La publication d’un nouveau témoignage et deux dépôts de plainte émanant d’ONG rouvrent le douloureux dossier du rôle de la France dans le génocide de 1994, au Rwanda, à travers son soutien matériel au gouvernement hutu.

En ont-ils discuté sous les ors de l’Élysée, le 14 mai, lors de l’entretien en tête à tête qui scellait leur passation de pouvoir ? François Hollande a-t‑il, ce jour-là, instruit Emmanuel Macron de ce dossier empoisonné qui depuis vingt-trois ans attise en France une controverse incandescente et provoque un embarras notable au sommet de l’État ? Un mois après son investiture, le nouveau président français est à son tour confronté à la polémique lancinante laissée en héritage à ses successeurs par François Mitterrand. Celle-ci peut se résumer en une simple question : entre avril et juillet 1994, les autorités françaises ont-elles apporté, en toute connaissance de cause, un soutien militaire aux organisateurs du génocide alors en train de se commettre au Rwanda contre les Batutsi ?

C’est dans les pages de la revue XXI que l’affaire vient de resurgir, tel un cadavre compromettant jeté au fond du lac Kivu et qui remonterait inexorablement à la surface malgré les poids censés le lester. Dans la dernière édition du trimestriel, son cofondateur, Patrick de Saint-Exupéry, livre un témoignage selon lequel les militaires français de l’opération Turquoise – lancée par Paris fin juin 1994 sous mandat humanitaire de l’ONU – auraient reçu l’ordre de « réarmer » les extrémistes hutus en déroute au moment où ceux-ci franchissaient la frontière vers l’actuelle RD Congo.
Une accusation glaçante

L’accusation est glaçante car, en juin 1994, nul ne pouvait ignorer qu’un génocide orchestré par les forces gouvernementales avait déjà causé quelque 800 000 victimes au pays des Mille Collines. Longtemps demeuré tabou, le mot s’était progressivement imposé pour décrire l’entreprise méthodique à l’œuvre en vue d’exterminer les Batutsi. Face à cette barbarie à ciel ouvert, sur fond de guerre civile entre l’armée hutue et la rébellion tutsie du Front patriotique rwandais (FPR, désormais au pouvoir), le Conseil de sécurité de l’ONU avait adopté, le 17 mai précédent, un embargo sur les armes à destination des belligérants. À la même époque, à Paris, la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) avait alerté l’exécutif « sur l’importance des massacres commis surtout par les forces gouvernementales [hutues] ». Ces mêmes forces que des militaires français recevront l’ordre de réarmer un mois plus tard, selon XXI.

Le scénario avancé par la revue repose sur un unique témoignage, qui plus est anonyme : celui d’un haut fonctionnaire habilité secret-défense qui a été chargé, en 2015, d’examiner, dans le cadre d’une commission ad hoc, les dossiers d’archives de la présidence de la République relatifs au Rwanda pour la période 1990-1995. En avril 2015, François Hollande avait en effet annoncé qu’il entendait demander la « déclassification » des documents protégés contenus dans ces cartons, dans un souci de « transparence ».

C’est en procédant à cet examen minutieux que la source de XXI aurait eu accès à plusieurs documents contredisant la version française officielle. D’après le haut fonctionnaire, « au cours de l’opération Turquoise, ordre avait été donné de réarmer les Bahutu qui franchissaient la frontière ». Une instruction contre nature qui aurait d’ailleurs conduit des officiers français à invoquer un « droit de retrait » afin de s’y dérober. Sur l’un de ces documents, il affirme en outre avoir « vu une note [manuscrite] dans la marge disant qu’il fallait s’en tenir aux directives fixées ». Son auteur serait Hubert Védrine.

(Jeune Afrique 10/07/17)

http://www.jeuneafrique.com/mag/455218/societe/genocide-rwanda-secret-em…

Posté le 10/07/2017 par rwandaises.com