Réponse au Prof André Twahirwa
Eminent Professeur,
Je vous remercie d’avoir eu l’amabilité de réagir à mon papier « La mission civilisatrice du Rwanda ». Je me sens honoré. De la discussion jaillit la lumière. Vos propos ont fort choqué au Burundi. Vous osez affirmer, ex cathedra, que le Burundi et le Rwanda ne sont pas des frères jumeaux (ni des frères du tout), mais des voisins froids à la limite antagonistes. Vous êtes manifestement dans l’erreur. Vous osez contester la fraternité intrinsèque entre nos deux pays. Et pourtant nos destins sont intimement liés. Nos malheurs et bonheurs également.
L’histoire tragique de notre région procède justement de l’imbrication de nos destins. La révolution génocidaire rwandaise de 1959 détruit la société multiséculaire burundaise. L’assassinat de Ndadaye change le cours du processus de paix rwandais. Le génocide des tutsis rwandais exporte la guerre au Congo avec des millions de morts et l’exil et la persécution des Banyamulenge à qui on refuse à ce jour le droit à la nationalité, de tous les peuples du grand Congo.
Certaines familles ont une partie au Burundi l’autre au Rwanda. De nombreux anciens réfugiés de part et d’autre (les Rwandais au Burundi, et les Burundais au Rwanda) ont un attachement affectif pour les deux pays.
Lors du jubilé d’or du Collège Notre Dame de Gitega (Burundi) l’année dernière, les anciens élèves venus expressément du Rwanda ont contribué un montant inimaginable plus que leurs camarades burundais. Des hommes d’affaires, des professions libérales, des officiers supérieurs anciens du Burundi professent une affection particulière pour le Burundi. Beaucoup d’anciens réfugiés ont des biens et des familles au Burundi. Une famille démunie me disait qu’une partie des enfants sont au Burundi chez leurs oncles, d’autres au Rwanda faute de moyens.
Manifestement, vous semblez croire que le Rwanda peut exceller seul comme une île dans un océan de misère et de désordre au Burundi et au Congo. La fraternité est un bon sens économique avant d’être un devoir de civilisation. Si l’Union européenne connaît la paix depuis 60 ans après des millénaires de guerre, c’est qu’elle a compris que l’entente (autre terme de fraternité) est le bien le plus précieux.
Nos pays doivent vivre en harmonie et prospérer ensemble. Un Burundi prospère et fraternel sera un marché rémunérateur pour le brillant Rwanda. Monsieur le Professeur, sans vouloir polémiquer, vous semblez ivre des succès du Rwanda et en avez perdu le bon sens et la sagesse.
Par ailleurs la réconciliation avec les génocidaires est incontournable. En Allemagne, on a pendu les chefs génocidaires et on a civilisé et démocratisé la population. L’argument que tous les dissidents sont coupables et n’ont droit à la justice, je l’ai déjà entendu. Cela dépasse l’entendement. Un dissident demande l’asile au Burundi et il est enlevé par la police nationale et livré poings et mains liés en violation de tous les droits humains. Les amis rwandais applaudissent.
Des gens qui ont souffert l’injustice la plus atroce en commettent sur d’autres comme si l’histoire était un perpétuel recommencement. Des compagnons de la libération sont obligés de fuir le pays qu’ils ont libéré après avoir vécu toute leur enfance et maturité en exil. Des amis rwandais applaudissent alors que la justice et les droits de l’homme sont indivisibles. Cela vaut aussi sur la discrimination ethnique dans les services. Vous contestez mais tous les observateurs constatent ce fait. Un groupe qui a souffert de la discrimination la plus totale ne peut se perdre de revenir à ce système barbare, indigne d’un Etat moderne.
Dans mon article, je n’ai fait que parler avec mes tripes sur ce que j’ai vu. Peut-être que je me trompe mais c’est sans mauvaise foi. Mais j’ai droit à mon opinion et à l’exprimer sans rancune ni antagonisme. Encore merci d’avoir daigné réagir à mon article avec force et érudition.
Chris Harahagazwe
Posté par rwandaise.com