Cette question sur la faiblesse de l’opposition des partis politiques au Rwanda est intéressante. Est-ce que l’opposition est faible au Rwanda parce qu’on ne lui laisse pas d’espace ? Parce qu’elle est persécutée ? Parce qu’elle n’est pas acceptée ? Ou est-ce qu’il y a d’autres causes ?
Moi, quand j’observe, juste comme une analyste, mais analyste aussi qui voie ce qui se passe ou qui s’est passé dans d’autres pays africains, que je connais très bien, j’ai l’impression que les partis d’opposition du Rwanda, au lendemain du Génocide ont commis une erreur stratégique. Je crois que ces partis ont considéré le génocide comme une parenthèse dans l’histoire politique du pays. Or, le génocide était destiné à devenir de toutes les façons un moment fondateur de la vie politique de ce pays.
On ne pouvait pas, après plus d’un million de morts et plus d’un million d’assassins, faire la politique comme avant : la politique politicienne, des invectives. Des gens avaient peur, ils étaient tétanisés. Des gens essayaient d’oublier ce qui venait de se passer– aussi bien les victimes que les assassins. Le rapport au politique ne pouvait plus être le même non plus. On ne pouvait pas revenir en arrière.
Or, les partis politiques qui étaient au Rwanda, dont certains étaient forts comme le MDR qui était considéré comme la principale formation de l’opposition, ont regardé le Rwanda en observateur. Vous n’avez pas vu les ténors de ce parti parcourir le pays rassurer les gens. Vous n’avez pas vu des ténors de ces partis aller consoler les victimes. Au contraire, la polémique commençait comme avant, justement comme si le génocide était devenu une parenthèse.
Et pendant ce temps-là, ils ont laissé Kagame faire ce que j’appelle le sale boulot. Assurer la sécurité du pays, rassurer les tueurs et les victimes. Les partis d’opposition se croisaient les bras ou parcouraient l’Europe en train d’appeler au secours des ONG, bailleurs de fonds. Je me souviendrais toujours de Faustin Twagiramungu à Genève. Le pays était exsangue. Il demandait à ce qu’on bloque les aides jusqu’après les élections. Il pensait que les élections allaient se faire le plus rapidement possible alors que le pays était encore remplis de cadavres, alors que plus de deux million de populations étaient dans les camps de refugies à Goma.
C’est cette erreur stratégique qui a fait que des gens se disaient bon Kagame il fait peur aux gens, le Front Patriotique Rwandais, personne le connait, c’est des étrangers, de surcroit, les Tutsi sont plus minoritaires que jamais dans le pays ; donc ça ne va durer qu’un temps ; donc ils nous préparent le chemin vers le pouvoir.
Sauf que pendant ce temps-là, un lien s’est tissé entre Kagame – en fait moi je dirais entre le pouvoir – le Front Patriotique et tous ceux qui participaient et le peuple. Et ce n’est pas– comment dirais-je – ce n’est pas un lien du genre de ce qu’on voyait avec Mobutu, les effigies partout etc. – c’est presque un contrat moral. Je mets en place tout ce qu’il faut, la sécurité, la formation, l’administration et vous – vous travaillez et on développe le pays. Et pour un pays où on ne voyait pas ce qui pourrait unir le Rwanda, je dirais – en étant vulgaire de dire que- c’est le ventre qui les a réuni. Parce que les gens voyaient ce qu’ils pouvaient gagner. Tourner le dos au massacre qui venait d’avoir lieu.
Des tueurs à travailler avec les victimes – quand on est de l’extérieur souvent c’est choquant. Quand ont voit ces jeunes dans les coopératives certains étaient en prison et il y a pas très longtemps pour génocide pourtant ils travaillent avec les victimes. Et je crois que c’est justement le fait d’avoir déplacé le curseur des sujets politico-politiques pour nous mettre sur le sujet du développement. L’erreur politique, oui, des politiciens d’avant c’est ça, c’est un Faustin Twagiramungu qui arrive avec un slogan « ntora mpore » qui renvoyait aux meurtres.
Est-ce que les Hutus avaient envie de dire maintenant nous avons un président Hutu nous allons nous venger ? Non. Je crois qu’ils essayaient plutôt d’oublier ce qu’ils avaient fait.
Mais quand je me mets dans la perspective de l’avenir, je vois des changements. J’ai suivi un peu notamment par vos reportages interposés, Karirima (ndlr : Aimable Karirima, journaliste d’Igihe) ce qui se passe au Rwanda. Moi j’étais ravie de voir qu’il y avait des débats sur la fiscalité. Parce que je crois que ce qui intéresse des gens ce n’est pas de savoir si un tel sera sénateur ou ne sera pas sénateur, etc. C’est de dire qu’est-ce que ça peut m’apporter ? Est ce qu’on va diminuer les impôts ? Est-ce que si on les diminue on va continuer à payer les bourses d’études pour les enfants ? Est qu’on va continuer à payer les mutuelles pour les enfants etc. Il y a une relation de « donnant donnant » qui s’est établie entre le pouvoir et les populations. Et ça je pense que les jeunes générations des politiciens vont le comprendre. Parce que sans ça, ce n’est même pas la peine de faire la politique.
Avec notre correspondant Aimable Karirima
- Journaliste à la retraite ; Madeleine Mukamabano
- http://fr.igihe.com/actualite/analyses-la-journaliste-mukamabano-scrute-l.html
- Post » le 12/08/2017 par rwandaises.com