Pierre Cherruau prend le pouls du pays. Premier reportage dans les rues de Dakar où la population ne cache pas son ras-le-bol vis-à-vis d’Abdoulaye Wade.

 

Une manifestation contre Abdoulaye Wade dans les rues de Dakar, le 27 janvier 2012. REUTERS/Stringer

Mise à jour du 26 février 2012. « Ma majorité est si écrasante que je pense être élu avec un fort pourcentage dès le premier tour » a déclaré le président du Sénégal, Abdoulaye Wade au Journal du dimanche le 26 février.

Un nuage rouge, gris et laiteux recouvre Diacksao, une banlieue populaire de Dakar. Ce jour-là, les habitants de Diacksao font grise mine. Ils souffrent du froid. L’harmattan glace l’air. Les bonnets de laine sont de rigueur. Mais leur visage, plus fermé qu’à l’accoutumée, a une cause bien plus sérieuse: l’élection présidentielle doit avoir lieu le 26 février. La campagne électorale vient de commencer, mais personne n’a le cœur à s’en réjouir.

Peur des violences

Debout sur une terrasse, un jeune habitant de Diacksao montre sa commune qui se bat pour échapper à la pauvreté. Une route bitumée a remplacé le long sillon sablonneux dans lequel s’enfonçaient les «clandos», les 4 L déglingués qui font office de taxi du pauvre. Assane m’indique du doigt les lampadaires allumés en plein jour.

«Vous voyez, tout est aussi mal géré dans ce pays. Des lumières qui brillent en plein jour, c’est ainsi depuis qu’ils ont été installés

Assane ne cache pas son inquiétude: «Pour la première fois dans ce pays, nous avons vraiment peur de l’avenir. Nous savons que des violences peuvent éclater à tout moment. Depuis le début de la campagne, il y a déjà eu quatre morts. L’armée et la police tirent à balles réelles sur les manifestants. A Podor, une vieille dame a même été tuée par la police.»

L’un de ses amis, sans emploi, se montre tout aussi inquiet: «On ne comprend plus Wade. Il se présente au mépris de la constitution qu’il a lui-même fait voter. Il accuse la France et les Etats-Unis de vouloir s’ingérer dans les affaires du Sénégal. Il commence à se comporter comme Gbagbo. Tout ça va très mal se terminer.  Même à Diacksao, nous avons eu des émeutes ces derniers jours, les jeunes ont commencé à brûler des pneus lorsque le conseil constitutionnel a autorisé Wade à se représenter.»

Ce père de famille s’étonne d’autant plus de la volonté de Wade à rester au pouvoir qu’il considère que le président tirait sa légitimité des banlieues:

«Wade, c’est nous qui l’avons fait élire en 2000. Ce sont les banlieues qui ne supportaient plus le Parti socialiste, ses quarante ans de pouvoir d’affilée. On voulait le sopi (changement en wolof). Maintenant, on a fait douze ans de sopi, ça suffit.»

Abdelaziz ajoute avec emportement: «Mais surtout, le vrai problème au-delà du respect de la constitution, c’est qu’un vieillard de près de 90 ans ne peut pas entamer un nouveau mandat de sept ans. On a jamais vu ça nulle part.»

De rares partisans de Wade

A deux pas de là, au détour d’une allée sablonneuse où des pneus servent à marquer les trottoirs, vit l’ex-maire de la ville, l’un des derniers fidèles de Wade dans la commune de Diacksao. Battu à plate couture lors de la dernière élection municipale, Amadou Sy, le vieux militant du PDS (parti démocratique sénégalais, la formation de Wade) ne désarme pas.

«Attention, proclame-t-il. Moi je suis au parti depuis 1976. Pour Wade, j’ai tout subi sous le régime socialiste. Nous avons été bastonnés, jetés en prison, ruinés. Un jour, on est venu me chercher chez moi. J’ai passé onze mois en cellule. Et du jour au lendemain, on m’a sorti de prison sans explication. Tout ça parce que j’étais de l’opposition. Toutes ces épreuves nous ont endurcis. Aujourd’hui, on est au pouvoir pour y rester.»

Sa maison est festonnée d’affiches électorales à la gloire du président qui lui a «rendu visite à de nombreuses reprises». Amadou Sy reconnaît que l’opposition progresse en banlieue. Mais selon lui, «c’est surtout à cause des divisions du PDS».

Le vieux militant rugit encore dès que l’on émet l’hypothèse que son champion pourrait perdre. «Wade sera élu dès le premier tour avec 51% des suffrages. Au Sénégal, une élection ne se gagne pas à Dakar et dans les banlieues. Ce sont les campagnes qui font la différence. Et elles sont acquises à Wade. Là-bas, ils ne connaissent que lui», affirme-t-il avant d’ajouter avec un sourire:

«C’est un vieux singe et le vieux singe peut tout oublier sauf l’endroit où il doit se gratter.»

Proverbe énigmatique, sensé montrer qu’en matière électorale Wade aura toujours un coup d’avance sur ses adversaires.

Même la question de l’âge du capitaine ne trouble pas le moins du monde Amadou Sy : «Wade il ne faut pas le regarder. Il faut l’écouter. Et franchement quand on l’écoute on a l’impression d’avoir affaire à un homme de quarante ans», affirme-t-il avant de s’emporter contre les anciens Premiers ministres de Wade passés à l’opposition. « Aujourd’hui, ils le diabolisent, mais quand ils étaient au pouvoir, ils le divinisaient. Si tu veux rencontrer des menteurs, c’est au Sénégal qu’il faut venir», explique-t-il avant d’ajouter qu’il n’y aucun partisan du mouvement de jeunes «Y’en a marre» dans la commune.

«Ici, ça n’existe pas. Je n’en ai jamais rencontrés. C’est un mouvement créé de toute pièce par des médias à la solde de l’opposition», affirme-t-il avec force et conviction.

Y’en a marre gagne des militants

Pourtant à quelques mètres de là, un groupe de jeunes gens boit le «athaya», le thé sénégalais, assis sur des petits bancs de bois posés à même le sable, sur le pas d’une porte. L’un d’eux, un jeune enseignant, qui se fait appeler «King boom» pour une raison qu’il ne souhaite pas expliquer, ne fait pas mystère de son appartenance à «Y’en a marre». Abdoulaye Diop, alias «King boom» ironise sur le régime Wade.

«Ce sont eux qui nous ont envoyés à l’école. Ils ne sont pas plus intelligents que nous. Nous connaissons la loi. Nous avons étudié la constitution. Nous savons que Wade n’a pas le droit de se représenter. Nous représentons l’homme nouveau au Sénégal. Eduqué et dévoué à son pays. Nous refusons la corruption», explique King boom qui se tient informé des prochaines actions de «Y’en a marre» grâce à Facebook et aux SMS.

King boom annonce des actions non-violentes pour faire céder Wade. «Qu’il le veuille ou non, il partira», explique Abdoulaye Diop.

L’un de ses amis, Thiam renchérit: «Depuis que je suis en âge de voter, j’ai toujours soutenu Wade. En 2000 et en 2007, j’ai voté pour lui. J’ai cru à ses promesses d’emploi. Ce sont les jeunes qui l’ont porté au pouvoir, mais maintenant ça suffit. Il avait promis des boulots pour tout le monde, mais il n’y en a eu pour personne. La vie est de plus en plus dure au Sénégal.»

Un de ses camarades s’emporte contre le régime Wade: «Cela ne peut plus durer, les inégalités ont explosé. Au temps des socialistes, il y avait moins de détournement de fonds». «On commence vraiment à regretter les socialistes», ajoute celui qui ne cache pas son soutien à Tanor, le candidat du Parti socialiste du Sénégal.

Même les plus nantis du quartier laissent libre court à leur mécontentement. Enseignant de haut niveau, Diallo vit dans un confortable appartement, mais il considère que la vie devient plus dure et plus injuste sous le règne de Wade:

«J’ai de plus en plus de mal à acheter un sac de riz. Il coûte plus de 20.000 francs CFA, alors que son prix était de 7000 francs CFA à l’époque des socialistes. Ici, les familles vivent grâce à l’argent des immigrés. Comme nos parents vivant en Europe sont peu qualifiés, ils sont les premiers touchés par la crise. Du coup, ils n’ont plus les moyens d’aider leurs familles restées au pays. Dans les zones rurales du Nord, les villageois n’ont plus rien à manger. Crois-moi, j’ai sillonné le pays. Dans les campagnes, c’est comme ici, les populations ne soutiennent plus Wade.»

Peur de la fraude

L’un de ses voisins ajoute: «ll faudrait vraiment que le parti au pouvoir fraude pour remporter les élections

A quelques centaines de mètres de là, au cyber café, les internautes évoquent d’emblée la peur des magouilles électorales. «Sinon, Wade ne peut pas repasser», affirment-ils. Ils évoquent d’autres candidats plus jeunes qui les séduisent.

«Moi, je soutiens Idrissa Seck, il a eu l’expérience du pouvoir en ayant été Premier ministre. On l’accuse d’avoir détourné de l’argent. Mais au moins, il a développé Thiès, la ville qu’il dirige. Il a des solutions pour lutter contre le chômage. Alors que Wade n’a fait qu’aider son fils Karim. Karim dirige le Sénégal avec son père. Alors que c’est un pays où il n’habitait pas avant son élection. Il ne parle même pas wolof», affirme Ibrahima.

«Pourquoi la vie de Karim est-elle si facile et pourquoi la nôtre est-elle si dure? se demande le jeune gérant du cyber. Moi je suis obligé de pratiquer deux métiers pour joindre les deux bouts. Gérant de cyber et charpentier. Mon frère aîné est monté dans les pirogues pour aller en Espagne. Barca ou Barsak (Barcelone ou la mort), mais les Espagnols l’ont renvoyé au pays. Il a risqué sa vie pour rien. Un jour, si ça continue, je vais être obligé de faire comme lui», explique-t-il en pianotant sur son ordinateur.

Comme nombre de Sénégalais habitant à Diacksao, il lit le français, mais a du mal à s’exprimer dans cette langue, faute de pratique. Dans ce secteur, les conversations se font en wolof. C’est dans cette langue que monte l’esprit de fronde, contre les «nantis des beaux quartiers», le quartier des «almadies», le front de mer où roulent les belles voitures allemandes, françaises et japonaises au bord des nouvelles villas.

Le vent du changement

Dans le cyber, Ama, un étudiant en droit, veut garder espoir. Lui aussi soutient Idrissa Seck: «Il est jeune et compétent. Il est possible de développer le Sénégal, mais pour cela il faut que le vieux parte.»

Fatoumata, une étudiante du quartier ajoute: «Même si le sang doit encore couler. C’est sûr, Wade partira. Qu’il le veuille ou non. Nous, les jeunes, on ne veut plus être sacrifiés. Le vieux doit partir. Il partira. Alors qu’il y a déjà eu quatre morts, Wade a qualifié ce mouvement de brise. Quatre morts, ce n’est pas une brise. C’est le vent du printemps arabe qui commence à souffler au sud du Sahara. L’harmattan ce n’est pas une brise. C’est un vent chaud qui va tout balayer sur son passage.»

Fatoumata précise avec un large sourire et un paisible mouvement de main:

«Même les enfants de quatre ans disent dégage Wade ! Alors il partira bientôt, c’est ça le sopi. Le changement qu’il nous a tant promis. Et qui nous a tant fait rêver.»

Pierre Cherruau, directeur de la rédaction de SlateAfrique, à Dakar

www.slateafrique.com/82445/senegal-dakar-ces-banlieues-qui-ne-veulent-plus-de-wade

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