commentaire de Laurent Rukwavu
le 10 avril 2011
Dans une interview au journal «Izuba Rirashe» de Kigali, Monsieur Kouchner, précédemment Ministre des Affaires étrangères du gouvernement Sarkozy, nous a resservi le paradoxe de la «faute politique» de la France et de l’innocence de l’Armée Française. L’armée française, di-il, n’a aucune responsabilité.
Monsieur Kouchner est un homme de gauche, profondément humaniste et, sans conteste, un anticolonialiste sincère. Il a vu le génocide rwandais 1994 de près. Il a été blessé en direct. Il a été l’ami de Mitterrand. Il sait beaucoup de choses.
Mais voilà, il est devenu un bête politique. Il doit protéger ses arrières, ses intérêts et ceux de sa famille.
A moins de se suicider politiquement et financièrement, aucun homme politique français ne peut dire du mal de l’armée française. Cette armée, que les journalistes appellent la «Grande Muette», n’existe pas. Sauf dans les colonies ou dans le budget du contribuable de Françafrique.
Sous Habyarimana, François Mitterrand considérait le Rwanda comme un autre Gabon ou un Congo-Brazza. Personne ne voudra que Kouchner dévoile les arsenaux et les projets de l’armée de son pays! Projets qui se résument principalement à maîtriser, en Afrique Noire, les politiciens « sûrs », pour le compte d’ industriels français. Cette Afrique dont Laurent Fabius disait, en toute honnêteté: « Quand nous investissons 1 franc en Afrique, nous en gagnons 3,70 francs ».
Monsieur Kouchner, logique dans son discours politique, mais moins ferme quant à ses principes, a répondu à la question du rôle de l’armée française au Rwanda de 1990- 1994, au journal rwandais «Izuba Rirashe»: «Sinshobora kurega ingabo z’igihugu cyanjye». Traduction littérale: «Je ne peux rien reprocher à l’armée de mon pays». Monsieur Kouchner, si prompt à prôner l’ingérence humanitaire, mais si absent à voir la responsabilité de son pays dans un gigantesque génocide, n’en reste pas moins un homme politique.
C’est à nous, pauvres Rwandais, de nous montrer humains et de comprendre le pauvre Kouchner tiraillé entre le médecin humanitaire et le patriote.
Sans l’Armée Française, il y aurait eu l’application politique des Accords de Arusha ou la victoire militaire du FPR (Front Patriotique Rwandais). Dans les deux cas, le génocide préparé par le gouvernement rwandais aurait échoué.
Sans la volonté de François Mitterrand et des chefs de son armée, et à l’insu de l’opinion publique française et de ses représentants, il n’y aurait jamais eu de génocide au Rwanda. Peut-être quelques morts, mais pas un million.
Cest l’entêtement d’un juge aux méthodes non orthodoxes et si peu juridiques qui avait obligé le Rwanda à renvoyer l’Ambassadeur de France et de fermer son ambassade de Kigali.
Le voyage de Sarkozy à Kigali
Au bout de trois ans de brouilles, Monsieur Sarkozy a fini par comprendre l’intêrét supérieur de son pays. Sans Kigali, pas de diplomatie efficace en Afrique Centrale, ni en Afrique de l’Est, un territoire énorme et compliqué. Ainsi il a envoyé à Kigali le Secrétaire Général de son Palais, à deux reprises. Et aussi Kouchner, son Ministre de la diplomatie, par deux fois également.
Le président français a fini par être obligé d’ accomplir le voyage le plus désagréable de sa médiatique présidence. Lui qui se comparait journellement à Obama, le voilà contraint de se plier au protocole d’un petit pays africain. Il aurait aimé se rendre à Kigali, de nuit et sans caméras, mais la diplomatie l’a obligé à se reccueillir devant le Mémorial des Victimes du Génocide, en plein jour.
Les érudits ont appelé ce périple le «Voyage de Canossa». Trois heures chrono. Comme au Japon, il y a dix jours. (Le Rwanda et le Japon, 3 heures chacun. Comme quoi Sarko connaît les échelles.)
Au Rwanda, il n’a pas demandé formellement des excuses, il a juste demandé et obtenu d’être accueilli par le «moins haut» des personnalités susceptibles d’être pris en photo avec lui. Le plus petit avait vingt centimètres de plus que lui. Le protocole rwandais n’a pas pu «faire mieux». Les excuses, c’est pour plus tard.
Les commentateurs avisés y ont vu un voyage pour s’excuser. Horreur! la France ne s’excuse jamais. Pas comme un vulgaire Bill Clinton, Tony Blair ou le gouvernement belge au complet, les uns et les autres s’étant déplacé à Kigali pour offrir leurs excuses profondément sincères d’être restés inactifs pendant le génocide.
Revenons à Kouchner. Pourquoi voulez-vous qu’un homme de la carrure de Kouchner demande pardon et contredise ce que les Espagnols appellent l’«arrogance des Français»?
Sa visite à la 17ème commémoration du génocide est une marque de vraie amitié pour notre pays. Il pourrait même être un redoutable avocat, pour le camp du Rwanda et de l’Afrique, contre les énarques comme Guéant ou Juppé qui ne lui ont pas pardonné l’emploi édulcoré du mot « faute » et qui méprisent, comme leur « Patron », l’homme africain qui, selon Sarkozy, « n’est pas encore entré dans l’Histoire ». Discours de Dakar.
Bernard Kouchner est médecin. Il sait ce que c’est un lit de malade. Il sait la souffrance.
C’est un ami de l’Afrique. J’espère sincèrement qu’il ne sait pas ce que l’armée française faisait au Rwanda dans ces années-là. Des gens sont morts parce que l’armée française avait contrôlé leurs papiers. Des gens sont morts parce que l’armée de Turquoise a prolongé le génocide dans le territoire qu’elle contrôlait. Nous avons les témognages des rescapés de la zone « Turquoise » et les vidéos de l’INA.
Nous remerçions sincèrement M. le ministre pour sa visite et à cette date du 7 avril.
Laurent Rukwavu
rukwavu1548@hotmail.fr
www.rwandanews.be