Ils avaient prévenu : « ces gens là, Monsieur, ne s’intéressent qu’aux affaires. Ils arrivent avec leurs attachés case, discutent pour la forme, puis signent les contrats, vite fait bien fait. Ils promettent des aides, mais surtout, ils casent leurs sociétés. De grandes sociétés, qui emportent les contrats, sans appels d’offre, et imposent pratiquement leurs conditions… »

Ils avaient mis en garde : « ces gens là sont indifférents aux droits de l’homme, à la gouvernance. C’est avec les pouvoirs en place qu’ils discutent, ils se fichent de la société civile. Souriants et détendus, ils posent volontiers pour la photo de famille. Ils proposent des cadeaux, mais ils en acceptent aussi, c’est l’usage qui le veut. Jamais ils ne posent de questions, qu’il s’agisse d’élections truquées, d’opposants détenus, de fonds détournés, cela n’est pas leur affaire…Il est vrai qu’ils construisent des routes, rebâtissent des infrastructures, mais à quel prix… Méfiez vous, avec ces gens là, vous n’aurez jamais rien pour rien… »

Qui étaient donc les cibles de ces multiples avertissements, formulés tant  par des commissaires européens, des ministres en exercice, des fonctionnaires du Fonds monétaire international et autres dignes représentants d’une certaine « communauté internationale » ?

A l’heure de la révolte arabe, où tant de turpitudes et de complicités sont démasquées, au point de faire frémir la diplomatie française, les exportateurs d’armes wallons et quelques autres, on pourrait croire que ces discours débordant de bonnes intentions étaient prémonitoires…

Détrompez vous : la bouche en cœur, c’est aux pays d’Afrique noire que s’adressaient ces amis bien intentionnés, des Cassandre qui s’employaient à mettre en garde les Angolais (qui ne prenaient même pas la peine d’écouter) les Ivoiriens (qui furent gratifiés d’une rébellion), les Zimbabwéens (toujours sous embargo) et surtout les dirigeants de la République démocratique du Congo. Il s’agissait de les protéger, fût ce malgré eux, contre de nouveaux et dangereux partenaires : les Chinois !

Depuis dix ans, ces anciennes colonies, lassées d’attendre des aides trop chiches, assorties de trop de cordons et de leçons, désespérant d’investissements qui tardaient à venir, n’avaient elles pas eu l’audace de se tourner vers de nouveaux interlocuteurs venus d’Asie ?

Ah ça mais c’est bien sûr, comment n’y avoir pas songé plus tôt ? Les conseils de ces amis qui ne veulent que du bien, les avertissements délivrés par ces « bons connaisseurs de l’Afrique » qui voyagent si souvent sur l’Equateur quand il fait chaud chez eux et froid chez nous, visaient, avec une précision cruelle et des sanctions à la clé, les nouveaux partenaires des Africains, ces Chinois décrits comme sans scrupules et sans ingérence.

Aujourd’hui que sont dévoilées les compromissions de l’Europe avec la Tunisie de Ben Ali, l’Egypte de Moubarak et la Libye de Kaddhafi, -la liste ne fera que s’allonger- on ne peut que rire, amèrement, de ces mises en garde adressées aux pays d’Afrique noire  afin de tenter de contenir la concurrence asiatique. Si les Chinois ont apporté la paille, la poutre, elle, assomme l’Europe.

23 février 2011

 

Lesoir.be: le carnet de Colette Braeckman

Posté par rwandaises.com