La crise actuelle des démocraties occidentales illustre une évidence: la solidité des institutions dépend beaucoup de l’usage que l’on en fait et il importe de les faire vivre sous peine de les voir mourir lentement mais sûrement. Par André* Twahirwa
Ainsi, dans le modèle représentatif dit libéral, toute confrontation qui exclut le dialogue de manière systématique et la recherche du consensus est contre-productive: le multipartisme ne rime pas avec obstruction systématique de la part de l’opposition; un front républicain, transpartisan, est non seulement possible mais nécessaire. Même en période «normale». Il doit pouvoir réunir tous les patriotes de différentes sensibilités autour des valeurs partagées et au service du bien commun, de la République (res publica). C’est là l’ambition du Président français nouvellement élu, Emmanuel Macron, et de la nouvelle formation pour la majorité présidentielle, «La République en marche».
La crise actuelle montre aussi que les élections _ et le suffrage universel_ ne sont pas la panacée de la vie démocratique: «le peuple doit être souverain, souverain de façon continue, et […] l’opinion publique, exprimée par tous les moyens constitutionnels, devrait façonner, guider et contrôler les actions de ministres qui en sont les serviteurs et non les maîtres» (W. Churchill, Discours du 11 novembre 2017 à la Chambre des Communes), dit autrement: «la démocratie n’est efficace que si elle existe partout et en tout temps.» (Pierre Mendès-France, La République moderne, 1962).
Enfin et surtout, la déliquescence actuelle des démocraties représentatives constitue une leçon d’humilité pour tous ceux qui continuent à prétendre que le modèle «occidental» serait la seule et unique forme de démocratie. Et que l’Occident aurait la mission de démocratiser le reste du monde. Donc ni sentiment de supériorité, qui enferme (rait) l’Occident dans la vision ethnocentriste servant de justification à la colonisation ou à la néo-colonisation, ni complexe d’infériorité, qui s’érige (rait) en plafond de verre pour le «reste du monde» et les ex—colonisés, en particulier. La démocratie est le « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». La définition d’Abraham Lincoln a le mérite de poser le principe fondamental et de faire l’unanimité: c’est d’ailleurs la plus respectueuse de l’étymologie du mot. Le principe universel une fois rappelé, il importe de réaffirmer fermement qu’il existe ou qu’il a existé plus d’une forme de démocratie ou plutôt plusieurs «dominantes» dans les pratiques démocratiques car, dans la réalité, tous les systèmes sont mixtes: si, en démocratie, le peuple possède tous les pouvoirs de gouvernement, il en délègue toujours plus ou moins une partie à des représentants.
Et c’est le «PAR le peuple» qui différencie les différentes formes de démocratie: selon le degré de délégation des pouvoirs, l’on distingue quatre formes de démocratie, dont trois sont très bien connues: la démocratie à (dominante) «directe»; la démocratie à (dominante) «représentative»; la démocratie (à dominante) «populaire». La démocratie à (dominante) «participative» est l’ensemble des dispositifs et des procédures qui permettent d’augmenter l’implication des citoyens _TOUS ET TOUTES _ dans la vie politique et d’accroître leur rôle dans les prises de décision. De ce point de vue, en dehors du modèle grec de la «démocratie directe», difficile à appliquer voire inapplicable et pas seulement à l’échelle des grandes nations, la démocratie (à dominante) participative est le modèle qui permet au peuple, le plus large possible, d’exercer le plus possible les pouvoirs de gouvernement les plus étendus. Et, même si Le Rwanda est le seul pays à la pratiquer et à l’inscrire dans sa Constitution (Article 48), cette forme semble la mieux adaptée à toute l’Afrique noire, aux sociétés à solidarité «horizontale», aux sociétés du NOUS.
Mais, si supériorité il peut y avoir, c’est seulement dans l’absolu. Et chaque système ne peut être qu’endogène: s’appuyer sur les valeurs profondes que les citoyens ont en partage. Il porte ainsi en lui sa propre cohérence en même temps que ses propres contradictions, son propre ADN en lien avec le contexte spatio-temporel, historique et culturel. Et, pourvu qu’il respecte le principe fondamental de la démocratie, il est nécessaire de le respecter dans ses mutations et dans son inévitable évolution. Aucun ne doit chercher à s’ériger en modèle universel et en donneur de leçons. Il ne s’agit pas de chercher à démocratiser l’autre différent mais, en toute humilité, de moderniser son propre modèle c’est-à-dire de l’améliorer et de la refonder en l’adaptant à un contexte qui ne cesse de changer. Et si le métissage est inévitable, il doit se faire seulement en fonction des réels besoins de chacun et toujours en adéquation avec ses valeurs fondamentales.
Dr TWAHIRWA André, Africaniste, Ancien consultant de l’UNESCO, Division Arts et Culture et Élu local en Île-de-France*
Posté le 16/05/2017 par rwandaises.com