2011 par Odile Tobner
Robert Bourgi révèle que des présidents d’États africains ont remis des mallettes de billets à des hommes politiques français. Dans le flot de commentaires suscités par ces révélations, revient comme une antienne le qualificatif de « secret de Polichinelle » : mais voyons tout le monde le sait ! Qui est exactement ce « tout le monde » ?

Certainement pas le peuple français, qui en est encore à attendre que son quotidien « de référence » ou son journal télévisé lui fasse partager ce « secret ». Reconnaissant par ces mots que ce secret n’en était pas un pour eux, les journalistes et autres experts médiatiques, avouent qu’ils sont les polichinelles en question, marionnettes dont la mission véritable est de maintenir les secrets du pouvoir à l’abri des yeux de l’opinion.

On me rétorquera que savoir ne suffit pas, qu’il faut des preuves pour formuler de pareilles assertions, et que d’ailleurs les politiques nommément désignés par Bourgi ont annoncé qu’ils porteraient plainte contre lui pour diffamation. Bien sûr ! Mais n’est-ce pas précisément le rôle d’un journaliste digne de ce nom, quand il a connaissance de pareils bruits, que d’enquêter, d’interroger le pouvoir, de traquer la vérité ? C’est ce que fait le journaliste Benoît Collombat enquêtant sur les affaires de Bolloré au Cameroun, relevant, à ses risques et périls, l’honneur d’une profession où la journaliste russe Anna Politkovskaïa ne voyait plus qu’une « troupe de cirque chargée de distraire l’opinion ».

Quand donc ces polichinelles de l’info- spectacle ont-ils été capables de consacrer aux scandales de la Françafrique le traitement qu’ils méritent ? L’affaire Bourgi, comme le livre de Péan, La République des mallettes, sont peut-être l’effet d’un règlement de comptes entre initiés ; mais ce qu’ils mettent au jour, ce sont la corruption de l’État français et la cause de l’agonie des peuples africains, dont ces polichinelles se font les complices par leur œuvre de désinformation. Car sur cette affaire, ils vous asséneront ce qu’ils vous ont toujours affirmé, qu’il s’agit là des derniers soubresauts d’un système mafieux déclaré mort il y a plus de quinze ans, après n’avoir jamais existé. Gageons en effet que l’affaire Bourgi fera long feu, comme bien d’autres avant elles. Elle ne permettra pas de lever le tabou suprême, celui qui protège les arcanes de la politique africaine de la France.

Nous retomberons, nous sommes déjà retombés, dans l’infotainment, l’info-spectacle téléguidée et périmée, témoin le dernier titre, présenté comme « bombe » : la France a fourni un 4X4 à Kadhafi en 2008 (Médiapart, 19 septembre.) Mais qui dira comment, à quel prix, par quels intermédiaires, la France a vendu des hélicoptères anti-émeutes à la dictature trentenaire du Cameroun (Billets d’Afrique n° 170, mai 2008) ? Ceux-ci sont utilisés pour maintenir la population dans la terreur et garantir la réélection frauduleuse du potentat, le 9 octobre prochain, dans le silence des médias.

Qui demandera à Michel Rocard combien il reçoit pour poursuivre de ses assiduités Paul Biya, qui peut compter aussi sur l’amitié de Juppé et de Toubon ? Rocard soutient qu’il s’affaire au Cameroun pour éviter la guerre civile. Ce n’est que grâce à l’ignorance totale où nos polichinelles maintiennent l’opinion que ce mensonge peut être impunément proféré.

Au contraire les régimes protégés par la France en Afrique sont fondés sur les haines ethnistes [1], attisées comme instruments de division du peuple. Mille faits en témoignent, le cas le plus tragique étant celui du génocide des Tutsi en 1994 au Rwanda, le plus récent celui de la Côte d’Ivoire, où se poursuit sans bruit l’épuration ethnique. Le maître mot de ce que les Français connaissent de l’Afrique ce n’est pas secret de polichinelle, c’est : motus et bouche cousue.

http://survie.org/billets-d-afrique/

Posté par rwandaises.com