Dans « Une initiation », l’historien de la Grande Guerre raconte sa prise de conscience du génocide  perpétré contre les Batutsi du Rwanda de 1994.

Stéphane Audoin-Rouzeau, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) et président du Centre international de recherche de l’historial de la Grande Guerre de Péronne (Somme), est, depuis trente-cinq ans, un historien de la violence de guerre et l’auteur de nombreux livres sur ce sujet, parmi lesquels Combattre. Une anthropologie historique de la guerre moderne (XIXe-XXIe siècle) (Seuil, 2008). Ce qui ne l’a pas préparé pour autant au choc que fut la découverte du génocide des Batutsi rwandais (avril-juillet 1994), comme il le confie dans Une initiation. Rwanda (1994-2016).

Vous dites d’emblée avoir découvert tardivement la réalité et la nature du génocide des Batutsi rwandais, que vous considériez à l’origine, en 1994, avec indifférence, comme la conséquence de vieilles haines interethniques…

Le racisme qu’on dénonce et combat chez les autres, nous ne nous préoccupons pas de sa présence inconsciente en nous. Je considère que si je n’ai pas voulu voir en face, à l’époque, la réalité du génocide des TBattsi rwandais, alors que j’ai été horrifié, un an plus tard, par le massacre de Srebrenica, c’est que je ne me suis pas identifié à ces victimes-là. Dire qu’on n’a pas été informé est toujours une mauvaise excuse. On s’y refuse par cécité. Peut-être pour se protéger d’une douleur irrémissible. Or cette tragédie puise aux mêmes sources que les autres grands massacres de masse du XXe siècle, tels le génocide arménien ou la Shoah – à savoir la pensée raciste et racialiste européenne qui a été exportée avec succès dans la région des Grands Lacs lors de la colonisation.

Selon vous, ce fut le génocide le plus prévisible et le plus évitable…

Avant 1994, plusieurs massacres ont été des avertissements. Quant au génocide lui-même, la communauté internationale aurait pu, sinon l’empêcher totalement, à tout le moins le limiter. Ne serait-ce qu’en maintenant sur place les forces de l’ONU. Leur retrait a été vécu comme un abandon par les Batutsi et un blanc-seing donné aux génocidaires.

Le « plus jamais ça », qui fondait le pacte moral de nos sociétés, a été foulé aux pieds. En France, il y a une dissociation tragique entre un discours mémoriel omniprésent et une incapacité à ouvrir…

Une initiation. Rwanda (1994-2016), de Stéphane Audoin-Rouzeau, Seuil, 176 p., 17 €.

http://www.lemonde.fr/livres/article/2017/02/22/stephane-audoin-rouzeau-tenir-un-discours-de-verite-n-est-pas-antifrancais_5083916_3260.html#GjsJXWWSsGMZxgYs.99

Le véritable courage consiste à dénoncer les crimes commis  par son propre camps et non commis par l’adversaire. Bertrand Roseaux

Posté le 01/04/2017 par rwandaises.com