Un citoyen qui enquête sur le génocide contre les Batutsi au Rwanda exige l’accès aux archives élyséennes de l’ancien président, portant sur cette période, mais bloquées par sa mandatrice. Le conseil constitutionnel doit statuer sur ce conflit.
A l’époque du génocide contre les Batutsi du Rwanda, en 1994, François Graner, 51 ans, directeur de recherches au CNRS, en a 28. Et comme la plupart de ses contemporains, ce jeune chercheur en physique des matériaux cellulaires «ne (comprend) rien à ce qui se passe». L’extermination de plus de 800 000 Batutsi par des extrémistes hutu power dans ce petit pays d’Afrique de l’Est et la question, d’emblée posée, d’une complicité de l’Etat français dans les massacres constituent pour lui «un double choc». «Je fais partie de la génération éduquée avec la conviction que le génocide des juifs était le dernier. Qu’il y ait un autre génocide et que la France, patrie des droits de l’Homme, ait pu y jouer un rôle, ce n’était pas concevable !» Alors il veut comprendre : «Si c’était vrai, et si oui, par quels mécanismes.»
La déclassification était un leurre
Vingt-trois ans plus tard, et après un livre consacré à la responsabilité de l’armée française dans le génocide contre les Batutsi*, c’est dans le même esprit que François Graner bataille pour l’ouverture des archives de l’Elysée sur le Rwanda. Leur déclassification pour la période 1990-1995, annoncée il y a deux ans par la présidence, s’est avérée en grande partie un leurre, dénonce-t-il. Du fait d’un avis défavorable de la mandataire de François Mitterrand, Dominique Bertinotti, gestionnaire des archives du président défunt, dont la décision s’impose à l’administration, François Graner s’est en effet vu opposer un refus d’accès à la plupart des documents. Il prend l’image d’«un coffre fort à double serrure» : «Le verrou militaire du secret défense a sauté, pas celui de la présidence», explique-t-il.
Ce sont les dispositions légales qui permettent cet obstacle, et notamment un article du Code du patrimoine, que François Graner, épaulé par l’avocat Patrice Spinosi, a entrepris de contester. Le moyen : une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), posée en mars dernier, à l’occasion d’un recours pour excés de pouvoir devant le tribunal administratif de Paris. Jugée «sérieuse», sa QPC a franchi le filtre du Conseil d’Etat et est actuellement examinée par le Conseil constitutionnel. Les Sages doivent rendre leur décision (ce vendredi ). «Comment ne pas être choqué par une telle situation ? Une simple personne privée, donc un mandataire ou son signataire, sans avoir à en justifier (…), va seule décider s’il convient ou non de faire droit à une demande d’accès à des archives publiques», a plaidé Me Spinosi lors de l’audience.
Le texte incriminé, qui prévoit des modalités spécifiques de divulgation des archives du Président mais aussi du Premier ministre et des membres du gouvernement, est «viscéralement contraire aux libertés fondamentales», a poursuivi l’avocat. «Aujourd’hui plus qu’hier, le secret des agissements de l’administration ne peut plus être légalement protégé» par une disposition qui «institutionnalise l’arbitraire», estime Me Spinosi, qui prône que la question relève d’une «autorité indépendante». «Les documents d’archives des membres de l’exécutif sont, par nature, protégés par le secret des délibérations du gouvernement», a rappelé pour sa part son représentant, pour qui le texte est conforme à la Constitution.
Soutenu par l’association Survie, dont il est devenu membre, François Graner inscrit sa démarche dans un combat collectif pour «faire émerger la vérité» sur le rôle de la France dans le génocide au Rwanda. «La fermeture des archives entretient le soupçon», insiste-t-il, en se disant prêt, si sa QPC était rejetée, à porter le débat devant la Cour européenne des droits de l’Homme.
* «Le sabre et la machette. Officiers français et génocide contre les Batutsi», François Graner, Éditions Tribord, 2014
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Posté le 15/09/2017 par rwandaises.com