Génocidaire ou médecin paisible de Villeneuve-sur-Lot qui se dit victime d’une machination ?
En janvier, des manifestants avaient réclamé le départ de Sosthène Munyemana (en haut à droite) de l’hôpital de Villeneuve-sur-Lot. Alain Gauthier, président du Collectif des parties civiles pour le Rwanda, est convaincu de sa culpabilité. photos andré dossat, dr et sipa
Sosthène Munyemana est du genre bonhomme. Le type plutôt sympa, traînant un physique débonnaire à cent mille lieues de l’image terrifiante que dépeignent ses accusateurs. Celle d’un massacreur, d’un planificateur génocidaire, vêtu de feuilles de bananier, coiffé du chapeau rouge et noir du MDR Power, agitant une épée aussi longue qu’une lance et exhortant ses miliciens à exterminer les Tutsis de son secteur.
Qui est Sosthène Munyemana ? Quel miroir doit-on regarder ? Celui du génocidaire ou du médecin paisible de Villeneuve-sur-Lot qui se dit victime d’une machination ? Plus de seize ans après la tragédie rwandaise (800 000 tués), de lourds soupçons pèsent toujours sur l’ancien gynécologue de l’université de Butaré qui, aujourd’hui, exerce à l’hôpital de Villeneuve-sur-Lot. Après quinze ans d’inertie, la justice française a décidé de se pencher à nouveau (une première plainte avait été déposée en 1995) sur le cas de cet homme de 54 ans qui crie au complot politique ourdi depuis Kigali.
Incitation aux massacres
Interpellé le 21 janvier dernier à son domicile de Cestas, en Gironde, pour une présentation devant un magistrat bordelais, puis relâché, Sosthène Munyemana guette, depuis, la décision concernant la demande d’extradition émise à son encontre par le Rwanda qui entend le juger pour crimes et génocides.
Fiché sous ces mêmes chefs par Interpol, Sosthène Munyemana ne devrait toutefois pas être extradé eu égard à la jurisprudence française en la matière. « Je ne suis pas inquiet » assure-t-il. La décision de la chambre de l’instruction devrait intervenir le 3 juin. Et celle-ci aura sans doute la sagesse d’attendre les conclusions d’une autre procédure menée par les juges d’instruction Fabienne Pous et Michèle Ganascia. Deux magistrates parisiennes qui, événement notoire, ont réactivé le dossier pénal et se sont rendues il y a trois semaines au Rwanda afin de mener l’enquête sur le docteur Munyemana. Il va sans dire que le réchauffement des relations entre Kigali et Paris n’est pas étranger à cette brusque (ré)animation d’une affaire au cours de laquelle le médecin villeneuvois n’a été entendu qu’à titre de témoin et n’a jamais été mis en examen jusqu’à présent.
Le cas d’un autre médecin rwandais, Eugène Rwamucyo, qui officiait à l’hôpital de Maubeuge, interpellé pas plus tard que mercredi dernier, illustre semble-t-il la volonté de la France de faire la lumière sur cette page tragique de l’histoire et sur ces ressortissants suspectés des pires crimes. « La France ne sera jamais un sanctuaire pour les auteurs de génocide », ont ainsi déclaré dans une tribune publiée dans « Le Monde » du 6 janvier Bernard Kouchner et Michèle Alliot-Marie.
La perspective d’un procès qui verrait comparaître Sosthène Munyemana n’appartient plus au domaine de l’illusoire. Ce qui ravit aussi bien les parties civiles que l’intéressé. Sosthène Munyemana a ainsi écrit au ministère de la Justice en 2004 pour réclamer d’être jugé. Car le médecin villeneuvois le dit et le redit : « Je ne suis pas le boucher de Tumba ! »
Allusion au surnom dont l’a affublé l’organisme African Rights, l’un des premiers à avoir mené son enquête sur le docteur de Butaré et qui a recueilli, dans un rapport public accessible sur Internet, une série de témoignages qui, s’ils sont authentiques, sont accablants pour Sosthène Munyemana. Selon ces témoins, le médecin aurait en avril 1994 « tué de ses propres mains un certain nombre de personnes, préparé des listes de Tutsis à des fins d’élimination, prononcé des discours enflammés pour inciter à massacrer les Tutsis, fouillé des lieux de refuge afin de capturer les Tutsis et les livrer », etc. La liste des griefs est longue. Le mémoire de défense de Sosthène Munyemana l’est tout autant. Plus de trois cents pages dans desquelles il assure pouvoir démonter chacune des accusations qui sont portées contre lui « avec des éléments objectifs ».
« Victime d’une chasse »
« On confond les époques et on m’impute des faits à des dates où je n’étais plus au Rwanda. » Selon le médecin rwandais, les témoignages recueillis par African Rights ne sont pas fiables car ils ont été « monnayés ». Il est en capacité de produire une lettre d’un des témoins le prouvant.
« African Rights est téléguidé par le pouvoir en place à Kigali, qui considère tous les intellectuels hutus comme des génocidaires et surtout s’ils sont en capacité de critiquer le régime. » L’ancien membre du MDR jure qu’il n’a pas participé au moindre massacre mais a sauvé des Tutsis. « Je veux bien reconnaître avoir participé à des rondes de sécurité, mais c’était pour empêcher l’entrée des milices hutues », explique-t-il. Et s’il s’est sauvé du Rwanda avec ses trois enfants pour gagner Bordeaux (où travaillait sa femme) en juin 2004, c’est parce qu’il était menacé par les milices hutues qui voyaient en lui un obstacle au massacre des Tutsis. Sosthène Munyemana se dit victime de ses amitiés.
« Ce sont mes amis dans les deux camps qui pourraient m’envoyer à l’échafaud », assure-t-il. Il y a d’abord Jean Kambanda, le Premier ministre du gouvernement génocidaire condamné par le TPI d’Arusha à perpétuité. « Je n’ai pas été en contact avec lui », jure Munyemana. Et puis il y a l’ami du FPR, le Tutsi dont il veut taire le nom et qui aujourd’hui mènerait la cabale à son encontre. « Il me fait payer mon refus de rejoindre les rangs du FPR », estime le médecin. Sosthène Munyemana devra en convaincre la justice.
http://www.sudouest.fr/2010/05/30/il-est-soupconne-d-etre-le-boucher-de-tumba-104765-3900.php
Posté par rwandanews.be