Depuis plus de vingt ans la journaliste belge couvre la région des Grands Lacs. Elle a enquêté sur le crash de l’avion du président rwandais prélude au génocide. Éclairage.
Colette Braeckman : » Habyarimana, tout le monde est d’accord là-dessus, avait accepté de partager le pouvoir. Il était sous pression »
Quelle différence faites-vous entre les rapports Trévidic et Bruguière Ils sont tout à fait différents.
Pour le rapport Bruguière, le juge d’instruction n’a pas été sur le terrain. Il a consulté uniquement des sources françaises et des témoins qu’il a convoqués en Europe. Il a instruit uniquement à charge alors que le juge d’instruction doit instruire à charge et à décharge.
Le rapport du juge Bruguière apparaît comme un document très politique, essentiellement inspiré par le pouvoir français de l’époque et dont la motivation première est d’incriminer le Front Patriotique Rwandais (FPR), de justifier les mandats d’arrêt contre neuf dirigeants de ce parti. Lorsque Bruguière est parti à la retraite, Marc Trévidic l’a succédé.
Qu’est-ce qu’il a apporté de plus que son prédécesseur ? Au départ, Trévidic était considéré comme le disciple de Bruguière.
Le juge Trévidic a hérité des dossiers de Bruguière et il a recommencé l’instruction. Entre-temps, il y a eu un élément nouveau : Rose Kabuye, directeur de cabinet du président Paul Kagame a été arrêtée en Allemagne et mise en détention en France.
Cela a permis aux avocats de Mme Kabuye de demander le dossier. A ce moment-là, le juge Trévidic a recommencé son instruction mais il a dû aussi entendre les arguments de la défense. Il a commencé à accumuler les éléments que lui fournissait la défense puis, à l’inverse de Bruguière, il a décidé d’aller sur le terrain. Nous sommes donc à ce stade, il ne faut pas donc conclure qu’il a terminé son travail.
Quel constat a-t-il fait une fois arrivé sur le terrain ?
Il a fait des analyses techniques, de balistiques et de trigonométrie, des analyses pour identifier la façon dont le missile est parti, etc. Au départ, il a déterminé que le tir était vraisemblablement parti d’un lieu qui était le camp Kanombe, camp de la garde présidentielle mais il n’a pas dit pour autant que c’était tel ou tel qui l’avait envoyé. Aujourd’hui, on connaît l’heure, le nom du missile et le lieu du tir. La question est de savoir qui a tiré, qui avait accès à ce milieu d’où le missile est parti.
Qui sont donc les auteurs ?
Évidemment à Kigali, on a dit que c’était des extrémistes hutu mais il faut faire encore une étude plus fine. Est-ce qu’il n’y aurait pas d’autres gens qui se seraient introduits au camp Kanombe ? Qui avaient accès, des casques bleus, des gens déguisés, etc. ?
Est-ce que ce rapport n’intervient-il pas au bon moment vu le timide rapprochement entre Paris et Kigali ?
Oui, on a pu se demander si ce n’était pas un rapport opportuniste après la reprise des relations diplomatiques entre les deux pays. Je ne crois pas personnellement que le juge Trévidic soit influencé par le contexte politique parce sur d’autres affaires en France, il est en opposition avec Sarkozy, il a le titre de juge anti-terroriste. Il est en opposition en France avec le pouvoir politique. Je ne vois pas comment sur l’affaire du Rwanda, il serait devenu du coup un juge sous les ordres.
Le mystérieux missile qui a abattu l’avion D’après les investigations de la journaliste, l’armée rwandaise n’avait pas ce type de missiles. « Vers les années 1992-1993, il y a des documents qui montrent que M.Bagosora avait fait des recherches en ce sens mais aucun document ne démontre qu’il les avait effectivement achetés ou reçus. » précise Colette Braeckman. D’après tous les témoignages qu’elle a recueillis, aucun militaire de l’armée du président Habyarimana n’était capable de s’en servir. « J’ai demandé aux militaires belges si dans leur armée, il y en a qui peuvent utiliser ce genre de missiles, mais ils m’ont répondu qu’il y en a peu parce que cela demande une formation particulière, une formation technique de 100 heures intensives » témoigne-t-elle. Sur la provenance du missile elle avance une explication : « Après l’effondrement de l’Union soviétique, on peut aller trouver des missiles russes, ukrainiens, etc. » D’autres informations, d’après elle, disent qu’on a vu ces missiles passer par Goma (RDC) et Kigali dans un convoi militaire. « C’est possible aussi » conclut-elle.
Pensez-vous que le dossier soit clos quand des proches comme Eugène Rudasingwa accusent la FPR de commanditaire de l’attentat ?
C’étaient des proches mais ils ont mis 18 ans à retrouver la mémoire, au moment où, pour d’autres raisons, ils étaient en opposition avec Kagame.
C’est leur droit d’avoir choisi l’exil ou d’être opposé avec Kagame mais ils émettent une série de critiques fondées ou non contre le régime de Kigali, ils ajoutent même que c’est Kagame qui a abattu l’avion présidentiel. Dans le cas de certains d’entre eux, il y a un proverbe juridique qui dit que nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude, on ne peut pas se venter de quelque chose à quoi on a soi même participé. Si c’est vrai que c’est le FPR qui a abattu l’avion, comme M. Rudasingwa était secrétaire général du FPR, il s’accuse lui-même. C’est suspect comme témoignage. Ainsi que des dissidents du FPR qui disent qu’ils étaient tout près du camp, c’ est bizarre et très délicat.
Même si le travail du juge Trévidic n’est pas encore terminé, pensez-vous que son rapport annule les mandats d’arrêt internationaux émis contre neufs autorités rwandaises dont Kagame lui-même ?
C’est une affaire juridique. Le juge est saisi de neuf mandats d’arrêt. Son travail, c’est de voir s’il y a des éléments suffisants qui incriminent ces neuf personnalités citées. On a ouvert trois mois d’expertise, il a rendu public le rapport des experts.
Il va y avoir le rapport contraire des experts de l’accusation. Le juge va ainsi regarder si dans le dossier d’accusation il y a des éléments qui permettent de maintenir l’inculpation. Déjà, les avocats ont fait savoir qu’ils vont demander un non-lieu parce que le dossier n’a pas d’éléments concluants.
Les mandats d’arrêt seront alors levés. Mais on n’a toujours pas dit celui qui avait tiré sur cet avion, nous ne sommes pas donc au bout de la procédure.
Est-ce que le rapport Trévidic peut innocenter Kagame ?
Le raisonnement est que le tir est parti du camp de la garde présidentielle. Le FPR n’y avait pas accès. Il était exclu qu’un commando du FPR très reconnaissable puisse s’installer dans le cœur même de la garde.
Ceux qui étaient à Kigali au mois de mars 1994 peuvent vous assurer que le camp Kanombe était une forteresse, c’était un camp retranché avec des barrières partout et des contrôles extrêmement serrés, je ne vois vraiment pas comment quelqu’un serait arrivé avec des missiles sur le dos. L’autre hypothèse, c’est que l’avion aurait été abattu par des extrémistes hutu de la garde. Si l’endroit est bien celui-là, je ne vois pas comment le FPR se serait introduit. C’est ça que je reproche à Bruguière parce qu’il n’a pas été sur place pour constater que c’est improbable.
Il semble que les militaires français avaient accès au camp…
Oui, quelques étrangers avaient accès au camp Kanombe. Les Français pouvaient entrer parce qu’ils avaient une unité de formation de para commandos. Des casques bleus et quelques coopérants belges logeaient dans ce camp. C’est un troisième élément sur lequel j’avais moi-même mené des investigations. En 1994, des casques bleus belges disaient qu’ils ne comprenaient pas quelque chose de très bizarre qui leur arrivait : on leur volait des pièces de leurs uniformes. Ils les donnaient à la blanchisserie mais par exemple des bérets et autres pièces ne revenaient pas.
On peut donc imaginer que des gens aient pris des pièces d’uniformes à un Blanc non identifié ait mis cet uniforme de casques bleus pour avoir accès au camp Kanombe, exécuter le coup sans être arrêté. C’est une manipulation.
Quel avantage les extrémistes hutu auraient-ils eu en supprimant Habyarimana ?
C’est vrai, les hutu disent aussi qu’ils n’avaient aucun intérêt à supprimer leur président. Mais Habyarimana, tout le monde est d’accord là-dessus, avait accepté de partager le pouvoir. Il était sous pression et avait finalement lâché du lest en acceptant la fusion de l’armée, l’introduction du FPR dans le gouvernement de transition Aux yeux d’un petit nombre de personnes, il pouvait apparaître comme un traître. Celui qui était considéré comme le dernier rempart avait cédé. Donc on le sacrifie parce qu’il ne sert plus à rien.
Une piste interne donc…
Mais aux yeux de certains étrangers aussi, en acceptant la fusion des deux armées, les Français qui avaient un rôle très important de conseiller dans l’armée de Habyarimana pouvaient se dire que, si demain le FPR entrait dans l’armée, ils n’auraient plus rien à y faire et devraient partir. Ils ne voulaient cela à aucun prix et ont tout fait pour l’empêcher. Mais là on est dans les suppositions.
Sur le Rwanda vous êtes controversée. Vous seriez même contre Kagame. De quel côté vous situer ?
Comme journaliste. J’ai toujours dit objectivement que cette affaire Bruguière ne reposait pas sur quelque chose de convainquant. C’était plus pour défendre l’intérêt de l’Etat français. Je me suis toujours demandée pourquoi. Je ne suis ni pour ou contre l’Etat français ni contre ou pour Kagame. Je regarde les choses.
Le Journal Iwabu-Burundi
Le Journal Iwabu-Burundiwww.rwandagateway.org/fr/spip.php?article973
Posté par rwandanews