«Les trois ennemis de l’intelligence économique sont la corruption, la contrefaçon et la fuite des capitaux»
En Afrique, la recherche, le traitement et la sécurisation d’informations à des fins de compétitivité économique ne marchent pas à l’occidentale. Dans un contexte où l’Etat est souvent le principal acteur d’une économie informelle à plus de 50%, les trois ennemis de l’intelligence économique sont la corruption, la contrefaçon et la fuite des capitaux.
La contrefaçon
«N’imitez rien ni personne. Un lion qui copie un lion devient un singe.» S’il fallait s’en tenir à cette citation de Victor Hugo, 50% des commerces en Afrique seraient remplis de singes. Des logiciels aux pièces d’automobiles en passant par des appareils téléphoniques, des marques de vêtements, de cigarettes, des aliments pour nourrissons et des médicaments, etc., l’Afrique semble être la station finale de tout ce qui se fait de faux sur la planète. Le phénomène fausse complètement le jeu de la concurrence au point d’effrayer de nombreux opérateurs économiques étrangers. Mais il y a plus grave : la contrefaçon cause d’énormes dégâts de santé publique sur le continent. Si l’on s’en tient aux chiffres publiés en 2011 par l’Organisation mondiale de la santé, environ deux milliards de personnes ont été victimes d’accidents ou d’intoxications dans le monde suite à un contact avec un produit d’origine douteuse, dont plus d’un quart en Afrique, au cours de l’année écoulée.
Comment ça marche? Entre le «vrai-faux» [7] qui consiste en un détournement fiscal de vrais produits, le «faux-vrai» qui renvoie à la fabrication clandestine de générique sans danger pour le consommateur, le «faux-faux» est le mode le plus néfaste pour la compétitivité de l’Afrique. Car il frappe aussi bien les recettes fiscales, les droits des titulaires et la sécurité du consommateur que la santé publique.
Quel impact sur la compétitivité? Dans un pays comme le Nigeria, le crime organisé a pris le pas sur les petits contrefacteurs, reléguant les brevets et les droits d’auteurs aux oubliettes. Dans ce pays, pour ne citer que lui, l’industrie de médicaments contrefaits réalise de gigantesques profits à moindre coût sans se soucier de la sécurité et des consommateurs. Selon les estimations de Knowdys, au moins 50% de médicaments d’origine douteuse échouent sur le continent africain. Exposés au soleil et aux intempéries, ces produits sont vendus, hors contrôle, sur les marchés, au milieu des préservatifs et des friandises… Malgré les campagnes de sensibilisation régulièrement financées par des fonds internationaux, les consommateurs n’en démordent pas ; pour une raison que les autorités feignent d’ignorer : la faiblesse du pouvoir d’achat des populations. Un Africain dépense en moyenne 10 dollars/an pour ses médicaments contre 380 dollars pour un Européen, 506 dollars pour un Japonais et 770 dollars pour un Américain, d’après les statistiques (2011) de Knowdys. Mais la pauvreté justifie-t-elle que les entreprises qui investissent en R&D, créent des emplois locaux et paient des impôts aux Etats, soient battus par l’industrie de la contrefaçon?
La réponse de l’intelligence économique – Alors que leurs marchés traditionnels sont à maturité, certaines multinationales du luxe telles que LVMH, Chanel et l’Oréal, des grands équipementiers mondiaux comme Bosch, Johnson Controls et Valeo, ou des majors de l’agroalimentaire à l’instar de Coca-Cola, Nestlé et Unilever, vont chercher la croissance en Afrique où attend une classe moyenne de plus de 300 millions de consommateurs. Pour accompagner ces géants sur ce «nouveau» marché, les conseils en intelligence économique et stratégique jouent un rôle de premier plan pour étudier les habitudes de consommation, établir les profils des prescripteurs, analyser la concurrence, identifier les menaces liées à la corruption et à la contrefaçon, cartographier les contrefacteurs et préparer les ripostes idoines. La même offre est proposée aux entreprises locales menacées dans leurs positions. Dans leur lutte contre la contrefaçon, des gouvernements courageux comme au Rwanda et au Ghana recourent également aux services de ces consultants pour jouer les «clients mystères» auprès des services douaniers. A ce jour, les résultats parlent d’eux-mêmes. En plus des outils techniques capables de prouver la bonne ou mauvaise foi d’un fabricant, des cabinets d’intelligence économique comme Knowdys tiennent une base de données permettant d’anticiper les tendances des contrefaçons dans un espace déterminé (l’Afrique centrale en l’occurrence). L’analyse de ces données permet de définir l’évolution des stratégies des fraudeurs, de découvrir les nouvelles routes qu’ils empruntent, et aider les politiques et les entrepreneurs à prendre des mesures préventives et/ou dissuasives.
En guise de conclusion
Vu le tableau, on pourrait croire avec Yves Beauchemin que «quand nos ennemis vont mal, c’est que nos affaires sont sur le point de mieux aller.» Non. L’intelligence économique va mal en Afrique, non à cause des banques de données inexistantes, non à cause de l’opacité des opérateurs économiques locaux, non à cause des sources peu fiables, mais parce que ses acteurs majeurs ont encore une certaine idée de la compétition au service du bien commun.
Par Guy Gweth – 25/02/2012
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Posté par rwandanews