Que peut-on attendre du sommet régional de dimanche sur la crise au Burundi? Au mieux un report des élections, mais certainement pas une prise de position publique sur le coeur du problème, un éventuel troisième mandat du président Pierre Nkurunziza, estiment les experts.
Alors que la contestation populaire qui secoue Bujumbura depuis plus d’un mois ne faiblit pas, Rwanda, RDCongo, Ouganda, Tanzanie, Kenya et Burundi se retrouvent dimanche à Dar es Salaam pour un second sommet régional.
Une première rencontre le 13 mai, déjà à Dar es Salaam, avait été bouleversée par une tentative de coup d’Etat contre le président burundais, présent au sommet. Le retour de M. Nkurunziza dans son pays avait permis de faire échouer le putsch, mais pas d’étouffer la fronde dans les rues.
On ignore encore si le président Nkurunziza prendra le risque de se rendre une nouvelle fois à Dar es Salaam, où, de toute façon, il avait été tenu à l’écart des discussions le 13 mai.
Des législatives et communales, déjà repoussées de dix jours sous la pression internationale, doivent se tenir le 5 juin, suivies de la présidentielle le 26 juin. Mais l’influente Eglise catholique a annoncé mercredi son retrait du processus électoral et l’UE a suspendu sa mission d’observation, jugeant que les conditions « ne permettent pas la tenue d’élections crédibles ».
Le Rwanda de Paul Kagame, qui se pose comme un pôle de stabilité régionale, ne cache plus son mécontentement croissant envers son ancien allié. La Tanzanie a elle aussi pris ses distances. L’Ougandais Yoweri Museveni distille ses conseils, mais entretient savamment l’ambiguïté. Le Kenya est traditionnellement plutôt distant vis-à-vis des Grands Lacs, tandis que la RDCongo serait peut-être la plus conciliante.
La plupart de ces acteurs régionaux sont directement concernés, notamment le Rwanda, et surtout la Tanzanie, qui accueillent plusieurs dizaines de milliers de réfugiés Burundais.
La Tanzanie s’était beaucoup impliquée en son temps, derrière l’Afrique du Sud et l’Union Africaine (UA), dans la négociation des accords de paix d’Arusha, qui avaient mis fin à la guerre civile (1993-2006). Elle ne voit évidemment pas d’un bon oeil la remise en cause des acquis d’Arusha qui limite à deux le nombre de mandats présidentiels.
– Vers un report ? –
« Les plus en pointe contre un troisième mandat de Nkurunziza sont, sans surprise, l’UA et l’Afrique du Sud, principaux artisans d’Arusha », explique Thierry Vircoulon, pour International Crisis Group (ICG). Mais pour l’instant, c’est l’EAC qui reste à la manoeuvre, l’UA restant en retrait.
Parmi les puissances occidentales, la Belgique et les États-Unis sont les plus critiques. La France joue la discrétion, et se réfugie derrière l’UE.
Dans ce jeu diplomatique, « la seule ligne officielle pour le moment, c’est un report des élections », même si « en coulisses, tout le monde est contre un troisième mandat », résume M. Vircoulon. « Si les pays de la région évoquent ce troisième mandat, ce serait plutôt une bonne surprise », sourit-il.
« Il est peu probable que les pays de l’EAC se prononcent sur l’enjeu au coeur de la crise. Ils sont eux-mêmes mal placés puisque, hormis le Kenya, ils sont tous aussi concernés par la question des mandats », rappelle André Gichaoua, expert de la région.
Museveni a pris le pouvoir par les armes en 1986. Kagame dirige son pays d’une main de fer depuis qu’il a mis fin au génocide en 1994. Et à Kinshasa, Joseph Kabila a succédé à son père Laurent-Désiré, assassiné en 2001. Kagame et Kabila sont soupçonnés de vouloir tous deux se représenter à un troisième mandat, inconstitutionnels en l’état. Quant à l’inusable Museveni, il a déjà été élu à quatre reprises et ne montre aucune intention d’abandonner son fauteuil présidentiel.
On peut attendre « peut-être un décalage de la date des élections et quelques changements a minima », pronostique M. Guichaoua. « On peut décaler les élections d’un peu plus d’un mois tout en respectant les échéances formelles », explique-t-il, sachant qu’un report au-delà est exclu, au risque d’une vacance du pouvoir.
« Mais sur le fond, un report ne règle rien », souligne M. Vircoulon: « Il ouvre simplement dans l’immédiat la possibilité de discuter. Or, le camp Nkurunziza ne veut pas discuter ».