Le juge antiterroriste Marc Trévidic au Palais de justice de Paris, en janvier 2011.

Le juge antiterroriste Marc Trévidic au Palais de justice de Paris, en janvier 2011.AFP/FRED DUFOUR

Le juge d’instruction Marc Trévidic a bien failli demander sa mutation en septembre 2011. Sa hiérarchie lui livre « une guerre larvée » et multiplie les « brimades vexatoires », comme le relate, samedi 14 janvier, l’hebdomadaire Marianne. Au point que le magistrat antiterroriste, de guerre lasse, a saisi en décembre 2011 l’Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire) pour pouvoir travailler en paix.

Marc Trévidic est vice-président chargé de l’instruction au pôle antiterroriste à Paris, instruit des dossiers sensibles (l’attentat de Karachi, le Rwanda, les moines de Tibéhirine), et n’a pas sa langue dans sa poche. Président de l’Association française des magistrats instructeurs (AFMI), il avait déclaré, le 7 février 2011 à France Info, après les accusations du chef de l’Etat lors de l’affaire de Pornic – le débat sur la récidive relancé après le meurtre d’une jeune femme, Laetitia Perrais -, qui ont provoqué une tempête chez les magistrats, que Nicolas Sarkozy était « un multirécidiviste » et qu’il était « largement temps de lui appliquer la peine plancher ».

Le premier président de la cour d’appel, Jacques Degrandi, avait assez peu apprécié. Lors de son installation, le 18 mai 2010, il avait insisté sur la nécessité de résister « aux dérives qui consistent à instrumentaliser le procès au service d’une cause ou d’une idéologie ». Le premier président est lui-même bien en cour et partage heureusement les choix du gouvernement : avant que le texte ne soit enterré, il s’était prononcé pour la suppression du juge d’instruction, « à cinq conditions », dont les quatre premières étaient justement satisfaites par le projet gouvernemental.

Marc Trévidic s’inquiétait de ne plus recevoir de nouveaux dossiers depuis deux ans, mais c’est l’affaire du Niger qui lui a clairement fait comprendre qu’il n’était pas en odeur de sainteté. Le juge avait été invité à Niamey, avec Guillaume Portenseigne, un magistrat du parquet, pour former des juges antiterroristes locaux, du 20 au 23 juin 2010. La présidente du tribunal avait donné son feu vert, les magistrats et leurs gardes du corps avaient fait leurs vaccins, pris leurs billets, et M. Trévidic en avait avisé le premier président par courrier du 25 mai. Il a appris, à quatre jours du départ, qu’il ne partait plus : on lui a d’abord expliqué que c’était en raison de sa « surcharge de travail », puis qu’on ne pouvait envoyer au Niger qu’un premier vice-président, c’est-à-dire Yves Jannier, le magistrat avec qui il instruit l’affaire Karachi, mais qui n’était pas volontaire. Guillaume Portenseigne est parti seul.

Nouvel épisode le 22 septembre 2011. Marc Trévidic avait été contacté par un petit magazine, L’Essentiel des relations internationales, pour parler du terrorisme. Le juge avait indiqué qu’il n’était pas possible de prendre des photos galerie Saint-Eloi, le couloir des magistrats antiterroristes, mais la photographe avait quand même sorti son appareil avant d’entrer dans le bureau. Alertés par les caméras de vidéosurveillance, le commandement militaire, le secrétaire général du tribunal et la première vice-présidente chargée du pénal ont aussitôt débarqué dans le bureau du juge.

Il a été rapidement vérifié qu’aucune photo n’avait été prise galerie Saint-Eloi, la photographe s’est excusée, Marc Trévidic a fait un petit rapport et pensé que l’affaire était classée. Mais un mois plus tard, le 22 novembre, il a été convoqué par Chantal Arens, la présidente du tribunal, qui lui a signifié qu’il avait mis en danger la sécurité du tribunal et qu’elle envisageait de faire une procédure de « mise en garde », versée à son dossier. Le juge a exigé que dans ces conditions, sa réponse le soit aussi, la présidente a fini par laisser tomber.

Mais Marc Trévidic a senti cette fois qu’il y avait péril et saisi les syndicats. Christophe Régnard, le président de l’USM, et Corinne Goetzmann, pour l’AFMI, se sont inquiétés de « cette procédure quasi disciplinaire », manifestement irrégulière, qui n’est « prévue par aucun texte ». Chantal Arens les a reçus le 29 novembre, s’est longuement expliquée sur le peu de nouveaux dossiers attribués à Trévidic, mais pour le Niger, a dit qu’elle n’y était pour rien. Le premier président les a reçus à son tour le 16 décembre, et a indiqué qu’il lui semblait inacceptable que des journalistes entrent galerie Saint-Eloi. Quant au Niger, il assure qu’il n’a jamais reçu le courrier du juge…

« On a voulu faire comprendre à la hiérarchie judiciaire que cela suffisait, a expliqué Christophe Régnard, ce genre de tracasseries n’est pas acceptable. J’ai la fâcheuse impression de revivre ce qui s’est passé avec la juge Isabelle Prévost-Desprez à Nanterre. » Jacques Degrandi, dans un communiqué à l’AFP, a récusé « toute intention d’empêcher » le juge Trévidic d’instruire « en toute indépendance », et se dit soucieux de préserver les juges « de toutes pressions ». Il rappelle que chacun « doit exercer la plénitude de ses attributions dans le respect des règles éthiques et déontologiques », et considère que l’article de Marianne présente « des amalgames de faits, des contractions de propos épars » qui « nourrissent une présentation manichéenne et tendancieuse de la réalité ».

Ce n’est évidemment pas le sentiment des collègues de M. Trévidic. « Le premier président a dit que tous les juges d’instruction étaient des caractériels, dit Gilbert Thiel, le seul magistrat qui accepte d’être cité. C’est que les autres doivent être dépourvus de caractère et peut-être d’autres attributs. »

Franck Johannès
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Posté par rwandanews