Grand reporter au Nouvel Observateur, Christophe Boltanski s’est transformé en détective. Avec l’obstination d’un chien pisteur c’est à la trace qu’il suit non pas des escrocs de haut vol, mais des cailloux gris et noirs, ces blocs d’où est extraite la cassitérite, d’où sort finalement l’étain, indispensable à la vie moderne.

Cette matière magique, fascinante, il l’a traquée partout : en Malaisie où elle aboutit pour être transformée, à Londres, Paris, Bruxelles, dans les bureaux cossus où la poussière grise se transforme en statistique, se coule dans des rapports, se transforme en marge bénéficiaire, en chiffre d’affaires.

Mais surtout, loin des données abstraites, l’enquêteur s’est rendu sur le terrain. Ignorant les mises en garde, accompagné seulement du photographe Patrick Robert, Boltanski a débarqué au Kivu, pris la direction de Walikale et de là, il a marché jusque Bisié.

A Bisié, au cœur de la forêt, dans cette mine vers où convergent des militaires, des rebelles, des creuseurs qui se relaient jour et nuit dans le ventre de la terre, qui risquent leur vie pour quatre ou cinq dollars par jour, il a rencontré tout le monde. Portraits de famille sur fond de sueur et de poussière, danse macabre au bord d’une mine où la mort rode, où les fusils commandent, où chacun réclame son dû et vit au jour le jour. De là, patiemment, l’enquêteur est remonté, vers Goma et ses comptoirs qui préfinancent les négociants, vers des hommes d’affaires et des pilotes qui organisent le transport vers le Rwanda, vers le sociétés qui exportent, vendent et assurent, étiquettes à l’appui, que tout est correct, que les taxes ont été payées, et que l’identité des creuseurs, leurs conditions de travail et l’état de leurs liberté et de leurs poumons, ce n’est pas leur affaire. Ce livre là, écrit dans un style superbe, où on s’attendrait à voir débarquer John Le Carré, décrit les coulisses, les soutes du grand marché planétaire. Plus on s’écarte de Bisié, plus les prix montent, à mesure que se perdent les traces des lourds sacs de jute dans lesquels ont été jetés les « minerais de sang ».

Et plus on se rapproche de Bisié, plus on comprend pourquoi la guerre est inévitable, pourquoi le chaos congolais met tant de temps à reculer, car c’est dans le désordre que se réalisent les plus gros bénéfices, que chacun peut tenter sa chance…Un livre à lire absolument pour comprendre d’où courent les matières premières, pourquoi le Rwanda réussit et pourquoi le Kivu patine, pourquoi l’ONU échoue et qui, en définitive,  paie le prix réel de la mondialisation…

Christophe Boltanski, Minerais de sang, les esclaves du monde moderne, Grasset

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Posté par rwandanews