Alors que combats s’intensifient entre les forces gouvernementales congolaises et les militaires mutins dans la région de Rusthuru, au Nord de Goma, le Nord et le Sud Kivu retiennent leur souffle, se demandant si la guerre va reprendre à l’Est du Congo et réduire à néant une paix fragile conclue en 2009 qui s’est encore traduite cette semaine par la décision d’échanger des renseignements entre les trois pays des Grands Lacs.
La tragédie du retour à la guerre s’est jouée en plusieurs actes.
Premier acte.
Alors que le président Kabila est affaibli par le manque de crédibilité des élections de novembre 2011, les organisations de défense des droits de l’homme, dès janvier, multiplient les pressions, sommant Kinshasa de livrer le général Bosco Ntaganda au Tribunal pénal international à La Haye.
Rappelons que Bosco Ntaganda, en 2009, avait été placé à la tête du mouvement militaire CNDP (Congrès national pour la défense du peuple, proche du Rwanda) en remplacement de Laurent Nkunda, un chef militaire tutsi qui avait failli occuper Goma. Accusé de crimes de guerre en Ituri, Bosco fut protégé, durant trois ans, par le président Kabila et, même s’il poursuivit son business en même temps qu’il participait à des opérations militaires contre les rebelles hutus, l’accord rwando congolais permit durant trois ans, d’établir une paix relative dans la région, accompagnée d’ un certain décollage économique. De son côté le CNDP, reconverti en parti politique, appelait à voter Kabila et ses officiers se trouvaient déployés sur toute la frontière est du pays, depuis l’Ituri jusqu’au Sud Kivu. .
En février, Katumba Mwanke, le puissant conseiller du président Kabila, trouve la mort dans un accident d’avion à Bukavu. Or maîtrisant toutes les facettes du dossier de Bosco Ntaganda, il était le seul à pouvoir tenter, à la fois, d’éluder les pressions internationales et d’éviter la comparution de l’officier devant la CPI, ce que ni le Rwanda ni les complices congolais de Bosco ne souhaitent et il disparaît avec ses secrets.
En mars, Bosco commence à se sentir menacé : avant sa visite à Kinshasa, Didier Reynders a lui aussi réclamé son arrestation, et à la Haye le procès de Thomas Lubanga rappelle que Ntaganda était l’exécuteur des basses œuvres d’un homme contre lequel le procureur de la CPI vient de requérir 30 ans de prison pour avoir recruté des enfants-soladts.
Alors que Kigali et Kinshasa tentent de trouver un successeur à Bosco en la personne du colonel Sultani Makenga, le général amasse des armes. Ancien partisan de Nkunda, Makenga jouit d’un certain prestige auprès des hommes de troupe et au Sud Kivu, il a obtenu des résultats dans la traque des FDLR. (Forces démocratiques pour la libération du Rwanda). Cependant, voyageant de Bukavu à Goma, Makenga déjoue une embuscade et dans les rangs du CNDP, la méfiance s’installe : le président Kabila oeuvrerait-il à la disparition pure et simple de l’ancien mouvement rebelle, que la population du Kivu considère comme le « bras armé » de l’influence de Kigali ? Selon d’autres sources cependant, ce n’est pas pour échapper à une attaque que Makenga aurait pris le bateau mais pour, traversant le lac Kivu, aller prendre des directives au Rwanda avant d’accepter sa nouvelle affecation…

Deuxième acte

Début mai, apparaît la rébellion militaire dite du M23. Les mutins sont des anciens du CNDP. L’un d’entre eux nous a rappelé les revendications de ses compagnons : sans être solidaires de Bosco, considéré comme un homme fini, qui a trahi Nkunda le chef charismatique du mouvement, ils réclament l’application complète des accords du 23 mars 2009, estimant qu’ils n’ont pas reçu, au sein de l’armée congolaise, les grades, les postes et les soldes qui leur avaient été promises. Ces militaires, tutsis pour la plupart, refusent aussi d’être mutés dans d’autres provinces du pays. Ils entendent rester au Kivu pour « protéger leurs familles » et exigent le retour de réfugiés tutsis congolais installés au Rwanda. Au Kivu, l’opinion est hostile à ces retours, considérant qu’il s’agît moins de rapatrier de vrais déplacés de guerre que d’implanter des groupes de civils venus du Rwanda et elle exige que le Haut Commissariat aux réfugiés soit associé à l’opération afin d’identifier les rapatriés.
Des ONG congolaises dénoncent par ailleurs des organisations internationales qui procéderaient –en principe au bénéfices des rapatriés venus du Rwanda- à des achats de terres au Kivu, du côté de Kitchanga, Mpinga, Walikale, des terres fertiles mais surtout riches en minerais.
Lorsque le président Kabila se rend à Goma, il refuse toute négociation et engage son armée contre les mutins. Dans un premier temps, les forces gouvernementales engrangent de succès très remarqués et, dans la ferme de Bosco dans le Masisi, elles se saisissent de vingt tonnes d’armes. Pourchassés, les militaires rebelles traversent le parc des Virunga pour se réfugier à Bunagana, une localité adossée à la frontière rwandaise. Face à ces quelque 600 hommes, l’armée congolaise déploie chars, hélicoptères de combat et elle immobilise 7000 hommes, dégarnissant d’autres régions, le Sud Kivu, l’Ituri qui commencent aussi à s’agiter. Quant à Bosco Ntaganda, il disparaît, vers le Rwanda selon les uns, vers son ancien fief de l’Ituri selon d’autres où il compte des relais dans la communauté Hema. Si Human Rights Watch accuse le général déchu d’avoir recruté «des centaines » de jeunes gens dans le Nord Kivu, entre autres à Jomba, des sources locales nous déclarent qu’il n’en est rien…

Troisième acte

Alors que les mutins, pratiquant la guerilla, résistent à l’armada congolaise et que des dizaines de milliers de déplacés fuient vers le Rwanda, des « fuites » divulguées par la BBC révèlent que c’est depuis février –avant le déclenchement officiel de la rebellion- que des jeunes gens ont été recrutés à Mudende au Rwanda. Après une brève formation dans un camp militaire rwandais, des porteurs ont été chargés de caisses de munitions qu’ils ont déposé de l’autre côté de la frontière entre les mains des rebelles. Accusant la Monusco, Human Rights Watch et toutes les sources qui confirment son implication, Kigali dément avec véhémence. Quant au gouvernement congolais, son porte parole, Lambert Mende, d’abord très réservé, il finit par confirmer les allégations des défecteurs, recueillies par les enquêteurs onusiens et, sans pousser plus loin, il s’interroge sur la « passivité » rwandaise.
Malgré les réunions bilatérales, les échanges de délégations, l’offre rwandaise de « médiation » la confiance entre Kigali et Kinshasa s’érode à vue d’œil, reproches et accusations se croisent.
D’autres informations font état d’infiltrations dans l’Ituri et surtout au Sud Kivu et des témoins ont constaté vendredi dernier d’importants mouvements militaires du côté rwandais en direction de la fille frontalière de Cyangugu.
Selon des observateurs militaires régionaux, la concentration des mutins à Bunagaga au Nord Kivu pourrait être une manœuvre destinée à « fixer » les meilleurs éléments de l’armée congolaise et à dégarnir d’autres fronts potentiels où des surprises se préparent…

Un épilogue en trois questions :

Pourquoi, en déclenchant une telle campagne contre Bosco Ntaganda, -comme s’il était le seul criminel de la région- les organisations de droits de l’homme ont-elles entraîné la « communauté internationale » à prendre le risque de déstabiliser à nouveau une région aussi fragile, où la paix reposait sur la récente collaboration entre Kinshasa et Kigali ?
Pourquoi le Congo, prévenant les critiques, n’a-t-il pas balayé devant sa porte, congédiant des officiels, des militaires, des personnalités politiques notoirement corrompus ou impliqués dans le trafic de minerais à l’est du pays, pourquoi le pouvoir a-t-il toléré des pratiques mafieuses au plus haut niveau de l’armée ?
Pourquoi le Rwanda, qui, en dépit des évidences, nie farouchement son soutien à la rébellion, prend il le risque de ternir sa réputation de « bon élève », favori de l’aide internationale ? Peut on imaginer qu’il aurait intérêt à maintenir l’instabilité dans l’Est du Congo pour y protéger des circuits parallèles plus rentables que les échanges réguliers ? Au vu des dénégations de Kigali, peut-on croire que les recrutements et les infiltrations au delà de la frontière auraient eu lieu à l’insu des autorités rwandaises et en particulier du président?
Les derniers développements sont tellement négatifs pour l’image du pays que l’on peut se demander si des « intérêts supérieurs » (mafieux ou politiques) n’auraient pas joué, utilisant le Rwanda comme un instrument pour déstabiliser le Congo et confiner ce pays dans son rôle de fournisseur de matières premières bon marché…

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Posté par rwandaises.com