L’actrice joue des pièces interactives dans les cafés et sur les trottoirs des villes rwandaises, interrogeant la mémoire du génocide et de l’« avant » pour recréer une histoire commune.

S’il y a une peur que Carole Karemera n’a pas, c’est bien celle, justement, de se mesurer à ses propres peurs. De se confronter au passé et d’affronter la douleur aiguë d’une mémoire à vif. De se tenir debout là où le sol se dérobe sous vos pieds et vous entraîne au cœur de ténèbres abyssales, où gisent les corps mutilés et errent les âmes de ceux dont on a effacé le nom. De ces nourrissons, de leurs frères et sœurs à peine plus âgés, de leurs parents, ces femmes et ces hommes tutsi sur qui s’est abattue l’inhumaine haine de leurs propres voisins. Depuis dix ans, l’actrice, qui a foulé pour la première fois le pays des Mille Collines en 1996, a fait de sa passion pour le théâtre une arme de reconstruction.

Désormais installée à Kigali, celle qui est née en 1975 à Bruxelles de parents exilés a ouvert dans la capitale rwandaise une structure artistique, l’Ishyo Art Center. Un lieu sans lieu qui va à la rencontre des spectateurs, évitant le très fréquent écueil de faire du théâtre en Afrique comme on en ferait en Europe, retranché derrière les murs d’une salle aseptisée. « On va chercher physiquement le public là où il est, dans la rue, les cafés. On le harangue et on lui offre la possibilité de participer à une nouvelle expérience », explique Carole Karemera, entre deux représentations lyonnaises de Battlefield, la pièce de Peter Brook actuellement en tournée en Europe.

La force cathartique du théâtre

Le théâtre de rue n’est pas une tradition rwandaise, mais « un moyen de réinvestir l’espace public dans un contexte où les villes ont été totalement réorganisées après le génocide, détaille-t-elle d’une voix calme et douce. Ce qui m’intéresse, c’est de voir si, avec du théâtre, on peut retisser du lien et créer une nouvelle expérience collective. Vous savez, les rues, les collines, n’ont plus rien d’innocent désormais. Elles portent en elles la mémoire de ce qui s’est passé. Alors, est-ce qu’on peut récréer dans ces lieux une sorte d’état d’innocence qui nous permette de nous ouvrir et d’accueillir celui qui vient, qui est là, ou reste-t-on dans la suspicion ? »

Persuadée de la force cathartique du théâtre, Carole Karemera se rend sur les lieux du drame, là même où l’opération « Turquoise » a failli, pour apporter « une autre parole ». Une démarche qu’elle partage avec la metteure en scène française Dalila Boitaud-Mazaudier (de la compagnie Uz et Coutumes) avec qui elle a travaillé sur Hagati Yacu – Entre nous, pièce de rue en trois temps, inspirée notamment de Murambi, le livre des ossements, de Boubacar Boris Diop et qui a été présentée au Rwanda en 2015

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Posté le 06/01/2017 par rwandaises.com