Décriée depuis ses échecs en ex-Yougoslavie et au Rwanda, attaquée par les néo-cons américains, les Nations unies connaissent un léger retour en grâce avec les résolutions libyennes et ivoiriennes.
Daniel Vernet Daniel Vernet, journaliste, ancien directeur de la rédaction du Monde et spécialiste des relations internationales. Il a écrit de nombreux livres dont récemment Petite histoire de la chute du communisme.
L’Otan en mission de façade Laurent Gbagbo a été arrêté par les soldats ivoiriens fidèles au président élu Alassane Ouattara mais ces derniers n’auraient pas réussi sans l’appui décisif des éléments de la force Licorne, agissant au nom des Nations unies. Alors que dans le même temps une coalition d’Etats intervient en Libye pour «protéger les populations civiles» en vertu de la résolution 1973 du Conseil de sécurité, une nouvelle ère semble s’ouvrir pour les Nations unies.
Créées en 1945 à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, elles ont été souvent décriées pour leur inaction. Le «machin», disait le général De Gaulle pour désigner la bureaucratie onusienne. Un demi-siècle plus tard, les néoconservateurs américains regardaient avec mépris cette organisation multilatérale. Ils lui déniaient toute légitimité et voyaient en elle un obstacle à leurs ambitions démocratico-messianiques. A la question «comment réformer l’ONU?», John Bolton, représentant de George W. Bush, répondait simplement: «Le secrétariat des Nations Unies à new York compte 38 étages; si on en supprime 10, on ne remarquerait pas la différence».
Longtemps l’action de l’ONU a été paralysée par la guerre froide. L’Union soviétique – les Etats-Unis – étaient les champions du veto. Il avait fallu le boycottage soviétique du Conseil de sécurité, à cause de la présence de la Chine nationaliste, pour que les Américains interviennent en 1950 dans la guerre de Corée au nom des Nations unies. Le regain d’activité dans les années 1960, en Afrique notamment, s’était souvent soldé par des fiascos. Il a fallu attendre l’arrivée au pouvoir à Moscou de Mikhaïl Gorbatchev pour que l’organisation internationale retrouve une capacité d’action, grâce à l’attitude plus coopérative de l’Urss.
Les années 1990 ont été marquées par de nombreuses opérations de maintien de la paix, de la Yougoslavie à Timor. La réputation de l’ONU a été ternie par des échecs, comme au Rwanda, et par une relative paralysie, comme en Bosnie où la plus grande tragédie a été le massacre de Srebrenica sous les yeux des casques bleus néerlandais impuissants. La responsabilité n’en revenait pas seulement à l’ONU, à ses dirigeants, à des structures de décision et d’intervention inadaptées à des opérations de soi-disant maintien de la paix là où il y avait la guerre.
Les Etats membres de l’ONU et en particulier les principaux d’entre eux – les membres permanents dits P5 (Chine, Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Russie) – qui disposent d’un droit de veto au Conseil de sécurité, ont souvent posé des limites à l’action des forces onusiennes, les transformant en spectatrices de la violence voire en otages.
En 2000, le secrétaire général d’alors Kofi Annan, a demandé à un ancien diplomate algérien, Lakhdar Brahimi, un rapport sur le maintien de la paix [PDF]. Il recommandait un renforcement du partenariat entre les Etats-membres et l’ONU, un élargissement des capacités d’intervention mais mettait aussi en garde contre la dispersion des moyens. L’ONU ne peut pas aller partout. Plutôt que de se contenter de demi-mesures, mieux vaut aller là où l’organisation internationale peut effectivement remplir sa mission de protection des populations civiles. Ce «droit de protéger» sera inscrit dans la Charte des Nations unies en 2005. Actuellement, l’ONU participe à 17 opérations à travers le monde avec 120.000 personnes, militaires, policiers et civils.
En Côte d’Ivoire, l’Onuci compte près de 10.000 hommes, chargés de faire appliquer les accords entre les factions qui se sont fait la guerre depuis le milieu des années 2000 et de protéger les populations civiles. En 2010, elle a surveillé le déroulement de l’élection présidentielle qui a opposé Alassane Ouattara à Laurent Gbagbo. Ensuite, elle a assisté à la montée des affrontements entre les deux camps et s’est montrée incapable d’empêcher que la violence ne gagne Abidjan.
Théoriquement bras armé de la communauté internationale, elle a attendu, à l’instar de cette dernière, que les sanctions économiques finissent par asphyxier Gbagbo et ses partisans. Quatre mois n’y ont pas suffi. Troupe composite formée de contingents venant de plusieurs pays, essentiellement africains, l’Onuci avait besoin du renfort des soldats français de l’opération Licorne pour passer à l’action. Elle l’a obtenu, bien que Nicolas Sarkozy ait déclaré, naguère, que plus un soldat français ne tirerait sur des Africains.
Pour justifier cette dérogation, il fallait une décision des Nations unies (la résolution 1975) et une demande explicité de son secrétaire général (une lettre requérant l’aide de la France).
L’opération en Côte d’Ivoire a, du point de vue de l’action internationale, plusieurs points communs avec l’intervention en Libye: une résolution de l’ONU, un soutien des organisations régionales – Communauté de l’Afrique de l’Ouest et Union africaine, dans le premier cas, Union africaine et Ligue arabe dans le second—, l’action d’un Etat, d’une coalition d’Etats ou d’une alliance (l’Otan, en l’occurrence) disposant de moyens militaires largement supérieurs à l’armement léger des Casques bleus.
Un porte-parole du département onusien pour les opérations de maintien de la paix a déclaré que l’intervention en Côte d’Ivoire était «inhabituelle mais pas sans précédent». Peut-être. Il n’en reste pas moins qu’avec les bombardements des forces de Kadhafi en Libye, elle représente un changement dans l’attitude traditionnelle de l’ONU, le recours à des actions plus musclées pour appliquer une conception élargie de la responsabilité de protéger les populations civiles.
Elle marque une évolution de pays comme la Russie et la Chine qui se sont toujours montrés très sourcilleux quand la souveraineté des Etats était en jeu. En s’abstenant sur la résolution 1973, ils n’ont pas bloqué l’intervention en Libye, tandis qu’ils approuvaient la résolution 1975 sur la Côte d’Ivoire. Ces deux gestes ne signifient pas que Moscou et Pékin aient abandonné leur conception de la souveraineté nationale, surtout si la leur était en cause. Mais ils permettent de penser qu’à l’avenir, la «communauté internationale» représentée par l’ONU sera en mesure d’intervenir sans attendre que des crimes de guerre ou un nettoyage ethnique ait eu lieu. Y compris à l’intérieur d’Etats souverains.
Daniel Vernet
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