Paris – « Tigre contre âne ficelé », « poison du doute » et noms d’oiseaux: les coups de griffe ont fusé dès le premier jour mardi du procès de deux anciens bourgmestres rwandais, jugés aux assises de Paris pour leur participation au génocide de 1994.

Octavien Ngenzi et Tito Barahira, qui nient les faits, sont accusés d’avoir directement participé au massacre de centaines voire de milliers de Tutsi en avril 1994 à Kabarondo, dans l’est du Rwanda.

A l’ouverture de ce second procès « historique » tenu en France sur le génocide rwandais, qui avait fait au moins 800.000 morts, les accusés, calmes et attentifs, ont assuré qu’ils répondraient aux questions de la cour.

Les deux hommes seront jugés pendant huit semaines pour « crimes contre l’humanité » et « génocide« , pour « une pratique massive et systématique d’exécutions sommaires » en application d’un « plan concerté tendant à la destruction » du groupe ethnique tutsi.

Un procès compliqué par l’état de santé de Tito Barahira, 65 ans en juin, qui doit être dialysé trois fois par semaine: les audiences seront écourtées les lundis et mercredis.

Veste tabac, moustache et cheveux grisonnants, Barahira est assis sur un fauteuil rembourré bleu, plus confortable que le banc en bois où se trouve Ngenzi, 58 ans, chemise sombre et fines lunettes. Le premier s’est dit « retraité« , le second « ingénieur forestier« .

Une fois les jurés sélectionnés, les avocats des accusés se sont lancés dans une virulente critique des faibles ressources accordées à la défense, qui n’a pas les moyens de faire venir tous ses témoins du Rwanda.

« C’est le combat du tigre contre l’âne ficelé« , a lancé Françoise Mathe, l’avocate d’Octavien Ngenzi. « Vous avez devant vous une défense démunie« , a renchéri Philippe Meilhac, le conseil de Tito Barahira. Ils ont demandé, en vain, une interruption du procès pour permettre « un transport sur les lieux » et « la remise en liberté » de leurs clients.

– ‘La voix des morts’ –

Pourquoi ces demandes « sinon pour inoculer dans vos esprits le poison du doute« , alors que ce procès doit « faire entendre la voix des morts, ceux qui ont été découpés à la machette, brûlés vifs« , a mis en garde Michel Laval, l’avocat du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), association à l’origine de la plupart des enquêtes sur le génocide rwandais en France.

Me Mathe a ensuite tenté, à nouveau en vain, de faire écarter deux témoins sous X. Puis un échange musclé sur les prismes idéologiques supposés des universitaires français sur le Rwanda a occupé la cour une bonne demi-heure autour de l’absence du chercheur André Guichaoua. Ce dernier a signifié son refus de venir témoigner pour la défense, qui sollicitait son expertise – largement reconnue comme indépendante – « pour +rééquilibrer+ des prestations d’experts considérées comme +partiales+« .

Ce procès est le second à se tenir en France pour des massacres au Rwanda, après la condamnation en 2014 de l’ex-capitaine Pascal Simbikangwa à 25 ans de réclusion.

L’attente est immense: plus que le procès Simbikangwa, qui avait pour théâtre la capitale et les cercles du pouvoir, celui des bourgmestres promet de plonger dans un huis clos provincial où tout s’est déroulé en moins de quinze jours, entre voisins.

« Un génocide plus concret« , a résumé Alain Gauthier, président du CPCR, avec « des victimes venues de Kabarondo« .

Le matin du 13 avril, des témoins affirment avoir vu Barahira, maire de 1977 à 1986, armé d’une lance à une réunion sur un terrain de football où il aurait appelé à « travailler« , c’est-à-dire à tuer des Tutsi. Comme Ngenzi, alors bourgmestre, il est décrit comme un « donneur d’ordre« .

Peu après, des centaines de réfugiés arrivés les jours précédents ont été regroupés à l’extérieur de l’église: en quelques heures, des centaines furent pourchassés jusque dans l’église et tués à coups de machettes, gourdins ou grenades, selon des survivants.

Détenu depuis 2010, Ngenzi avait été retrouvé à Mayotte. Barahira a été interpellé en 2013 à Toulouse. Condamnés en leur absence à la prison à vie par des tribunaux populaires rwandais « gacaca » en 2009, ils encourent la même peine en France.

http://www.lexpress.fr/actualites/1/actualite/rwanda-ouverture-du-deuxieme-proces-sur-le-genocide-en-france_1790503.html

Posté le 12/05/2016 par rwandaises.com