémistes hutus entre le début des persécutions des Tutsi en 1990 et leur génocide en 1994. La France, de son côté, qui n’a toujours pas présenté ses excuses ou ses regrets contrairement à la Belgique et à l’ONU, a recommandé – via son juge d’instruction Jean-Louis Bruguière – d’entendre l’actuel Président rwandais, Paul Kagamé, dans l’enquête sur l’attentat qui a coûté la vie le 6 avril 1994 à l’ancien chef d’Etat et servi de prétexte et détonateur au génocide…

 

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Postè par rwandaises.com