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Entretien avec Alain Délétroz, vice-président d’International Crisis Group (ICG). Pour le think tank américain, dont le siège se trouve à Bruxelles, l’Afrique est une priorité, plus que jamais, tant les crises qui couvent pourraient être nombreuses, lors des élections prévues cette année. Alors que la crise ivoirienne est loin d’être réglée, la révolution égyptienne met en alerte les régimes les moins démocratiques, au sud du Sahara.
Comment analysez-vous la situation en Côte d’Ivoire ?
Alain Délétroz : L’un des deux candidats à la présidentielle a gagné, l’autre est un perdant qui triche. Ces élections étaient censées ramener la paix. Si le perdant avait été Alassane Ouattara, il aurait accepté le verdict. En revanche, ce n’était pas très clair avec Laurent Gbagbo, même avant le scrutin. On voit le résultat. Cela étant, Laurent Gbagbo dispose d’une vraie base électorale. Il a recueilli 45 % des voix, presque exclusivement au sud du pays, lors d’un processus électoral qui a été l’un des plus clairs de ces dernières années en Afrique. Il a déjà gagné la guerre des mots, grâce à son emprise sur les médias d’Etat.
La stratégie d’asphyxie économique lancée contre Laurent Gbagbo peut-elle réussir ? A-t-elle jamais fonctionné ailleurs ?
Elle peut donner des résultats. Il faut cependant rappeler qu’en Afrique du Sud, après la fin de l’apartheid, des responsables politiques de l’ancien régime raciste ont admis que les sanctions économiques, pourtant lourdes, n’avaient pas été déterminantes…
Croyez-vous à une intervention militaire du Nigéria en Côte d’Ivoire?
Des frappes ciblées venant du Nigéria restent possibles. Les soldats nigérians n’hésitent pas à se servir de leurs armes et ils sont redoutés par leurs voisins. Le problème, au Nigéria, c’est que le secteur pétrolier a sa propre diplomatie. Or, la Côte d’Ivoire abrite une raffinerie de pétrole d’importance stratégique pour le Nigéria.
Y aura-t-il un effet d’entraînement de la revolution égyptienne au sud du Sahara ?
Les élections qui vont avoir lieu dans l’année vont être observées de manière plus étroite, et certains pays, comme le Cameroun et la République démocratique du Congo (RDC), dont on ne parle pas beaucoup, ne vont peut-être pas rester sous les radars. En RDC, Joseph Kabila a procédé à des changements constitutionnels importants, problématiques parce qu’opérés à quelques mois du scrutin. Il a supprimé le second tour de la présidentielle. Le président sera élu au premier tour seulement. C’est prendre de gros risques. En Amérique latine, cette formule est courante, avec des présidents d’Argentine ou de Colombie qui ne représentent que 30 % de l’électorat. Elle fonctionne pour des pays où existe une harmonie linguistique et culturelle. Dans un pays aussi divers que la RDC, cela va poser de sérieuses questions.
Que préconisez-vous ?
Il faut que les bailleurs de fonds mettent des conditions très claires au financement de ces élections, notamment sur l’enregistrement des électeurs, la formation des responsables de la commission électorale et l’adoption de codes de bonne conduite, à l’avance, par les partis politiques.
Quelles sont les chances de Joseph Kabila ?
C’est difficile à dire dans un pays où les allégeances politiques et militaires sont diffuses et fluctuantes. Joseph Kabila a décu ses électeurs de 2006, dans le Kivu et tout l’est du Congo, où les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR, milices et anciens soldats hutus du Rwanda, ndlr) continuent d’agir librement. Face à lui, il y a un opposant de poids, Vital Kamerhe, ancien président de l’Assemblée nationale. Joseph Kabila va sans doute gagner les élections, tout en sachant qu’il pourrait les perdre, ce qui le met sur la défensive.
Recueilli à Paris par Sabine Cessou
© Reuters/ Joseph Kabila à Montreux, en Suisse, en octobre 2010.
Posté par rwandanews