KINSHASA (AP) — Joseph Kabila a toutes les chances d’être réélu à la tête du Congo-Kinshasa lundi mais les violences entourant la présidentielle et les législatives font craindre pour l’avenir de ce géant de l’Afrique centrale, qui balance encore entre la consolidation d’une fragile démocratie et les vieux démons du chaos et de la haine, après des décennies de dictature et de guerres civiles.
Au moins cinq millions de personnes auront trouvé la mort dans les conflits en cascade, conséquences du débordement sur l’immense République démocratique du Congo (RDC, ex-Zaïre) du génocide de 1994 au petit Rwanda voisin. Les combats ont continué jusqu’en 2003, impliquant les armées d’une demi-douzaine de nations du continent noir et nombre de mouvements rebelles.
Joseph Kabila, 40 ans, devenu président après l’assassinat en 2001 de son père, Laurent-Désiré, seigneur de la guerre porté au pouvoir à Kinshasa par une insurrection venue du Rwanda, a conservé son poste à l’issue du premier scrutin libre de l’histoire du pays en 2006.
Le vote avait été organisé par les Nations unies, dont la MONUC, la plus vaste et la plus chère des missions de toute l’histoire de l’organisation, compte toujours 19.000 soldats de la paix, près d’une décennie après la fin de la guerre civile.
Des milliards de dollars ont été dépensés pour tenter de stabiliser le pays, objet de toutes les convoitises en raison des considérables richesses minières de son sous-sol. La Chine aussi y a massivement investi ces dernières années.
Mais avant même le scrutin, les organisations de défense des droits de l’Homme se sont inquiétées des discours de haine et de la montée des violences. Human Rights Watch (HRW), basée à New York, a recensé des dizaines d’incidents, dont des agressions de partisans d’Etienne Tshisekedi, 79 ans, vétéran de l’opposition et candidat à la présidence pour la première fois.
Dimanche, la police de Kinshasa a fait état de quatre morts dans des affrontements survenus la veille entre des sympathisants de Tshisekedi et de Kabila à l’aéroport de la capitale et sur la route qui y mène. La police a tiré dans la foule.
Tshisekedi a fait état pour sa part d’une dizaine de morts mais a maintenu un meeting prévu dans la journée malgré l’interdiction de tout rassemblement jusqu’à lundi. La mission des observateurs de l’Union européenne a critiqué l’attitude des autorités et l’Union africaine a appelé toutes les parties à la retenue pour éviter des « dérapages ».
« Il y a trop de moustiques dans le salon. Il est temps de donner un coup d’insecticide », aurait déclaré Gabriel Kyungu, président de l’assemblée provinciale du Katanga et allié de Kabila. Il a démenti avoir tenu ces propos haineux.
L’impunité règne toujours au Congo-Kinshasa. HRW réclame notamment l’arrestation de l’un des candidats aux législatives, Ntabo Ntaberi Sheka, un chef de milice de l’est du pays accusé d’avoir commandité les viols de près de 400 civils l’année dernière. « Ne pas arrêter un homme qui est tranquillement en train de faire campagne pour gagner des voix envoie le message que même les crimes les plus insignes ne seront pas punis », dénonce l’organisation.
Depuis qu’il est au pouvoir, Joseph Kabila a fait adopter par le Parlement le scrutin présidentiel à un seul tour. L’opposition, qui reconnaît que sa seule chance de le battre est de présenter un candidat unique, n’a pas pour autant réussi à surmonter egos et ambitions politiques pour s’unifier.
Onze candidats s’affrontent donc lundi pour la présidence et plus de 18.000 pour les 500 sièges de l’Assemblée nationale. Accusant la commission électorale d’être favorable à Kabila, Tshisekedi n’a pas hésité à appeler ses partisans à libérer ceux qui sont détenus en prison. Il s’est aussi d’ores et déjà proclamé président, se considérant comme la voix d’une majorité des près de 72 millions de Congolais.
Encore faut-il que ces derniers puissent se faire entendre: dans l’Est toujours en proie au chaos, des dizaines de groupes rebelles et autres milices terrorisent la population. Des cartes d’électeurs ont été brûlées pour les empêcher de voter.
Les affrontements sont alimentés par la lutte pour le contrôle des mines, dont beaucoup sont exploitées par des soldats, rebelles et milices. Ils violent femmes, hommes et enfants et brûlent des villages, jetant sur les routes des centaines de milliers de personnes.
Joseph Kabila avait fait un tabac dans l’Est en 2006 mais son incapacité à ramener la paix lui a depuis coûté sa popularité. Tout comme le fait d’avoir invité l’armée rwandaise honnie à y revenir, en 2009, pour se débarrasser des rebelles venus du Rwanda qui semaient la destruction dans la région.
Au chapitre du développement, Kabila a négocié un accord titanesque estimé à six milliards de dollars avec la Chine, en troquant des richesses minières contre des routes, trains, hôpitaux, ponts… Toutes infrastructures inexistantes dans ce pays pourtant de la taille de l’Europe occidentale, coeur de l’Afrique et frontalier avec neuf autres pays, où transports et communications se font par le fleuve ou les airs.
Mais Kabila n’a guère respecté ses engagements en matière de transparence ou de lutte contre la corruption, endémique. Sa campagne électorale est la seule à disposer de véritables fonds, et certains s’interrogent sur une obscure vente à perte de nombreux avoirs par la Gecamines, société minière d’Etat exploitant cuivre et cobalt, ainsi que sur le montant et la destination de ces sommes.
L’ONU, qui a enquêté sur les violences électorales, met en cause la police ainsi que les responsables de la justice et du renseignement. Selon ce rapport contesté par le ministre de l’Information, Lambert Mendé, les partis d’opposition sont « pris pour cible principalement dans les régions où leurs partisans sont nombreux et où ils constitueraient une menace importante pour la majorité au pouvoir et le président ».
Cette répression pourrait pousser des partis politiques et individus à recourir à la force, ce qui mettrait en péril le processus démocratique et pourrait mener à des violences post-électorales, prévient l’ONU. AP
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Posté par rwandanews