Nicolas Sarkozy sera en visite officielle au Rwanda jeudi 25 février. Une première pour un président français depuis le génocide de 1994. Nous publions trois témoignages qui illustrent les attentes des Rwandais.

Nicolas Sarkozy

Nicolas Sarkozy

(c) Reuters

Nicolas Sarkozy n’a pas perdu de temps. A peine trois mois après le rétablissement des relations diplomatiques entre la France et le Rwanda, il sera le jeudi 25 février l’hôte de son homologue, Paul Kagamé, à Kigali. Une visite de quelques heures, mais hautement symbolique. C’est la première fois qu’un président français se rend au pays des Mille Collines depuis l’extermination des tutsis au printemps 94. Il sait que ses propos, ses gestes seront scrutés à la loupe, à la fois par les rescapés et les dirigeants rwandais, mais aussi par ses propres militaires et certains de ses alliés politiques, comme Edouard Balladur ou Alain Juppé. Les premiers accusent l’Etat français de complicité avec les tueurs hutus et attendent de son chef des excuses publiques. Les seconds rejettent tout rôle dans le génocide et ne veulent pas entendre parler d’un quelconque pardon. Réactions de quelques intellectuels et rescapés rwandais, à Kigali.

« Paris a refusé de voir »

Le psychiatre Naasson Munyandamutsa est le directeur adjoint de l’Institut de recherche et de dialogue pour la paix. Il salue le rapprochement entre Paris et Kigali car « cette tension » entre les deux pays « empêchait de penser ». Pour revisiter ce passé qui ne passe pas, il souhaite la création d’une commission conjointe composée de chercheurs, historiens, sociologues… « Le ressentiment à l’égard de la France est le plus fort chez les francophones. Nous le vivons au fond de notre cœur. J’étais à Genève en 1992 quand j’ai appris que ma mère était souffrante. A mon arrivée à Kigali, il y avait une barrière avec des militaires français et rwandais. Le Français m’a demandé de décliner mon identité. J’ai sorti exprès mon passeport. Il m’a dit : ‘Votre carte d’identité’ (où figurait l’appartenance dite ethnique). ‘Pour vous Français, un passeport ne révèle pas l’identité ?’ lui ai-je dit. Le soldat rwandais m’a giflé, jeté à terre. J’ai tendu ma carte avec le doigt posé sur le mot « tutsi » : ‘Voici mon ethnie’. On m’a craché au visage. Quelques jours après, on a brûlé ma maison, tué mes oncles, incarcéré mes deux frères. Après sept mois, l’un d’eux a été libéré et a fui au Burundi. A part lui et moi, toute la famille a été massacrée deux ans plus tard. Le pouvoir politique français ne pouvait pas ignorer ce que ses militaires étaient en train de faire. Je ne crois pas qu’à Paris, on a dressé des plans pour exterminer les tutsis, mais on a refusé de voir, on s’est dit : ‘Qu’importe, tout ça se passe dans la brousse’ ».

« Les errements d’une politique »

Chercheuse en sciences politiques, Assumpta Mugiraneza a codirigé un dossier de la revue d’histoire de la Shoah, consacré au génocide des tutsis. Sa famille a été elle aussi presque entièrement anéantie. Elle n’a eu la vie sauve que parce qu’elle vivait alors à Paris. « J’ai été élevée dans les idées de la France. Mon père avait toujours les Pensées de Blaise pascal à son chevet. L’un de mes frères d’ailleurs s’appelle Blaise ». Elle a publiquement déploré la rupture entre les deux pays. « Car je savais que cela allait nous faire basculer dans le monde anglo-saxon. Cette obsession de Mitterrand qui a fini par se réaliser, comme s’il nous avait lancé un sort ». Dans ce pays traumatisé, « certains tutsis ont peur » depuis le rétablissement diplomatique avec la France et « des hutus proclament que leurs amis reviennent ». Assumpta Mugiraneza guettera les paroles de Nicolas Sarkozy. Si elle se félicite du rapprochement en cours, elle attend au moins, à défaut d’un pardon, une « reconnaissance des errements de la politique française au Rwanda ».

« Des malfaiteurs cachés en France »

Freddy Mutanguha. Directeur du Mémorial de Kigali et secrétaire général de l’association de survivants, Ibuka. J’avais 18 ans pendant le génocide. Près de 80 membres de ma famille ont été exterminés dont mes parents et mes quatre soeurs. On habitait à l’ouest du Rwanda, à Kibuye. Pendant les premiers jours, mon père, un haut fonctionnaire, a payé (les tueurs) pour avoir la vie sauve. Mais, il est arrivé un moment où il n’a plus eu d’argent. Il m’a dit : « Tu dois partir car les garçons seront les premiers à être tués ». Je me suis caché chez un voisin hutu, un ancien copain d’école. Le 13 avril (1994), ils ont attaqué la maison de mes parents. Je n’étais pas loin, j’entendais les cris. Il faut que la France punisse les malfaiteurs qui se cachent sur son territoire et qu’elle reconnaisse le génocide. Des excuses sont nécessaires. Même la Belgique et les Nations unies nous ont demandé pardon pour ne pas être intervenues. Nous attendons de Nicolas Sarkozy des mots d’amitiés, de réconforts, mais aussi une aide en faveur des survivants. Cela peut prendre différentes formes, mais il faut qu’il y ait quelque chose.

Propos recueillis par C.B.
http://tempsreel.nouvelobs.com/actualites/international/20100224.OBS7907/sarkozy_au_rwanda__retour_a_kigali_par_c._boltanski.html
Posté par rwandaises.com