Le colloque a finalement été programmé au Sénat par l’intermédiaire de la sénatrice écologiste Esther Benbassa le 19 octobre

Un colloque international sur le génocide des Tutsis, prévu à l’Assemblée nationale le 19 octobre, aura finalement lieu au Sénat. En cause : le refus in extremis du groupe socialiste de prêter une salle. Il invoque un problème d’agenda. Les organisateurs s’insurgent.

l n’a même pas mis les formes. C’est par un mail sibyllin, à trois semaines de l’échéance, que le groupe PS à l’Assemblée nationale, présidé par un proche du président de la République, a déprogrammé un colloque sur le génocide des Tutsis au Rwanda. Chez les socialistes, le sujet est ultrasensible. La manifestation aura finalement lieu au Sénat, dirigé par la droite.

« La salle Colbert n’est plus disponible le lundi 19 octobre 2015. » Comme l’a révélé Le Canard enchaîné, c’est le message qu’a reçu le député écologiste Noël Mamère, co-organisateur de l’événement, vendredi 25 septembre. Cette salle de l’Assemblée, dévolue à ce genre de manifestations, est gérée par le groupe majoritaire, en l’occurrence le Parti socialiste. Bruno Le Roux, président du groupe PS, a refusé de s’expliquer. Les organisateurs qui l’ont appelé n’ont reçu aucune réponse.

Auprès de Mediapart, le député invoque un cafouillage d’organisation. « Il n’y a pas de déprogrammation. Je n’étais pas au courant de cette réservation prise par une collaboratrice alors que la salle Colbert était déjà réservée pour une autre rencontre », explique-t-il. Laquelle ? « Une rencontre sur l’intégration asiatique en France que j’organise comme président du groupe d’amitié France-Chine et qui est programmée depuis juin », précise Bruno Le Roux.

Les organisateurs ne croient pas une seconde à cette version – comme en témoigne un mail du groupe PS, ils avaient bien réservé la salle Colbert depuis début juin. Au PS, les débats sur la complicité de la France dans le génocide des Tutsis sont extrêmement sensibles. « Nous sommes face à un silence, un silence mortifère. Et ce silence est fait pour gagner du temps et éviter que la justice passe, dénonce Benjamin Abtan, le président de l’Egam, le mouvement antiraciste européen, organisateur du colloque. Annuler le colloque, c’est à la fois petit, minable et scandaleux. » « C’est l’omerta totale sur le génocide », appuie le député Noël Mamère, qui dénonce depuis de longues années les silences des autorités françaises sur leur rôle dans le génocide de 1994 qui a fait entre 800 000 et 1 million de morts.

« Peu de monde au PS ose parler de ce sujet, confirme Laura Slimani, la présidente des Jeunes socialistes (MJS). Parce qu’il y a un réflexe de défense de la figure tutélaire de François Mitterrand. Ou de l’armée. Et que s’attaquer à la grandeur de la France serait un sacrilège. » « C’est incroyable d’assumer le fait qu’on ne peut pas parler du Rwanda. C’est dingue d’aller jusqu’à empêcher qu’un colloque se tienne ! », dit aussi la députée PS Barbara Romagnan.

Panneau introductif au musée du Génocide de Kigali, montrant cette photo de François Mitterrand et Juvénal Habyarimana en 1982
Panneau introductif au musée du Génocide de Kigali, montrant cette photo de François Mitterrand et Juvénal Habyarimana en 1982 © Thomas Cantaloube

Le colloque, prévu depuis de longs mois, intitulé « Génocide contre les Tutsis : la vérité, maintenant ! », est organisé par le mouvement antiraciste européen Egam, en présence de nombreuses personnalités françaises (l’ancien ministre Bernard Kouchner, le journaliste Patrick de Saint-Exupéry, de nombreux historiens tels Stéphane Audoin-Rouzeau ou Hélène Dumas, l’ancien officier Guillaume Ancel, ou encore Richard Prasquier, le vice-président de la Fondation pour la mémoire de la Shoah), rwandaises (notamment des Justes et l’association Ibuka), des organisations de jeunesse européennes (françaises, turque, serbe ou belge) et une poignée d’élus, dont les écologistes Noël Mamère et Esther Benbassa.

Très peu de socialistes ont prévu d’y participer, à l’exception des députées Barbara Romagnan et Fanélie Carey-Conte. À Dijon, fin août, le maire François Rebsamen, ancien ministre du travail, a consterné les associations en annulant l’inauguration d’une stèle commémorant le génocide.

L’idée du colloque est née lors des commémorations du 20e anniversaire du génocide des Tutsis, en 2014. À l’époque, la France avait prévu d’y participer: la ministre de la justice Christiane Taubira était attendue à Kigali. Elle n’a finalement jamais pris l’avion. En cause : une déclaration du président rwandais, Paul Kagamé, à Jeune Afrique par laquelle il affirme que la France et la Belgique ont eu un rôle « dans la préparation politique du génocide » et dans « la participation (…) à son exécution même ». La réaction du quai d’Orsay est immédiate : par voie de communiqué, le ministère des affaires étrangères explique que « la France est surprise par les récentes accusations, portées à son encontre par le président du Rwanda » et annonce que Taubira n’ira pas à Kigali. Le Rwanda de son côté refuse qu’elle soit remplacée par l’ambassadeur de France sur place.

Benjamin Abtan, le président de l’Egam, est à Kigali. « La Belgique avait aussi été mise en cause par Kagamé. Elle a quand même envoyé son ministre des affaires étrangères, y compris pour critiquer les propos de Kagamé, mais aussi des militaires, des universitaires… Elle a parcouru un chemin que la France n’a pas fait », explique-t-il. D’où l’idée d’organiser un colloque à Paris « pour faire sauter les verrous du discours en France, et faire émerger un discours de vérité » sur le génocide.

François Hollande et Paul Kagamé à Bruxelles, en 2014François Hollande et Paul Kagamé à Bruxelles, en 2014 © Reuters

Les acteurs de l’époque, à gauche comme à droite, continuent de peser de tout leur poids pour éviter que la France affronte son histoire. En 1994, la France était présidée par le socialiste François Mitterrand, et son secrétaire général à l’Élysée s’appelait Hubert Védrine. Il cohabitait avec un gouvernement de droite, celui d’Édouard Balladur, dont Alain Juppé était le ministre des affaires étrangères. Or, de 1990 à 1994, la France n’a cessé de soutenir, d’armer, et de former les futurs génocidaires, jusqu’à combattre à leurs côtés en 1992 et 1993 contre la rébellion tutsie du FPR conduite par Paul Kagamé. Jusqu’à 1 000 soldats français ont été déployés au Rwanda au début des années 1990. L’opération Turquoise, menée à l’époque par l’armée française, était présentée comme une opération humanitaire, mais elle a permis, en créant une « zone sûre » à l’ouest du Rwanda, de protéger de nombreux tueurs en fuite devant l’avancée du FPR.

Depuis, de nombreux travaux d’historiens, de journalistes, et les témoignages d’anciens militaires ont été publiés pour documenter l’implication des autorités françaises. Mais du côté des autorités françaises, rien ou presque n’a été dit. L’élection de François Hollande n’a rien changé. Il a bien annoncé en avril dernier l’ouverture des archives de l’Élysée sur le Rwanda entre 1990 et 1995, mais peu de documents, dont une partie est déjà connue, sont concernés. Et le gouvernement continue de s’en tenir à la conclusion du rapport de la mission d’information parlementaire datant de 1998 : « Si la France n’a pas apprécié à sa juste valeur la dérive politique du régime rwandais, elle a été le pays le plus actif pour prévenir la tragédie de 1994. » Laurent Fabius l’a de nouveau citée en avril 2015, devant l’Assemblée nationale. Signe des tensions entre les deux pays, la France n’a plus d’ambassadeur à Kigali : le dernier est parti après cinq ans sans que le nouveau ne reçoive l’agrément du Rwanda.

Quant au PS, il continue de parler de « génocide rwandais », au lieu de génocide au Rwanda ou génocide des Tutsis – une expression qui a longtemps contribué à accréditer l’idée qu’il s’agissait de massacres de part et d’autre, et non d’un génocide. La Fondation Jean-Jaurès est sur la même ligne, comme en témoigne le colloque (un « séminaire fermé ») qu’elle a organisé l’an dernier, introduit par l’ancien ministre Paul Quilès, qui avait verrouillé la mission d’information de 1998.

Nicolas Sarkozy, lui, s’était rendu à Kigali en 2010, et avait reconnu de « graves erreurs d’appréciation et une forme d’aveuglement » de la France. Mais sans présenter d’excuses aux Rwandais. La Belgique l’a fait depuis quinze ans.

Le colloque a finalement été programmé au Sénat par l’intermédiaire de la sénatrice écologiste Esther Benbassa.

|  Par Lénaïg Bredoux

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Posté le 17/10/2015 par rwandaises.com