Qui aurait parié sur le Rwanda après l’épouvantable drame qu’il a vécu en 1994 ? À ce moment-là, les banques sont vides, les récoltes pourrissent sur pieds et les cadavres d’environ 800 000 victimes, essentiellement des Tutsi, minoritaires dans la population, jonchent les rues de toutes les localités ainsi que les champs éparpillés dans le pays. Une partie de la population hutu, ayant largement pris part aux massacres, fuit vers le Zaïre devenu depuis République démocratique du Congo. Les survivants découvrent leurs proches massacrés, leur maison pillée et leur bétail volé ou tué. Vingt ans plus tard, le spectacle est tout autre. Des Rwandais aisés paressent aux terrasses des artères bitumées de Kigali. Dans la capitale, une armée de balayeuses se relaie. Tout paraît en ordre. Est-ce là que réside le germe du « nouvel homme » que le Rwanda veut faire émerger. En tout cas, les économistes sont unanimes pour décrire les « progrès spectaculaires » accomplis par les autorités rwandaises. Issues de la rébellion qui a mis fin au génocide en juillet 1994, elles avaient récupéré un pays exsangue.
Le Rwanda vise à devenir un pays à revenu intermédiaire d’ici à 2020
Que s’est-il passé entre-temps ? « Depuis vingt ans, le PIB par habitant a été multiplié par cinq. Parallèlement, ces dernières années, le taux de pauvreté a baissé d’environ 25 % et les inégalités ont été réduites », indique la Banque mondiale (BM). « Certains appellent ça un triplé en termes de développement », explique Yoichiro Ishihara, économiste à la BM. Le Rwanda vise désormais à devenir d’ici à 2020 un pays à revenu intermédiaire. Comment ? En passant d’une économie encore essentiellement agricole à une économie de services. Cela ne signifie pas pour autant que le Rwanda soit sorti d’affaire. Malgré ses succès et une croissance annuelle moyenne d’environ 8 % de 2001 à 2012, il continue à faire face à des défis à la hauteur de ses ambitions. Il envisage en effet de porter, d’ici à 2018, le PIB à 1 000 dollars par habitant (contre 693 dollars en 2013) et de ramener le taux de pauvreté sous les 30 % contre 45 % actuellement. Surtout, si le Rwanda réduit depuis quelques années les inégalités, il reste le pays le plus inégalitaire de la région, selon le rapport 2013 de la Société internationale pour le développement sur l’état de l’Afrique de l’Est. En outre, le secteur de la construction, moteur de croissance toutes ces années, a été dopé par d’importants marchés publics. Mais désormais, « il est temps de passer au secteur privé », fait remarquer M. Ishihara.
En plus des services, le Rwanda mise désormais sur l’export de matières premières
La nouvelle ambition du pays, qui tire le gros de ses devises du tourisme, est désormais d’exporter ses matières premières (minerais, thé, café…) ainsi que des produits manufacturiers. À cet effet, une nouvelle zone économique spéciale de 98 hectares attire usines et entreprises agroalimentaires. « Le discours actuel est exporter ou mourir« , résume un responsable rwandais souhaitant garder l’anonymat. Parmi les atouts rwandais, une population jeune et éduquée. Environ « 70 % de la population a moins de 25 ans et les compétences sont là », explique Vivian Kayitesi, du Conseil de développement du Rwanda, organisme public. Et d’espérer que cette jeunesse va favoriser la croissance du secteur des services vers lequel les investissements sont passés de 800 millions de dollars en 2012 à 1,4 milliard en 2013.
Le pays doit aussi surmonter des handicaps
Le Rwanda a, certes, das atouts, mais aussi des points faibles. « Le mauvais état des infrastructures, le manque d’accès à l’électricité, enfin une capacité de production limitée constituent des obstacles majeurs à l’investissement privé », note la BM. L’aide extérieure représente environ 40 % de son budget de fonctionnement, indique la BM, qui souligne que les recettes intérieures du gouvernement, bien qu’en hausse, restent en deçà de la moyenne régionale. L’enjeu est donc crucial au regard de la baisse des aides extérieures depuis 2012. C’est qu’entre-temps le gouvernement du président Paul Kagamé a perdu de son aura. Jusque-là, il avait été chouchouté par les bailleurs occidentaux partagés entre un sentiment de culpabilité post-génocide et une certaine admiration pour un dirigeant africain « moderne ».
Le rôle attribué à Kigali dans la déstabilisation de l’est de la RDC, d’une part, sa responsabilité supposée dans l’assassinat de dissidents à l’étranger, d’autre part, lui ont en effet attiré les critiques de ses plus proches alliés, États-Unis en tête. L’origine suspecte de certaines de ses matières premières est passée par là. Une partie de son coltan, minerai essentiel à la téléphonie mobile, est soupçonnée avoir été extraite illégalement en RDC. Résultat : certains marchés lui sont fermés malgré les dénégations de Kigali qui met en avant sa réputation de bonne gouvernance. « Le débat est clos depuis longtemps », assure le ministre rwandais des Finances. Claver Gatete souligne par ailleurs que le Rwanda a été le premier pays à assurer la traçabilité de ses minerais. « Le pays est aujourd’hui à un tournant », estime un diplomate. « On ne peut enlever vingt ans de succès, c’est magnifique. Mais les dirigeants rwandais pourraient tout perdre s’ils laissent les choses en l’état », explique-t-il en référence aux libertés sacrifiées au profit de la sécurité, de la stabilité et du développement. Au pays des Mille Collines, la méfiance reste donc de mise, car l’orage pourrait se déclarer sans prévenir.
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Posté le 07/04/2017 par rwandaises.com