Alassane Ouattara – et son chef de guerre, Guillaume Soro – a pris une responsabilité historique extrêmement grave en appelant ses militants et sympathisants à prendre la radiotélévision ivoirienne puis la primature. Il risque de donner le signal de massacres croissants, de mettre le feu à la poudrière abidjanaise, puis à l’ensemble du pays.
On peut être fatigué de jouer les Cassandre pour avoir été le seul analyste, dès les années 1980, à prédire la guerre civile à partir d’un enchaînement de violence et l’embrasement de toute l’Afrique de l’Ouest dans une « guerre nomade » tournante. On ne peut cependant que sonner le tocsin devant un danger aujourd’hui similaire.
Chaque camp est prêt à mettre les jeunes dans la rue et, à ce moment-là, à en découdre : « dioulas » d’Abobo contre sudistes de Yopougon, étrangers occidentaux menacés et « exfiltrés », garde républicaine, armée ou gendarmerie tirant sur des foules peut-être armées… Toutes ces hypothèses cauchemardesques risquent de se réaliser. Comme en 2000. Comme en 2004. L’issue est prévisible à Abidjan, car si même les migrants sahéliens s’alliaient dans la rue aux Ivoiriens pro-Ouattara, la population est largement acquise au président Gbagbo.
Sauf si les deux corps expéditionnaires se rangeaient aux côtés des rebelles et de M. Ouattara : la force « Licorne » française est-elle prête, comme en 2004 à l’Hôtel Ivoire, à tirer sur les foules ? Les « forces de la paix » des Nations unies vont-elles faire partie du problème, comme leur représentant, le si peu diplomate M. Choi, et installer M. Ouattara dans le sang ?
Si les Occidentaux et une introuvable « communauté internationale » largement instrumentalisée par l’Elysée veulent provoquer un nouveau Rwanda, la recette est là et les suites bien connues. Car la violence ne s’arrêtera pas aux portes de la capitale.
La rébellion, qui en quelque sorte a pris des enclaves à Abidjan (quartiers Nord, Hôtel du Golf défendu par un des plus sanglants « com-zone » (commandant de zone militaire) : Wattao), veut descendre de Bouaké pour prendre Yamoussoukro. Les Baoulé à l’Ouest et surtout les migrants sahéliens dans le Sud forestier (Mali, Burkina : entre 3 à 4 millions d’étrangers) sont très vulnérables à des violences intercommunautaires – et leur reflux éventuel pourrait déstabiliser leurs pays d’origine.
Ce n’est pas la première fois que M. Ouattara contribue à déstabiliser le pays, ni à s’appuyer sur ses réseaux français et surtout américains : en dehors des crises ouvertes et du développement d’une rébellion – laquelle s’est aujourd’hui ouvertement ralliée (M. Soro, devenant son premier ministre), la diplomatie internationale a obligé, depuis 2000, le camp Gbagbo à avaliser toutes les concessions (à commencer par la candidature même de M. Ouattara, dont beaucoup de sudistes nient encore l’origine ivoirienne) : commission électorale à sa dévotion, non-désarmement des rebelles au nord où l’administration d’Etat n’est pas rétablie, listes électorales truffées de cas douteux, etc.
L’autre camp ne sera pas en reste : il est connu qu’Abidjan et le sud sont ingouvernables pour M. Ouattara. Une guérilla à l’ouest, en continuation avec le Liberia ; une prise de pouvoir par l’armée loyaliste, en cas de graves troubles : autant de scenarii possibles en cas d’intervention armée. Les pressions et les sanctions notamment européennes en sont les préliminaires. Se rend-on bien compte à Paris, Bruxelles ou Washington des conséquences des ingérences actuelles ?
Quelles autres solutions sont envisageables actuellement ? La négociation, bien évidemment, par toutes les médiations possibles, à commencer par l’Union africaine, l’Eglise catholique – et un représentant des Nations unies autre que M. Choi, définitivement compromis pour avoir outrepassé sa fonction. Et à l’extérieur du pays, l’arrêt du formatage des opinions et des appels irresponsables à la prise de pouvoir dans la rue, dans le sang, la sueur et les larmes.
Si la boîte de Pandore des massacres s’ouvre cette semaine, les responsabilités historiques en seront, par avance, bien établies. Et les requiem cérémonieux à venir, dans la magnifique cathédrale d’Abidjan, n’y changeront rien : une fois de plus les grands leaders auront envoyé leurs militants au massacre, dernier moyen pour eux de négocier le pouvoir.
Michel Galy, politologue et sociologue, chercheur au centre d’études sur les conflits Article paru dans l’édition du 30.12.10
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Posté par rwandanews