L’écrivaine franco-rwandaise Scholastique Mukasonga dresse un inventaire par l’absurde des possibles effets sur les membres de sa famille d’une loi sur la déchéance de la nationalité.
Il y aura donc, si la réforme constitutionnelle est adoptée, plusieurs catégories de Français. Ceux à la nationalité inamovible et ceux à la nationalité précaire, incertaine, ambiguë : français à 100 %, à 50 %, à 20 %, à… Je n’irai pas bien loin chercher mes exemples : celui de ma famille suffira.
Nous sommes quatre : mon mari, mes deux fils et moi-même. Pour mon mari, né en France, de père et de mère française, pas de problème, il doit donc être français à 100 %. Quoique. En y regardant de plus près, l’arrière-arrière-grand-père est né à Nice avant 1860. Il était donc sujet du royaume de Piémont-Sardaigne, donc on dirait aujourd’hui italien.
Mais trêve de plaisanterie : passons aux choses sérieuses. C’est pour mes fils que cela se complique. Ils sont nés de père français, de mère naturalisée française, mais les malheureux, ils sont nés à l’étranger, à Bujumbura, au Burundi, de la faute de leur père qui y était coopérant au service de la France. Mais ils ont bien aggravé leur cas : ils sont de double nationalité. Dans un élan de piété envers leurs grands-parents, les oncles et tantes massacrés lors du génocide des Tutsis en 1994, mais aussi pour partager le deuil avec leurs cousines rescapées et accepter ensemble malgré tout la vie, ils ont acquis la nationalité rwandaise. Alors, mes pauvres fils sont-ils devenus des Français de deuxième catégorie ? Français à 50 %, à 25 % ? Ou…
En ce qui me concerne, je crains que mon cas ne soit sans espoir. Pensez donc ! Je suis devenue française par mariage. «Alors là, me dira-t-on, on connaît la chanson : mariage par intérêt, mariage blanc.» Oui, je l’avoue, cela fait plus de trente ans que perdure notre mariage blanc. «Vous étiez réfugiée au Burundi, apatride, me rappellera-t-on et on ajoutera, vous voilà aujourd’hui écrivaine, reconnue, primée, décorée et vous reprenez la nationalité rwandaise dont vous aviez été déchue. Vous êtes bien ingrate. Etes-vous toujours française à part entière?» Je sens ma nationalité française vaciller. J’ai peur…
Tout cela, me direz-vous, ce ne sont que fantasmes. Le projet de déchéance de la nationalité ne vise que les binationaux jihadistes, qui ont commis des attentats. Je veux bien le croire. Mais j’ai quand même l’ombre d’un doute : et si cette loi tombait en d’autres mains. Souvenons-nous, serions-nous devenus amnésiques ? Le parti national-socialiste a été démocratiquement porté au pouvoir. C’était, il est vrai, en 1933
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http://www.liberation.fr/debats/2016/01/11/francais-a-50-a-25_1425705
Posté le 12/1/2016 par rwandaises.com