Attentat Habyarimana : L’enquête Bruguière s’effondre

Après douze ans d’instruction sur l’attentat du 6 avril 1994 contre l’avion du président rwandais Habyarimana, les nouveaux juges « antiterroristes » français Nathalie Poux et Marc Trévidic ont levé les mandats d’arrêt internationaux qui avaient été lancés en 2006 contre des suspects rwandais par le juge Jean-Louis Bruguière. L’accusation marque le pas et pourrait aboutir à un non-lieu. Un coup de théâtre en perspective !

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Photo : L’épave du Falcon 50 de Juvénal Habyarimana en décembre 1995. Au premier plan, le président rwandais Pasteur Bizimungu.

Le mercredi 6 avril 1994 vers 20 h 30, le Falcon-Dassault du président rwandais Juvénal Habyarimana est touché par deux missiles alors qu’il s’apprête à atterrir à Kigali. L’avion explose et ses débris tombent sur la résidence présidentielle, située à proximité de l’aéroport. Tous les occupants sont tués, à commencer par le président du Rwanda, son collègue du Burundi Cyprien Ntaryamira et les trois membres français de l’équipage. Un épais mystère entoure l’attentat. Et depuis lors, deux thèses s’affrontent.

Un attentat des extrémistes hutu ?

Pour les uns, l’attentat a été commis à l’instigation des extrémistes hutu, qui ne veulent pas du partage du pouvoir et de la paix avec la rébellion majoritairement tutsi de Paul Kagame, paix à laquelle vient de se résigner le président du Rwanda. A l’appui de cette thèse, le fait que le génocide des Tutsi et le massacre des Hutu démocrates commence quelques minutes après l’attentat, menés par la Garde présidentielle et le Bataillon de reconnaissance, bras armés des durs du régime. Soigneusement planifiée depuis des mois, l’extermination des Tutsi est menée avec méthode partout dans le pays. Elle fera environ un million de morts en cent jours.

Un attentat de la rébellion majoritairement tutsi ?

Thèse inverse : l’attentat aurait été commis par un commando de rebelles du Front patriotique, qui se serait introduit derrière les barrières des Forces armées rwandaises pour « aligner » l’avion. Selon les tenants de cette thèse, Paul Kagame aurait pris cyniquement le risque de voir les Tutsi du Rwanda exterminés, pour s’emparer plus facilement du pays. Et l’Armée patriotique aurait commencé à faire mouvement vers la capitale avant l’attentat.

La désignation du juge Bruguière

Peu après l’attentat, le mercenaire français et ancien « gendarme de l’Elysée » Paul Barril tente de déposer plainte en France au nom d’Agathe Habyarimana, la veuve du président assassiné, qui est sa cliente. Mais le Parquet refuse d’y donner suite. Il réitère en 1998 alors qu’une mission d’information parlementaire s’apprête à analyser le rôle de la France au Rwanda. Cette fois, l’avocate de Paul Barril a déposé une plainte au nom de la famille du co-pilote français. Le célèbre juge « antiterroriste » Jean-Louis Bruguière est désigné pour instruire la plainte concernant les victimes françaises de l’attentat. Et il acceptera ensuite que la famille du président Habyarimana, qui réside en France, se porte partie civile.

La « méthode Bruguière »

Convaincu que sa vie serait en danger s’il enquêtait au Rwanda, le juge refusera toujours de s’y rendre et négligera même d’ordonner une expertise balistique. Par contre, il entend longuement les chefs extrémistes hutu emprisonnés à Arusha dans l’attente de leur jugement par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) institué par l’ONU au lendemain du génocide. Ceux-ci pointent du doigt le mouvement rebelle. Le juge français accorde aussi une grande importance au témoignage d’anciens militaires de l’Armée patriotique qui s’accusent d’avoir participé à l’attentat. Très vite, la conviction du juge est faite : l’attentat ne peut avoir été commis que par le FPR de Paul Kagame. L’instruction se poursuivra dans cette seule direction, négligeant toute autre piste.

Une instruction chaotique

Des anomalies ont caractérisé l’instruction. Fabien Singaye, un ancien espion au service de la famille Habyarimana, par ailleurs gendre de Félicien Kabuga (recherché par le TPIR comme le supposé « financier du génocide » et toujours en fuite) est recruté par Bruguière comme interprète puis comme expert. Les « repentis » qui s’auto-accusent de l’attentat ne sont même pas mis en examen après leur audition. Plus tard ils reviennent spectaculairement sur leurs aveux. Le « juge antiterroriste » consulte des hommes politiques et des diplomates étrangers sur l’évolution de son dossier. L’instruction, menée uniquement à charge, « fuite » auprès de journalistes amis, etc.

Les mandats d’arrêt internationaux

Finalement, en novembre 2006, le juge Jean-Louis Bruguière émet neuf mandats d’arrêt internationaux contre de hauts dignitaires de l’armée rwandaise et tente d’obtenir du procureur du Tribunal pénal international, Carla Del Ponte, des poursuites contre le chef de l’Etat rwandais Paul Kagame (qui bénéficie en France de l’immunité). Il semble que le juge ait obtenu un « feu vert » de l’Elysée et du Premier ministre Dominique de Villepin, adeptes de la thèse du « double génocide » au Rwanda. Bruguière provoque la colère du gouvernement rwandais qui rompt ses relations diplomatiques avec la France.

Bruguière, militant politique

Selon  un  télégramme confidentiel de l’ambassadeur américain à Paris Craig Stapleton, – révélé récemment par Wikileaks -, le juge Bruguière lui avait confié « qu’il avait l’accord du président Chirac » et il n’avait «  pas caché son désir personnel de voir le gouvernement Kagame isolé ». Dans ces conditions, « l’enquête Bruguière » est-elle encore une instruction judiciaire menée par un magistrat indépendant ou une opération politique complaisamment relayée judiciairement ? La question se pose avec acuité lorsqu’en 2007 le juge apporte un soutien public au candidat Nicolas Sarkozy et se présente lui-même aux élections législatives dans la 3e circonscription du Lot-et-Garonne. Les électeurs n’apprécient pas plus son arrogance que sa voiture blindée et ses gardes du corps dans cette circonscription réputée facile. Battu, Jean-Louis Bruguière ne peut décemment considérer sa mise en disponibilité comme une simple parenthèse, mais bien comme un point final à sa vie de juge d’instruction.

Le dossier repris par Marc Trévidic

Jusqu’alors, Jean-Louis Bruguière pouvait s’appuyer sur un magistrat adjoint, le juge Marc Trévidic. Ce dernier reprend la plupart des dossiers. Celui du Rwanda lui paraît simple : les 9 hauts gradés rwandais visés par les mandats d’arrêt ne se présentent pas à son cabinet. Le magistrat s’apprête donc à clore l’instruction et à renvoyer les suspects devant une cour d’assises qui, en leur absence, les condamnera automatiquement au maximum de la peine. C’est ce qu’il explique aux parties civiles et à leurs avocats au mois d’octobre 2008. Une telle issue empêchera définitivement les suspects de s’expliquer judiciairement, sauf à venir se constituer prisonniers en France, ce que personne n’envisage, à plus forte raison alors que les relations diplomatique sont rompues entre le Rwanda et la France.

Coup d’éclat : l’arrestation de Rose Kabuye

En novembre 2008, Rose Kabuye, l’élégante et charismatique chef du protocole du président du Rwanda, est arrêtée en Allemagne, en vertu d’un des mandats d’arrêt lancés par Bruguière, alors qu’elle prépare une visite de Paul Kagame. Si le régime rwandais organise de grandes manifestations de protestation, il ne s’oppose pas au transfert de Rose Kabuye vers la France. Et la confrontation avec Marc Trévidic se passe plutôt bien, d’autant que le juge des Libertés s’oppose à sa mise en détention provisoire. Bientôt, le juge lève le mandat d’arrêt la concernant et l’autorise même à des allers-et-retour entre Paris et Kigali, entre deux interrogatoires.

L’accès au dossier pour les accusés

Jusqu’alors, les Rwandais visés par l’ordonnance Bruguière n’ont pas eu accès au dossier d’instruction. La mise en examen de Rose Kabuye permet à ses deux avocats, le Français Lev Forster et le Belge Bernard Maingain, de s’y plonger. Ils ne tardent pas à en relever les errements. Il semble que les deux juges chargés du dossier, Marc Trévidic et Nathalie Poux, soient à leur tour surpris et leur intime conviction ébranlée par un certain nombre d’anomalies, en particulier l’absence d’expertise balistique. En septembre 2010, Marc Trévidic se rend au Rwanda avec des experts en balistique sur les lieux de l’attentat. Il a l’occasion d’interroger longuement Richard Mugenzi, l’espion-radio des FAR qui aurait « intercepté » le message de revendication de l’attentat par le FPR. L’homme révèle qu’il s’agit d’un montage grossier, que les enquêteurs du juge Bruguière, supposés expérimentés, se sont laissés abuser par une manipulation. En juin 2010, un nouvel interrogatoire d’Abdul Ruzibiza à Stockholm – peu avant sa mort – laisse transparaître que l’accusateur numéro 1 du FPR est un mythomane impénitent.

L’interrogatoire des autres suspects

Si Rose Kabuye a obtenu une simple « mise en examen » qui a levé son mandat d’arrêt, ce n’est pas le cas des autres suspects. Ils doivent préalablement être entendus par les juges français. Mais où ? Les juges refusent de les écouter au Rwanda. A l’étranger, ils seraient immédiatement arrêtés. Finalement, une solution est négociée entre les magistrats français, les avocats Bernard Maingain et Jean-Marie Mbarushimana, et le gouvernement du Burundi. Celui-ci s’engage à ne pas mettre les mandats d’arrêt à exécution, et à trouver un local sécurisé pour les interrogatoires. L’ambassade  de France se charge de trouver des interprètes de qualité.

D’où sont partis les missiles ?

Sur les huit suspects « recherchés », deux manquent à l’appel : Éric Hakizimana, l’un des tireurs présumés, et le général Kayumba Nyamwasa. Le premier est introuvable. Le second, en délicatesse avec le gouvernement rwandais, a fui en Afrique du Sud. Les autres sont longuement interrogés par Marc Trévidic et Nathalie Poux, en particulier le général James Kabarebe, actuel ministre de la Défense du Rwanda. A l’issue de ces auditions, les juges prononcent leur mise en examen, qui permet de lever les six mandats d’arrêt internationaux. C’en est apparemment fini de la crispation judiciaire. On n’attend plus que les expertises balistiques. Si elles  concluaient que les tirs de missiles ne sont pas partis de la vallée de Masaka mais du camp Kanombe, fief de la Garde présidentielle du président Habyarimana, on s’acheminerait sans doute vers un non-lieu général. Et les investigations prendraient la direction opposée.

Jean-François DUPAQUIER

Lire aussi sur Afrikarabia : « Rwandais accusés d’avoir abattu Habyarimana : les stupéfiantes révélations de leurs avocats »

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Commentaires

Bonjour la rédaction d’Afrikarabia

Je suis tombé par hasard sur votre site et je dois dire que je suis assez admiratif de voir comment Dupaquier tourne les choses sur le Rwanda.
Depuis la propagande stalinienne je n’avais plus vu une telle mauvaise fois avec une telle insistance:

-Le génocide n’a pas commencé quelques minutes après l’attentat comme le dit Dupaquuier, c’est la garde présidentielle qui est sortie de ses gonds en apprenant l’assassinat, mais la nuit n’est pas à feu et à sang comme le constatent les responsables de l’ONU présents. Le génocide contre les Tutsi se met en place à partir du 9 avril, après que l’assassinat des principaux leader hutu pro-accords d’Arusha aient été assassinés, d’après l’enquête du chercheur Guichaoua.

-les « repentis » entendus par Bruguière ne s’autoaccusent pas comme le dit Dupaquier, ils accusent leur chefs d’être parti dans une fuite en avant folle, qui avait pour but de prendre le pouvoir sans partage, le sauvetage des Tutsi de l’intérieur étant secondaire. Et « ils » ne se sont pas rétractés. Ce fut le cas pour seulement deux ou trois d’entre eux sur la douzaine qu’évoque l’ordonnance de soi-communiqué du juge. Et encore Ruzibiza a expliqué au juge Trévidic que si il s’est rétracté c’est parce qu’il était sous pression, et que sa femme avait été sous influence de sa « famille » FPR…
Donc Ruzibiza n’est pas plus un « mythomane impénitent* que Dupaquier un propagandiste invétéré.

-Bruguière a effectivement mis au courant Chirac de ses conclusions selon Wikileaks, mais justement s’il a attendu le résultat de son travail pour le faire c’est bien la démonstration qu’il est indépendant. Il avait déjà passablement contrarié le pouvoir français avec son enquête contre la Libye au sujet du DC 10 UTA…

Encore bravo pour votre art du conte et bonne fin d’année

Max Rodinson

Ecrit par : Max Rodison | mardi, 21 décembre 2010

 

 

Monsieur Rodinson,

En 2001, Abdul Ruzibiza serait venu dire au juge Bruguière que le 6 avril 1994 au soir, il faisait partie du commando qui a descendu l’avion de l’ancien président Habyarimana. En bon français, cela s’appelle bien s’auto-accuser de participation à un attentat terroriste, oui ou non? Qu’il ait été commissionné par ses chefs ou non pour ce faire n’est pas la question. Le chauffeur de Bin Laden a été arrêté et jugé pour moins que ça : « soutien matériel au terrorisme ». Allez-vous nous dire Monsieur Rodison, qu’il soit normal qu’un homme vienne dire à un juge qu’il a participé en personne à une action terroriste dont la conséquence immédiate fut le déclenchement d’un génocide, sans que ledit juge n’ordonne sa garde à vue immédiate dans l’intérêt de l’enquête?
Bien à l’abri dans le ventre de la justice ici représentée par les services du juge Bruguière, Ruzibiza a paradé en vedette devant les médias français sans que personne ne cherche à l’embarrasser en lui posant la question pourtant élémentaire : « comment pouvez-vous rester libre après avoir avoué votre participation à un attentat terroriste aux conséquences terrifiantes » ? Ce n’est que cinq ans plus tard en novembre 2006, après la publication officielle de l’ordonnance de soit-communiqué du juge Bruguière visant Kagame et 9 de ses proches collaborateurs, qu’un journaliste de Libération – Christophe Ayad – est allé trouver Ruzibiza dans son lointain exil en Norvège. Un Ruzibiza qui a atténué à peine son rôle dans l’attentat pour l’occasion, en répondant qu’il n’avait fait qu’assurer le guet. Ce n’était que le début de ses nombreuses variations et autres désaveux de son propre témoignage. Non Monsieur Rodison, le fabulateur n’est pas Jean-François Dupaquier dans cette affaire. Il s’appelle bien Jean-Louis Bruguière.
Je constate d’ailleurs que vous n’avez trouvé rien à redire sur d’autres affirmations aussi troublantes que Dupaquier révèle dans son article. Quant à Monsieur Guichaoua, il ne suffit pas d’évoquer sa qualité de chercheur pour effacer la tache professionnelle indélébile dont il a lui-même couvert son costume de chercheur en essayant de démontrer – avec un art du conte plus consommé que celui que vous attribuez indûment à Dupaquier – que ce pauvre Abdul Ruzibiza aurait pu écrire lui-même les 500 pages de son témoignage sur commande. Avec le niveau scolaire que tous ceux qui l’ont fréquenté au Rwanda lui connaissent, on a du penser, du côté des enquêteurs à charge, que le concours de deux célèbres « rwandologues » ferait l’affaire. Guichaoua et Claudine Vidal furent donc embarqués dans l’aventure, pour faire avaler la fable d’un Ruzibiza maquisard semi-lettré et auteur de récits à succès qui aurait, sous le feu de l’action, rassemblé des notes fourmillant de détails ahurissants sur des massacres perpétrés par l’armée dont il détenait le grade de lieutenant. Finalement pourtant, le concours de la rwandologie n’aura pas suffi. Ruzibiza a rétracté son témoignage, réduisant sa production littéraire à néant, les préfaces et postfaces des rwandologues aussi.
Au tour de Bruguière, Chirac et l’indépendance de la justice française maintenant. Sur ce point, ceux qui ont de la mémoire se souviendront d’un certain article paru dans « Le Monde » du 10 mars 2004, quand le journaliste Stephen Smith avait lancé une bombe médiatique qui réussira à plomber l’atmosphère de la 10ème commémoration du génocide au Rwanda, la faute à une « boîte noire » faussement attribué à l’avion de Habyarimana abattu le 6 avril 1994 au dessus de Kigali. La boîte noire disait alors le chef de la rubrique Afrique du journal « La Monde », était « cachée » à New-York dans les bureaux des Nations-Unies, après y avoir été déposée par on ne sait trop qui, pour on ne sait trop quelle raison. Comme si un enregistreur de paramètres de vol pouvait livrer l’identité des tireurs planqués au sol dans la verdure des bosquets, l’opinion mondiale est restée dans l’attente du diable censé sortir de la boîte noire dont Stephen Smith disait s’être procuré les secrets grâce à des fuites miraculeuses échappées de l’enquête du juge Bruguière. Une enquête dont « le Monde » disait qu’elle était bouclée à cette époque… en 2004 donc.
(Petit détail qui en dit beaucoup: lors de sa publication en novembre 2006, nulle part sur ses 70 pages, l’ordonnance Bruguière ne fera la moindre allusion à une quelconque « boîte noire »!. L’intox du journaliste du « Monde » avait servi pour ce qu’on voulait en faire. C’était tout).
Toujours est-il qu’aussitôt passée la 10ème commémoration du génocide le 17 avril 2004, un autre journaliste du «Monde » relaya Stephen Smith pour faire état de la découverte d’une étrange boîte noire aux messages sans queue ni tête à l’ONU… Une boîte qui n’allait rien donner qui vaille sur l’attentat du 6 avril 1994. En réalité, les fuites prétendument tirées du rapport Bruguière n’avaient pour but qu’une seule chose : détourner dix ans après les faits, le regard de l’opinion mondiale sur l’implication notoire de responsables français dans le soutien résolu au régime qui avait commis le génocide. Une implication qui n’allait pas manquer d’être évoquée à Kigali par la bouche du président Kagame lui-même, incident diplomatique à la clé. Monsieur Muselier, représentant de la France aux cérémonies, devait quitter précipitamment les tribunes officielles du stade à l’évocation du rôle de son pays dans le génocide. Qu’importe? Pour les officines en charge de la guerre médiatique au sein des services secrets en France, l’article du « Monde » était une intox réussie. Elle était pourtant assortie d’un petit « cadeau » involontaire à ceux qui recherchent la vérité…
En effet, perdu dans le corps de l’article de Stephen Smith, le bénéficiaire privilégié des « fuites » du dossier d’instruction du juge Bruguière, une phrase dit ceci: « Si tant à l’Elysée qu’au Quai d’Orsay on affirme que ‘la justice passera’, un conseiller de Jacques Chirac reconnaît sous couvert d’anonymat, qu’une « consigne civique » a été passée au juge Bruguière pour qu’il ne saisît pas le parquet dans le contexte du dixième anniversaire – imminent- du début du génocide au Rwanda ». Consigne civique et indépendance de la justice sont antinomiques, n’est-ce pas ? D’une délicatesse jusque là insoupçonnée de la part des autorités françaises à l’égard des Rwandais, cette consigne passée par le Président Chirac (chef du pouvoir exécutif) à un juge représentant le pouvoir judiciaire, ira pourtant bien au-delà de la 10ème commémoration. Elle tiendra en fait plus de 2 ans et demi après le bouclage annoncé de l’instruction, et c’est sans doute elle qui permettra au juge Bruguière d’attendre le bon moment avant de lancer ses mandats d’arrêt fin novembre 2006. Le bon moment ? Oui, le début des auditions publiques de la Commission rwandaise dites « Mucyo », chargée d’examiner l’implication de la France dans le génocide en octobre 2006. Un timing aujourd’hui confirmé par Wikileaks, dont les fuites récentes montrent des Américains affirmant après la visite et les confidences que venaient de leur livrer le juge Bruguière sur son enquête, que ses mandats étaient destinés à contrer le rapport Mucyo que l’inverse ! La « consigne civique » de l’article de Smith, couplée aux révélations de Wikileaks permettent aujourd’hui de mettre à nu la coordination continue entre l’exécutif français et le juge Bruguière. Vous avez dit « indépendance de la justice » ?

Et l’attentat contre le DC10 d’UTA au-dessus du désert du Ténéré ? Si l’enquête sur cet attentat fut, lui aussi, confiée au juge Bruguière, la différence avec son dossier contre les dirigeants rwandais est de taille : les accusations contre la Libye n’étaient pas bidon. Les Libyens ont fini par admettre qu’ils avaient descendu le DC10 avant d’indemniser les familles des 170 victimes. C’est à ce prix et à ce prix seulement, que la France a décidé de reprendre des relations normales avec la Lybie.
Quant aux accusations de Bruguière contre le leadership actuel du Rwanda à l’évidence, elles sont plus proches du travail des services secrets français dans la fausse mise en cause des «Irlandais de Vincennes » en 1982 qu’autre chose. Des Irlandais accusés d’un attentat meurtrier à Paris par les soins d’une cellule spéciale de la police française ayant été jusqu’à introduire exprès des armes de guerre dans leur appartement comme preuve de leur culpabilité. Pour le cas du Rwanda, même type de manipulations portant la marque des services secrets « dans l’intérêt de la France ». Et même désaveu implicite du gouvernement quand la mayonnaise refuse de prendre. La preuve ? Le gouvernement français croit si peu aux accusations du juge Bruguière qu’il a été demandeur dans la reprise des relations rompues à l’initiative du Rwanda dans la foulée de l’ordonnance Bruguière. Une reprise de relations SANS CONDITION.
Monsieur Rodison, il faut pas mal d’audace pour écrire, contre l’avis de tous les analystes de la presse mondiale, que les révélations de Wikileaks prouveraient l’indépendance du juge Bruguière et non l’inverse. Vous écrivez en outre que Bruguière « avait déjà passablement contrarié le pouvoir français avec son enquête contre la Libye au sujet du DC 10 UTA » ? Que devrait-on déduire de votre observation ? Que votre gouvernement ne donnerait pas cher de la vie de centaines de ses citoyens tués par les sbires de Kadhafi, pourvu que celui-ci continue à vous vendre son pétrole ? Et vous êtes là assis sans refaire le coup de la révolution de 1789 contre un tel gouvernement ?
A propos du Rwanda, la presse française fourmille de commentaires regrettant la déconstruction progressive de l’enquête Bruguière sous la pression de mystérieux arrangements politiques et diplomatiques avec ce pays démuni de matières premières! De l’abandon des poursuites contre Rose Kabuye à la levée récente des mandats contre 7 officiers supérieurs de l’armée rwandaise, des journalistes en France ne cessent de suggérer ou de faire semblants de « craindre » que la réconciliation de leur pays avec le Rwanda ne se fasse au détriment de la justice. En échange de quels trésors offerts par le Rwanda, on se le demande ! Les propagateurs de révélations fracassantes, les bénéficiaires de fuites à répétition, les lanceurs de bombes médiatiques et autres spécialistes de documents incendiaires que « nous avons pu nous procurer », sont les mêmes qui chantent aujourd’hui qu’ « on nous cache tout, on ne nous dit rien » !.. Ils ne proposent même pas que la France, avant de renouer avec le Rwanda, exige d’abord l’indemnisation des épouses de ses 2 pilotes tombés dans l’attentat contre l’avion de Habyarimana. Plaintes dont tout le monde semble avoir oublié qu’elles constituent le prétexte officiel du lancement de « l’Opération Bruguière », destinée à faire inculper le Président Kagame et 9 de ses proches pour avoir prétendument descendu l’avion de son prédécesseur à la tête de l’Etat rwandais.

Pour tout vous dire monsieur Rodin, radio RTLM nous avait tout raconté le 3 avril 1994 dans l’après-midi, 3 jours avant l’attentat qui allait donner le signal d’un génocide longtemps préparé à l’avance: « Que le FPR sache, avait hurlé le speaker Hitimana d’un ton très solennel et en français, qu’un beau jour… devant l’Histoire et l’humanité entière, il devra s’expliquer sur cette « petite chose » qu’il va faire le 6 avril. Une « petite chose » qui va précipiter tous les Tutsi dans la mort ». Le génocide était lui aussi « prophétisé » dans cette émission, de même que l’attentat et ses auteurs désignés: les gens du FPR, finalement poursuivis par le juge Bruguière comme pour suivre les instructions de Radio RTLM douze ans après. Quand on pense qu’outre le très peu crédible Ruzibiza, l’autre témoin essentiel sur lequel reposent les mandats d’arrêt Bruguière est le Colonel Bagosora, l’architecte du génocide lui-même aujourd’hui condamné à la détention perpétuelle pour génocide, on se dit que la justice française ne s’est pas trop fatiguée pour tenter de faire admettre devant l’humanité entière, à la suite de Radio RTLM le 3 avril 1994, que le FPR doit être considéré comme le responsable du génocide devant l’Histoire.
Seul un grain de sable a pu déjouer la machinerie du crime parfait de génocide, préparé avec tout ce qu’il faut pour faire endosser sa responsabilité à ses victimes. Un grain de sable mais un gros. Celui de la faillite de tous les pièges tendus au FPR dans la foulée de sa victoire contre les génocidaires, appuyés à fond par les officines barbouzardes de France, incapables d’entrevoir une lecture correcte des événements dans le brouillard de leurs obsessions anti-anglo-saxonnes d’un autre âge. Au moment où la Chine et l’Inde embrayaient pour un spectaculaire dépassement de l’Occident par la gauche figurez-vous! Bilan de ce minable gâchis: un million de vies rwandaises.

Ecrit par : f kabano |

Posté par rwandaises.com