Les pays africains francophones doivent avoir des rapports d’égalité avec l’ancienne puissance coloniale qu’est la France. Un combat à mener sur les pas d’un Frantz Fanon.
A l’occasion de la parution d’un ouvrage intitulé Frantz Fanon par les textes de l’époque, préfacé par Achille Mbembé, la fille du célèbre psychiatre et essayiste, Mireille Fanon-Mendès-France, poursuit le combat anticolonialiste de son père.Elle dénonce aussi la domination qu’exerce encore en Afrique les anciennes puissances coloniales.
Au cours d’une rencontre-débat sur la politique africaine de la France, organisée à Paris par l’association Simbaa, fondée et présidée par l’écrivain Gaston Kelman, en présence du musicien camerounais Manu Dibango, le philosophe algérien Malek Chebel et l’animateur de radio français Claudy Siar, Mireille Fanon-Mendès-France a affirmé que les pays africains n’avaient rien à attendre du président François Hollande.
Car, selon elle, quand ce dernier évoque les intérêts légitimes de l’Afrique, il n’oublie pas de préciser que ceux-ci sont nécessairement portés par les intérêts de la France.
«La décolonisation n’a été qu’un leurre»
S’inscrivant résolument dans les pas de son père, Mireille Fanon-Mendès-France rappelle que si l’Afrique continue d’être pillée, exploitée, dominée… c’est d’abord parce que la décolonisation n’a été qu’un leurre, et que les principes qui devaient présider à l’indépendance des pays africains n’ont jamais été mis en œuvre.
Ainsi, dès l’après-guerre, l’architecture de la gouvernance mondiale, fondée sur l’autodétermination ou encore le droit à l’égalité et à la non-discrimination entre les peuples, n’a véritablement jamais été suivie d’effets.
Résultat: les pays africains, notamment francophones, restent aujourd’hui soumis aux anciennes puissances coloniales. Reprenant à son compte les analyses de son père parues dans son ouvrage Pour la révolution africaine, Mireille Fanon-Mendès-France souligne:
«L’ONU n’a jamais été capable de régler valablement un seul des problèmes posés à la conscience de l’homme par le colonialisme, et à chaque fois qu’elle est intervenue, c’était pour venir concrètement au secours de la puissance colonialiste du pays oppresseur […] Il n’est pas vrai de dire que l’ONU échoue parce que les causes sont difficiles. En réalité l’ONU est la carte juridique qu’utilisent les intérêts impérialistes quand la carte de la force brute a échoué.»
Aujourd’hui à la tête de la Fondation Frantz Fanon, et membre du groupe de travail d’experts sur les Afro-descendants au Conseil des droits de l’homme des Nations unies, Mireille Fanon-Mendès-France estime que le cadre de référence du colonialisme n’a pas été remis en cause.
Plus d’un demi-siècle après les indépendances africaines, elle constate que les rapports de force sont chaque jour un peu plus défavorables à l’Afrique.
Depuis la funeste guerre du Biafra, jusqu’à l’actuelle occupation du Mali, en passant par la Somalie, la Côte d’Ivoire ou encore la Lybie, elle déplore que le droit d’ingérence ne s’exerce qu’en Afrique.
Selon Mireille Fanon-Mendès-France, la Cour pénale internationale n’est que l’instrument judiciaire de cette stratégie de domination des anciennes puissances coloniales. Et qu’on ne lui parle surtout pas de l’aide au développement.
«L’aide au développement n’est pas la charité»
Outre le fait que les premiers pas de Pascal Canfin, le tout nouveau ministre français délégué au Développement ne lui paraissent guère encourageants, elle rappelle volontiers ce que son père disait de l’aide au développement dans Les damnés de la terre:
«Quand nous entendons un chef d’Etat européen déclarer la main sur le cœur qu’il faut venir en aide aux malheureux peuples sous-développés, nous ne tremblons pas de reconnaissance. Bien au contraire nous nous disons “c’est une juste réparation qui va nous être faite”.
Aussi n’accepterons-nous pas que l’aide aux pays sous-développés soit un programme de “sœurs de charité”. Cette aide doit être la consécration d’une double prise de conscience, prise de conscience par les colonisés de ce qui leur est dû, et par les puissances capitalistes qu’effectivement elles doivent payer.»
De manière plus consensuelle, le philosophe et anthropologue Malek Chebel, qui a commencé par préciser qu’il n’était pas africaniste, mais juste Africain, a lui estimé que l’Afrique avait commencé à sortir de son enferment.
Né indigène, dans ce qui n’était alors qu’un département français, et qui deviendra plus tard l’Algérie, Malek Chebel rappelle d’abord que, à l’époque, les paysans autochtones avaient été dépossédés de leurs terres au profit de colons européens.
Mais il précise surtout que «les cent-cinquante ans de colonisation fondée sur l’expropriation des terres, l’absence de droits, l’iniquité sur tous les plans… ont finalement débouché sur le réveil du peuple algérien, aux côtés duquel se trouvait évidemment Frantz Fanon, devenu depuis l’idole de tous les Algériens.»
Résolument optimiste, Malek Chebel ne désespère pas qu’une telle dynamique se produise à nouveau, mais, peut-être, cette fois, à l’échelle du continent.
Il déplore cependant la faible puissance militaire des pays africains, qui sont toujours dépendants à cet égard des anciennes puissances coloniales, l’absence de démocratie réelle ou encore l’incapacité à exploiter les ressources dont regorgent certaines régions.
Plus grave à ses yeux cependant: la dépendance intellectuelle. Tant que les intellectuels africains ne seront pas lus et écoutés dans leurs pays respectifs, et que ceux appartenant à la diaspora seront de plus soupçonnés de collusion avec l’ancienne puissance coloniale, l’Afrique ne sortira pas de l’ornière.
Tout ceci semblait renvoyer aux propos introductifs de Gaston Kelman. Ce dernier s’étonnait en effet que l’on puisse encore parler de politique africaine de la France, mettant ainsi face à face, un continent et un pays, fut-il la cinquième puissance économique mondiale.
L’essayiste s’est alors interrogé:
«La politique africaine de la France. Que vaut déjà cette juxtaposition, cet oxymore fatidique qui met un continent face à une nation?»
Selon Gaston Kelman, pendant longtemps, pour préserver ses intérêts, la France a couvert de nombreuses exactions, monté des réseaux spéciaux qui sont à la base de ce qu’on appelle la Françafrique.
«Aucune volonté de traiter d’égal à égal avec l’Afrique»
Tout en tenant compte des bonnes intentions affichées par le gouvernement socialiste, il se demande si la France aura les moyens de changer son regard sur l’Afrique.
Plusieurs dossiers permettent cependant de douter, à brève échéance tout au moins, d’une réelle volonté de traiter d’égal à égal avec l’Afrique.
A cet égard, Gaston Kelman a cité ce qu’il appelle la croisade ivoirienne, commencée dès les accords de Marcoussis de 2003, et qui a abouti au renversement de Laurent Gbagbo.
Dans le même ordre d’idée, il n’a pas manqué de déplorer l’affaire des biens mal acquis, qui selon lui, n’est qu’une preuve supplémentaire du préjugé selon lequel «les Africains sont incapables de voir leurs problèmes».
Pour le président de l’association Simbaa, malgré les gages de bonne volonté, la France semble encore avoir beaucoup de mal à travailler sur un pied d’égalité avec des populations qui, hier encore, faisaient partie de son empire colonial.
Prenant un peu le contre-pied de la vision exprimée par Gaston Kelman et Mireille Fanon-Mendès-France, Claudy Siar se demande à quel moment Africains et Afrocaribéens se décideront à faire leur autocritique.
Il en appelle à un travail sur soi individuel et collectif. A ses yeux, les éléments de dépendance sont encore beaucoup trop nombreux.
Par exemple, l’absence de médias panafricains. Car pour Claudy Siar, l’existence d’un média fort de ce type, c’est la possibilité d’un regard sur soi et de la construction d’imaginaires propres à l’Afrique. Il a alors appelé les leaders africains à créer des médias d’envergure continentale.
Christian Eboulé
Posté par rwandaises.com