Pole Institute a organisé une journée portes ouvertes à l’hôtel Ihusi de Goma le 26 janvier 10 pour débattre de la question du retour des réfugiés congolais installes au Rwanda. Cette journée a été organisée a la suite de la publication par Pole du dossier » Le retour des réfugiés congolais installés au Rwanda : à qui profite la peur ? » une question qui, depuis la fin de l’année 2009, a mobilisé et mobilise encore aujourd’hui les médias, les politiciens et les citoyens lambda aussi bien à l’est de la RDC que dans les salons huppés de Kinshasa.
On ne peut trouver de solution au problème des réfugiés si l’on considère ses propres compatriotes comme des étrangers
L’objectif de cette rencontre était moins la validation de notre recherche sur terrain que la libération de l’expression autour d’une réalité- le retour des réfugiés congolais du Rwanda- qui a été présentée avec une telle charge de peur qu’une frange de députés nationaux a vite crié à une » énième tentative de balkanisation » et de proposer des pistes pour une gestion responsable du retour des réfugiés congolais partout où ils se trouvent à travers le monde. Les députés provinciaux, les délégués de l’exécutif provincial, les chefs coutumiers, les acteurs politiques et ceux de la Société civile, les représentants des organisations internationales, les responsables des services de sécurité ont tour à tour suivi les présentations et participé au débat, avant de donner leur contribution.
Pourquoi le retour des réfugiés fait peur
Plusieurs facteurs sont à la base de cette peur consécutive à ce mouvement de retour des réfugiés congolais installés au Rwanda.
Pour les chefs coutumiers, c’est leur pouvoir lui-même qui est en péril. Dans leur présentation lue par M. Eugène, Chef de Collectivité des Bapere en territoire de Lubero, la Communauté internationale gère le dossier du retour des réfugiés sans les impliquer alors qu’ils sont les seuls à pouvoir identifier leurs sujets installés à l’extérieur et à les réinstaller dans leurs milieux d’origine. D’autres expliquent cette peur du retour des Tutsis congolais par la méfiance envers le Rwanda dont ils seraient » le cheval de Troie « , selon l’expression du professeur Kä Mana décrivant le phantasme congolais face au Rwanda. D’où cette hantise des faux réfugiés qui se déverseraient au Congo pour fuir la réforme agraire au Rwanda. Selon un participant, » pour combattre nos peurs, il faut nous assurer que seuls les vrais réfugiés congolais vivant au Rwanda vont rentrer et pas un déversement de la surpopulation rwandaise sur le territoire congolais « . Pour d’autres encore, la peur aurait plutôt des motivations économiques, liées notamment à la question foncière. La perspective de restituer les espaces arables à leurs propriétaires actuellement en exil est en effet vécue comme une menace par les populations demeurées sur place. Pour d’autres enfin, il y aurait une sorte de sentiment de culpabilité à voir revenir ces anciens voisins au vu des conditions parfois inhumaines ayant entouré leur départ en exil, » entassés sur des camions comme des sacs « .
» On ne résoudra pas ce problème en multipliant les obstacles. «
Comme l’a souligné le président de l’Assemblée provinciale du Nord Kivu, ce n’est pas en multipliant les obstacles au retour des réfugiés congolais qu’on aura résolu le problème. Le premier obstacle, selon lui, c’est la législation coutumière en matière d’accès à la propriété. En effet, pour le Chef des Bapere, la terre appartient au Chef, qui la prête à son sujet moyennant le paiement d’une redevance. Au cas où le renouvellement ne serait pas effectif après cinq ans, le Mwami récupère son bien. Dans cette logique, les réfugiés, qui sont à l’extérieur depuis plus de quinze ans aujourd’hui, ont perdu leur bien …trois fois !
L’autre obstacle pour les réfugiés est de » se faire reconnaître » comme » vrai » réfugié et donc potentiel » vrai » congolais. Ici aussi les Bami, Chefs coutumiers, réclament l’exclusivité de l’identification en amont et en aval, pour trier leurs sujets ainsi que leurs éventuels descendants. Cet obstacle, tout comme le précédent, ne peuvent être levés que dans le cas où un Etat véritablement responsable émergeait enfin en RDC.
» Le pays ne doit pas être géré par le téléphone ou la rumeur «
» Depuis quand Ishasha est-il frontalier du Rwanda ? « , s’interroge Léon Bariyanga, président de l’Assemblée provinciale du Nord Kivu, révolté par l’alerte de ces députés nationaux qui mentionnent ce poste frontalier avec l’Ouganda (près de 160 kilomètres au nord-ouest de Goma) comme un des trois points d’entrée de ces » migrations aussi clandestines que massives des populations du Rwanda vers la RDC « . Pour casser les reins à la rumeur, tous les participants invitent tout le monde, en commençant par les autorités et la presse, à gérer la communication avec responsabilité , en recherchant toujours les faits et les preuves.
Penser une réponse globale
Selon les dernières statistiques du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR), 231 000 Congolais sont réfugiés dans 5 pays limitrophes de l’Est et du Nord Est de la RDC : 16 000 au Soudan, 67 000 en Ouganda, 54 000 au Rwanda, 30 000 au Burundi et 64 000 en Tanzanie. Si l’on y ajoute les réfugiés politiques, les réfugiés économiques, les réfugiés psychiques et autres réfugiés escrocs – la catégorisation est du professeur Kä Mana- qui se sont dispersés à travers le monde du fait du désordre dans lequel notre pays se complaît depuis son accession à l’indépendance, l’on comprend que le défi et l’enjeu vont au-delà de ces désormais fameux » vrais/ faux » réfugiés venus du Rwanda, précédés ou suivis par une cohorte de phantasmes et de fixations. L’enjeu et le défi, c’est l’érection d’une nation congolaise qui accueille tous ses fils et toutes ses filles, une nation qu’on peut quitter librement et où l’on revient dignement au lieu de continuer à offrir nos compatriotes comme ressources humaines aux autres.
Construire la nation congolaise avec l’ensemble de ses intelligences, de ses composantes, de ses génies.
La peur du retour des réfugiés congolais exilés au Rwanda procède en définitive d’une tendance lourde qui s’observe un peu partout en RDC, celle de confiner les populations dans leurs terroirs, dans leur village, selon des critères ethniques. Ainsi, un journal paru à Goma se plaint de l’abus que les ressortissants du Sud Kivu font de l’article 30 de la Constitution, en devenant » quasiment de véritables envahisseurs de la Province du Nord Kivu » ; alors qu’en Ituri l’on se plaint du » glissement des Nande » vers ce district ; la spécificité pour les réfugiés congolais au Rwanda étant que leur village est un pays étranger. Allons-nous construire une nation congolaise ou consolider un espace de villages emmurés?
Par Onesphore SEMATUMBA
Goma, le 28 janvier 2010
Posté par rwandaises.com