Faustin Kagamé est consultant en communication à la présidence de la République du Rwanda.
L’an dernier, à l’approche de l’élection présidentielle rwandaise, un tir groupé d’accusations a plu tel un orage sur le président sortant. Grenades lancées sur la foule dans les gares routières, assassinat manqué contre un général en fuite, meurtre d’un journaliste et d’un membre d’un nouveau parti, interdiction de six mois pour deux journaux privés, arrestation d’une candidate à la présidence soupçonnée d’appartenance à une organisation terroriste… Le pouvoir du président Kagamé, pourtant crédité d’un bilan propre à lui assurer la victoire dans un fauteuil, semblait saisi d’une frénésie répressive au pire moment. Celui où, à la faveur de l’élection présidentielle, l’attention du monde entier se focalisait sur lui. Qu’en est-il aujourd’hui, la passion électorale passée ?
Constatons d’abord que, sitôt le scrutin terminé, la liste des accusations relatives au climat d’insécurité que le gouvernement rwandais se serait lui-même infligé a été close, aucune nouvelle accusation n’étant venue grossir cette sorte de « kit électoral » du soupçon.
Vingt-sept des lanceurs de grenades ont été arrêtés. Leur comparution a permis de faire avancer l’information sur les réseaux en cause et de réduire la fréquence de ces actes de terrorisme aveugle attribués sans souci de vraisemblance aux services secrets du gouvernement.
Ancien ténor de l’armée affecté à l’ambassade de New Delhi depuis sept ans, le général Kayumba fut interrogé à son retour à Kigali sur ses liens avec les lanceurs de grenades, avant de quitter nuitamment le Rwanda pour l’Afrique du Sud. Alors qu’il rentrait de courses à Johannesburg avec son épouse, il fut blessé par un tireur, qui prit la fuite après que son arme se fut enrayée. Un peu partout, le crime raté fut, lui aussi, attribué aux services spéciaux rwandais. La présomption d’innocence ne jouant jamais en faveur du Rwanda dans ces affaires, peu de gens se sont interrogés sur l’empressement suspect des « barbouzes » rwandais à éliminer le général sans même attendre la fin d’une période aussi sensible que celle des élections, ni sur leur maladresse insigne. Tout bon enquêteur n’aurait pourtant pas manqué d’examiner d’autres pistes, dont celles de l’une ou l’autre faction d’une opposition rwandaise notoirement dispersée et antagoniste, encouragée de voir que le pouvoir était invariablement accusé.
Les assassins du journaliste Léonard Rugambage ont été arrêtés, jugés et condamnés à la prison à vie. Ceux d’André Rwisereka, du minuscule Green Party, sont encore recherchés. Mais, là aussi, le meurtre d’un opposant quasi inconnu n’aurait pas valu au gouvernement de mise en cause automatique sans le contexte électoral et ses accusations opportunément convergentes.
Condamnées pour avoir notamment publié, comme à leur habitude, des histoires de coucheries entre personnalités, les revues en langue rwandaise Umuseso et Umuvugizi ont été suspendues pendant six mois, avant d’être à nouveau autorisées. Entre-temps, leurs rédacteurs avaient trouvé un asile confortable à l’étranger, grâce à la sollicitude de ceux qui les prennent pour des héros. Une lubie tragique pour qui sait lire le kinyarwanda.
Quant à Mme Victoire Ingabire, arrivée des Pays-Bas quelques mois auparavant avec un discours aussi « habilement » imprégné de sectarisme ethnique que celui des populistes européens se voudrait « innocemment » raciste, c’est dans un rapport d’experts de l’ONU de novembre 2009 que ses accointances avec la milice des Forces démocratiques de libération du Rwanda, sévissant en RD Congo, ont été établies. Avant, donc, qu’elles ne lui valent un procès au Rwanda. Si l’on ajoute que Mme Ingabire s’est présentée à la présidentielle avec un adjoint condamné pour génocide, en cavale depuis des années et qui s’est excusé publiquement pour ses crimes avant d’exécuter sa peine, on se dit que les milieux occidentaux qui trouvent légitime sa candidature à la présidence du Rwanda sont bien tolérants à l’égard de ce qu’ils interdiraient chez eux. À savoir, une candidate au langage équivoque sur le génocide, dont le plus proche entourage comprend des personnes condamnées pour des faits gravissimes*. Est-ce bien raisonnable ?
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* Même si Mme Ingabire, absente du Rwanda pendant le génocide, ne saurait être tenue pour responsable dans celui-ci, la condamnation à perpétuité de sa mère pour y avoir participé ne saurait être occultée.