Blog d’Alain Billen – 05/04/2016 18:17:25


Quel courage, cette équipe de « Charlie Hebdo » ! Pour garder l’image de ceux qui osent encore, les caricaturistes ont décidé de travestir et de moquer les victimes du génocide des batutsi du Rwanda et leurs familles à travers la personne de Stromae, un artiste d’origine Rwandaise, suffisamment connu pour que le journal lui consacre sa « Une ».

Ce faisant, en instrumentalisant l’histoire personnelle, et combien tragique de « STROMAE », l’équipe de Riss atteint dans leur conscience et dans leur affect, toutes les familles qui ont réellement vécu des situations dramatiques. Car le génocide de 1994 est encore vivace dans toutes les familles. Les sociologues le savent : lorsque la commission des crimes est d’une violence extrême, le traumatisme des victimes et de leur entourage ne s’efface jamais. Les souvenirs de la tragédie sont d’autant plus présents au Rwanda que dans plusieurs régions du pays, des groupes de rescapés, aujourd’hui même, continuent de chercher des proches, qu’ils déterrent afin de leur offrir une sépulture décente ! De plus, dans quelques jours le pays va rentrer dans une période de deuil en souvenir du génocide.

Mais pour Charlie hebdo, le Rwanda est loin, perdu quelque part au centre du continent africain. En fait, il est tout proche ; au coeur du quotidien de chaque foyer, aux quatre coins du pays. L’attaque personnelle cible dès lors chaque femme et chaque homme qui a ce vécu en partage.
Elle est d’autant plus révoltante qu’il y a peu Stromae était revenu pour la première fois au Rwanda, évoquant son affliction et le souvenir de sa famille décimée par un immense « gang des barbares »* Pour des journalistes occidentaux, le sujet était facile, car nous sommes à l’avant-veille des commémorations du génocide perpétré contre les batutsi au RWANDA.

La Belgique sera d’ailleurs présente dans les esprits à ces journées du Souvenir, un pays cher à Stromae puisqu’il est de nationalité belge. Cette circonstance n’a pas pu être négligée par l’équipe de dessinateurs. Au moment où les Belges sont dans le deuil après les épouvantables attentats qui ont frappés Bruxelles le 22 mars dernier, la « Une » du journal est une faute inexcusable.

Arrêtons-nous un instant et réfléchissons au parallélisme des formes ou des situations.

A l’instar de tous les Belges il y a quelques jours et des français en janvier 2015 lors des attentats contre le siège du journal, les Rwandais ont été éprouvés par le drame de Paris et de Bruxelles. Mais il ne leur est pas venu à l’idée de se moquer des morts et des blessés, ni des survivants de la Rédaction de Charlie hebdo. Ceux-là même qui aujourd’hui font de leurs dessins, des armes.

Le faisceau de circonstances malheureuses est choquant car il permet aisément à Charlie Hebdo de surfer sur le malheur des autres dans le but commercial d’augmenter des ventes. Au-delà de ce constat évident pour chacun d’entre nous, le procédé de Charlie illustre ici une dérive car c’est par la représentation d’un artiste reconnu par la communauté Rwandaise -et d’autres nombreuses à travers le monde- que se déverse un humour, qui à ce degré, s’apparente à du sadisme.*
Désormais les Rwandais demandent tous qu’on les laisse en paix afin qu’ils puissent disposer d’un temps de mémoire qui est aussi un moment de vivre ensemble pour demain.

Alain Billen
Alain BILLEN est un observateur de cette partie de l’Afrique. Fin connaisseur du Rwanda, éditorialiste, il partage son temps entre Bruxelles et Kigali où il réside. abillen2@gmail.com

– Nom donné aux assassins de Ilian Halimi enlevé torturé parce que juif le 12 février 2006. en banlieue parisienne
– Définition du sadisme dans l’édition électronique du Larousse : Maladie mentale qui pousse à prendre du plaisir en faisant ou en voyant souffrir quelqu’un.

http://www.newspress.fr/Communique_FR_295677_6325.aspx

Posté le 05/04/2016 par rwandaises.com