Dix-sept ans plus tard, la justice française avance enfin sur les dossiers des présumés génocidaires rwandais, à la faveur d’un réchauffement des relations diplomatiques entre les deux pays.
«La France est engagée dans le devoir de justice, de mémoire et de vérité, qui doivent aller de pair. Nous serons au côté du Rwanda dans le futur, la France veut être un partenaire du Rwanda», a déclaré ce jeudi 7 avril François Zimeray, ambassadeur français pour les droits de l’Homme dépêché au Rwanda pour les cérémonies de commémoration du génocide de 1994.
Par ce message, la diplomatie française fait écho à l’engagement pris le 25 février 2010 par le président Nicolas Sarkozy à Kigali, pour qu’en France aussi «les responsables du génocide soient retrouvés et punis». Il s’agissait de la première visite d’un président français depuis 1994. Se refusant à présenter des excuses, reconnaissant «des erreurs politiques», constatant surtout la perte d’influence de la France dans la région des Grands Lacs, Nicolas Sarkozy faisait ainsi reposer sur les épaules des juges la tâche de «tourner la page» après trois ans de rupture diplomatique.
Diplomatie judiciaire
Dix-sept ans après le génocide, aucun procès de «présumés génocidaire» n’a encore eu lieu en France, à l’inverse de la Belgique, le Canada ou encore les Pays-Bas. Douze ans après son ouverture, l’enquête sur l’attentat du 6 avril 1994, qui a causé la mort de l’ancien président Juvénal Habyarimana et allumé le feu du génocide, n’a pas non plus abouti. Cependant, l’opération de diplomatie judiciaire enclenchée il y a un an a fait opérer à ces dossiers une mini-révolution.
«Disons que d’un encéphalogramme resté plat pendant des années, ces dossiers commencent à s’agiter», commente Simon Foreman, avocat du Comité des parties civiles pour le Rwanda.
La France, accusée de s’être rendue complice du génocide par l’ex-mouvement rebelle FPR, aujourd’hui au pouvoir à Kigali, était allée à la rupture en 2006 en émettant neuf mandats d’arrêt contre des proches du président Paul Kagame dans le dossier de l’attentat. Le juge antiterroriste Jean-Louis Bruguière avait alors obtenu le feu vert de l’Elysée, ont confirmé depuis des mémos américains révélés par WikiLeaks. C’est pourtant au cœur de cette pomme de discorde que le premier pas vers le réchauffement des relations a été franchi. Avec l’arrestation fin 2008 d’un des neuf suspects de Bruguière, la chef du protocole du président Kagame, Rose Kabuye, relâchée après quelques jours, Kigali a pu avoir accès au dossier d’instruction. Cette opération a fait d’une enquête menée essentiellement à charge une procédure contradictoire, «normalisée».
Juges en première ligne
Une année s’écoule avant la visite au Rwanda de Claude Guéant, secrétaire général de l’Elysée, qui annonce en novembre 2009 la reprise des relations diplomatiques. Paul Kagame n’a pas fait mystère qu’il verrait d’un bon œil que Paris, en plus de faire machine arrière sur l’attentat, fasse aboutir les poursuites lancées contre les «génocidaires» résidant en France. Deux juges d’instruction en charge de ces dossiers, Fabienne Pous et Michèle Ganascia, ont d’ailleurs précédé de quelques jours Claude Guéant. La justice en tête de pont, les Français donnent des gages et les Rwandais les accueillent —pour la première fois depuis 1994.
Fin 2009, décision est prise à la direction de la gendarmerie de Paris de créer un groupe d’enquête «crimes contre l’humanité, génocides et crimes de guerre». Ses deux premiers enquêteurs se rendent au Rwanda en janvier 2010, avec deux autres juges d’instruction. À raison d’une visite tous les deux mois, les magistrats commencent à compléter en 2010 des dossiers restés longtemps inertes, faute de volonté politique des deux côtés.
«C’est un des volets qui a le plus avancé entre la France et le Rwanda au cours de la dernière année. Même si les moyens ne sont pas encore à la hauteur, l’investissement est réel et suivi.», constate le professeur André Guichaoua, auteur d’un ouvrage de référence, De la guerre au génocide.
Expertise balistique très attendue
Un an après, les commissions rogatoires se sont encore accélérées, au rythme d’une tous les mois. «Ce qui est sûr, c’est que la France veut un procès rapide», indique une source proche de l’enquête.
«Mais nos moyens restent encore très limités, souligne l’un des quatre juges d’instruction en charge des dossiers rwandais. En plus des 18 Rwandais, nous nous partageons un total de 414 instructions et 91 détenus.»
Les juges espèrent qu’avec la création annoncée d’un pôle spécialisé sur le mode de l’actuel pôle antiterroriste, ils vont enfin pouvoir s’y consacrer à plein temps, avec des moyens dignes de ce nom. Le 14 avril prochain, ce nouveau pôle spécialisé dans les crimes de génocide et contre l’humanité sera proposé au Sénat, des années après la Belgique, les Pays-Bas, le Danemark, l’Allemagne, la Suède ou la Norvège.
«Les juges français profitent de cette première opportunité d’aller au Rwanda depuis 1994. Mais ils n’oublient pas, confie le professeur Guichaoua, que tout reste suspendu au résultat de l’enquête de Trévidic et Poux», les successeurs du juge Bruguière dans le dossier de l’attentat.
«S’ils parviennent aux mêmes résultats accablants pour le pouvoir actuel à Kigali, on entrera dans une nouvelle ère de glaciation», poursuit l’expert.
Annoncée pour mars, la sortie d’une expertise balistique demandée par les juges antiterroristes pourrait en effet faire l’effet d’une bombe. Mais l’étude, pratiquée en septembre 2010 à Kigali sur le site du crash de l’avion présidentiel, nécessite un complément d’expertise acoustique. Cela reporte d’autant l’échéance.
Franck Petit
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Posté par rwandaises.com