Le chef rebelle congolais Bosco Ntaganda est depuis lundi 18 mars réfugié à l’ambassade américaine à Kigali au Rwanda. Pourquoi s’est-il rendu alors qu’il s’expose à de lourdes peines à la Cour pénale internationale (CPI) où il devrait être transféré? Quelle est l’impact de sa reddition sur les discussions visant à ramener la paix dans l’est de la RDC? Eléments de réponse avec Séverine Autesserre, de l’Université de Columbia à New York, spécialiste de la RDC et des processus de paix.
RFI : Séverine Autesserre bonjour… Comment expliquez-vous la réddition, assez surprenante finalement, de Bosco Ntaganda ?
Séverine Autesserre : Il avait le choix entre la mort et la CPI et il a choisi la CPI, ce qui semble plutôt logique. Ces dernières semaines, il a perdu le contrôle de son groupe armé, le M23. Ses hommes ont fui. Il s’est retrouvé, lui aussi, en position extrêmement difficile avec son rival Sultani Makenga, qui le poursuivait et essayait de l’atteindre. Donc, s’il était rattrapé par Makenga, il avait toutes les chances de se faire tuer.
D’un autre côté, il aurait perdu ses contacts étrangers, ou ces derniers lui auraient dit qu’ils ne pouvaient pas assurer sa sécurité. Donc, il s’est retrouvé devant ce choix : soit il risquait de se faire rattraper et tuer, soit il se livrait à l’ambassade américaine, demandait à être transféré à la CPI, risquait la prison à vie. Mais au moins il restait en vie.
Et pour vous il ne fait peu de doutes qu’il sera condamné à une lourde peine, donc ?
Il est inculpé par la CPI de sept chefs d’inculpation pour crimes de guerres et trois chefs d’inculpation pour crimes contre l’humanité, commis en 2002-2003, lorsqu’il était combattant en Ituri avec le groupe dénommé Union des patriotes congolais ( UPC).
Qui sont les principaux bénéficiaires, diriez-vous, de sa reddition ?
D’abord Sultani Makenga, donc son rival victorieux à la tête du M23. Sultani Makenga avait gagné les combats la semaine dernière, mais Bosco Ntaganda restait un rival très sérieux qui aurait pu lui contester à nouveau le leadership de ce mouvement. Le gouvernement congolais est aussi un grand bénéficiaire de cette reddition, dans le sens où il a un chef de guerre en moins avec qui «dealer» et qu’il faut gérer.
Il sera plus aisé, donc, d’obtenir un accord entre le M23 et le président Joseph Kabila, suite à cette reddition, donc ?
Probablement. Quand Bosco Ntaganda était à la tête du M23 et déjà sous le coup d’un mandat d’arrêt de la CPI, il n’avait pas vraiment de raisons d’arriver à un accord avec le gouvernement congolais. Il n’aurait jamais pu avoir de position officielle confirmée à la tête de l’armée ou un poste gouvernemental. En plus, il courait toujours le risque de se faire livrer par le gouvernement congolais à la CPI. Bosco Ntaganda n’avait pas vraiment de raisons d’arriver à un accord, alors que ces obstacles n’existent pas pour Sultani Makenga et pour les hommes-clés qui travaillent avec lui.
Maintenant, ça ne veut pas dire que c’est gagné, dans le sens où tous les points de désaccord entre le M23 et le gouvernement congolais restent là. Il reste beaucoup de frictions et de désaccords sur ce que sera la place des hommes du M23 et des Congolais d’origine rwandaise dans l’armée congolaise.
Selon l’ONU, la reddition de Bosco Ntaganda est néanmoins une étape importante qui devrait permettre de faire avancer le processus de paix en RDC. Est-ce que c’est votre point de vue ?
C’est un grand pas pour le processus de justice en RDC. Par contre, c’est un petit, très petit pas pour le processus de paix. On s’est focalisé depuis des années sur l’arrêt de grands chefs de guerre comme Bosco Ntaganda. Avant, c’était Laurent Nkunda. Avant, il y en a eu d’autres. Et à chaque fois qu’on a géré le problème de ces grands chefs de guerre, cela n’a rien résolu en fait. Les problèmes ont continué avec un nouveau chef de guerre qui a juste remplacé l’ancien.
Ces grands chefs de guerre sont juste un épiphénomène, alors qu’il y a des problèmes beaucoup plus complexes. Les vrais enjeux ne tournent pas autour d’une personne ou d’un petit groupe d’élites, mais sur les thèmes que l’accord-cadre a essayé de régler – c’est-à-dire l’ingérence étrangère et la gouvernance à la tête de l’Etat congolais – mais aussi beaucoup de conflits locaux. Des conflits autour de la terre, du statut de certaines communautés, autour des ressources économiques locales.
Et tous ces conflits locaux ne sont absolument pas pris en compte dans le processus de paix actuel. Ils ne sont pas discutés dans l’accord-cadre ou dans les négociations entre le M23 et le gouvernement congolais, d’après ce que je sais. Donc, ce n’est pas avec la reddition de Bosco Ntaganda et ce n’est pas en continuant à avoir un accord-cadre qui se focalise sur les intérêts d’un petit groupe d’élites, qu’on va vraiment avoir une chance de ramener une paix durable à l’est du Congo.
Mais cet accord-cadre chapeauté par l’ONU vise tout de même à s’attaquer aux causes profondes des crises récurrentes dans l’Est de la RDC. Et à ce sujet, est-ce que vous ne croyez pas que la reddition et un probable accord à court terme, entre le président congolais et Sultani Makenga, risquent d’affaiblir cet accord-cadre ?
C’est l’une des analyses en cours. Encore une fois, c’est tout nouveau. C’est un coup de théâtre, on essaie tous de comprendre ce qui s’est passé. On ne sait même pas ce qui s’est passé. On ne sait pas encore ce qui va se passer. Des analystes disent qu’à partir du moment où Kabila signe un accord avec Makenga, il aura beaucoup moins d’incitation à poursuivre ses travaux dans le cadre de l’accord-cadre avec les Nations unies. Cet accord avec Makenga n’est absolument pas gagné.
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