Après trois ans de rupture diplomatique, les deux pays ont renoué fin 2009. L’ambassadeur de France à Kigali déplore cependant le manque d’investissement humain et financier de Paris.

Jeune Afrique : Comment avez-vous été accueilli à votre arrivée, début 2010? 

Laurent Contini : Nous avons reçu un accueil comme j’en ai rarement vu. Dans la rue, comme lorsque nous sommes allés évaluer les dégâts au Centre d’échanges vculturels franco-rwandais, les gens étaient manifestement très contents de nous voir.

Je connais bien ce pays, et je ne m’attendais pas à une réaction aussi positive. D’autant que c’était pareil du côté des autorités. À l’époque de la visite de Nicolas Sarkozy [en février 2010, NDLR], je n’avais que deux collaborateurs pour tout organiser. Heureusement, les Rwandais m’ont aidé d’une façon remarquable : discrète et efficace. De même, les autorités ont facilité le retour de Radio France Internationale (RFI) sur les ondes. C’est une radio très écoutée : les francophones restent plus nombreux que les anglophones.

JA : Dans les administrations, ce n’est pas toujours l’impression que l’on a…

LC : Effectivement, parce qu’il y a eu un mot d’ordre de passer à l’anglais. Les fonctionnaires sont encore inhibés sur ce sujet. Il faudrait que les autorités disent plus clairement qu’on peut aussi bien utiliser le français.

JA : Le passage à l’anglais dans l’enseignement public a été décidé il y a maintenant trois ans. où en est-on ?

LC : Le passage au forceps à l’anglais sacrifie une génération d’étudiants et de professeurs. Mais le bilinguisme coûte cher, et les autorités ont des priorités.

Si la France proposait une aide de quelques dizaines de millions d’euros pour l’enseignement, nous sauverions le français. Aujourd’hui, il est en danger et, si on ne fait rien, il deviendra une langue étrangère dans les années à venir. À Paris, certains semblent penser que les Rwandais ne veulent plus du français. Mais c’est faux.

JA : Pourquoi est-ce important pour Kigali?

LC : La richesse linguistique est un atout pour le Rwanda dans son ambition de devenir un hub régional se concentrant sur le secteur des services. Or c’est la bonne stratégie : le pays a peu de ressources naturelles, l’agriculture est quasiment au maximum de ses capacités et l’industrie peut difficilement être réussissent. Et, pour l’instant, nous ne les y aidons pas.

JA : En avez-vous les moyens ?

LC : Non, les moyens de l’ambassade de France au Rwanda sont loin de ceux dont elle aurait besoin. En 2006, il y avait cinquante personnes à temps plein ici Aujourd’hui, nous ne sommes qu’une quinzaine alors que nos attributions n’ont pas changé. L’aide publique au développement est de moins de 2 millions d’euros par an, dont 1,2 million qui correspond au désendettement du Rwanda vis-à-vis de la France. Nous comptons parmi les lanternes rouges des donateurs, derrière l’Italie, l’Espagne ou le Luxembourg.

JA : Et sur le plan économique, la France est-elle de retour?

LC : Non, c’est encore trop tôt. En France, le Rwanda garde une image déplorable héritée du génocide et de la caricature que l’on y fait du régime. Dans le domaine des affaires, les liens sont rompus : il n’y a plus que cinq entreprises françaises ici. Pourtant, il y a des opportunités.

JA : Une visite de patrons français était pourtant prévue dans la région au début de l’année…

LC : Justement, elle a été reportée à une date inconnue faute d’entreprises intéressées : seules quatre s’étaient manifestées, alors que le voyage devait inclure aussi le Kenya et l’Ouganda. Il y a là une véritable méconnaissance : l’Afrique de l’Est est en train de décoller. Il faudrait nous inscrire dans cette dynamique.

JA : La visite de Paul Kagamé à Paris pourrait-elle changer la donne?

LC : Il doit rencontrer le Medef [principale organisation patronale française]. C’est l’une de ses demandes : il ne veut pas seulement le rétablissement des liens diplomatiques, mais aussi le retour des investisseurs.

JA : Ces derniers ne craignent-ils pas que les relations diplomatiques soient encore trop fragiles?

LC : Bien sûr, la propagande antirwandaise est telle qu’elle a sans doute des effets. Mais la diplomatie et les affaires sont déconnectées. Et puis la rupture des relations diplomatiques était une bombe atomique. Je ne pense pas que cela puisse se reproduire, même s’il peut encore y avoir des tensions. 

JA : La nomination au ministère des Affaires étrangères d’Alain Juppé, qui était déjà à ce poste pendant le génocide de 1994, les a-t-elle ravivées ?

LC : Du point de vue des Rwandais, ce n’était pas une bonne nouvelle. Ils ont pu penser que les lobbies anti rwandais étaient encore puissants à Paris. Mais ils connaissent la politique française et savent que ce choix n’était pas dirigé contre eux.

JA : Qu’avez-vous pensé des déclarations de Juppé, disant qu’il n’avait pas l’intention de serrer la main de Paul Kagamé?

LC : Il est le ministre. Il prend ses responsabilités. Je n’ai pas à commenter.

JA : Vous donnez l’impression d’être assez indépendant de lui…

LC : Non. La mission que le président de la République m’avait confiée à mon arrivée était la normalisation des relations avec le Rwanda. Si je reçois un contrordre, j’aviserai. Pour l’instant, ce n’est pas le cas.

http://novafrica-developments.net/2011/09/06/special-rwanda-jeune-afrique-n%C2%B02643-du-04092011/

Posté par rwandaises.com